Blanc, noir, au lait. Et maintenant rose. Ou, plus exactement, « couleur rubis », insiste le chocolatier suisse Barry Callebaut, qui veut transformer le marché avec de nouveaux produits haut de gamme ayant une apparence et un goût uniques au monde.
« Nous utilisons un hybride de cacao standard et assez courant, explique Gavin Brown, vice-président à la R & D chez Barry Callebaut. Mais seule une partie de ce cacao contient les précurseurs biochimiques naturels nécessaires pour produire le chocolat Ruby. La grande avancée pour Barry Callebaut a été le résultat de recherches en science du cacao, avec notre partenaire à long terme, l’Université Jacobs à Brême, en Allemagne, pour identifier ces précurseurs biochimiques. Ensuite, nous avons identifié ces fèves et organisé l’approvisionnement en grande quantité. »
L’existence de ces fèves a été découverte de manière « fortuite » voilà une dizaine d’années, durant des recherches sur un « domaine complètement différent », dit M. Brown, qui travaille en R & D depuis 18 ans.
Y a-t-il eu des obstacles particuliers ? « Ça n’a pas été hors de l’ordinaire, que ce soit sur le plan de la mise au point du processus et la préservation de la couleur et de la saveur de Ruby, ou des coûts de production, dit M. Brown. Nous ne faisons pas pour le moment de production de masse, ça va venir plus tard cette année, mais nous croyons que ça va bien se passer. »
DES KIT KAT ROSES
Nestlé bénéficie d’une période d’exclusivité de six mois pour ses Kit Kat roses, selon le magazine Bloomberg Business Week, qui précise qu’après le Japon et la Corée du Sud, elles seront introduites en Australie au printemps, puis en Amérique latine à l’automne. Un magasin Nestlé à Tokyo offrira aussi du chocolat chaud Ruby. M. Brown affirme que Barry Callebaut est en contact avec d’autres chocolatiers pour des produits Ruby.
Pourrait-il y avoir d’autres couleurs naturelles de chocolat ? « Peut-être mauve, rouge ou rose, il faut travailler avec les précurseurs de couleurs que nous donne dame Nature », dit M. Brown. Pas de chocolat vert, donc ? « Ce n’est pas possible. Mais il est possible que dans l’avenir, on identifie d’autres précurseurs de couleurs. »
UNE MÉTHODE SECRÈTE
Barry Callebaut, qui a été formée en 1996 par la fusion des chocolatiers français Cacao Barry et belge Callebaut, prend un soin maniaque à ne pas dévoiler ses secrets. M. Brown se limite par exemple à dire qu’aucun « processus agressif ou chimique » n’est impliqué dans la fabrication du chocolat Ruby et que « rien qui sort de l’ordinaire n’est fait lors de la culture et après la récolte » de la fève de cacao Ruby. Pas de cacao génétiquement modifié, donc.
Plusieurs sites spécialisés en chocolat, dont The Chocolate Journalist, ont lancé l’hypothèse que la fabrication du cacao Ruby s’explique par une absence de fermentation immédiatement après la récolte. Les journalistes qui ont goûté au chocolat Ruby lors du premier dévoilement en septembre à Shanghai et à Tokyo à la mi-janvier ont rapporté un fort goût de petit fruit, qui pourrait s’expliquer par l’absence de fermentation, selon The Chocolate Journalist.
M. Brown ne voulait pas non plus dire où sont cultivées les fèves Ruby, bien que plusieurs médias, dont Business Week, ont parlé de la Côte d’Ivoire, de l’Équateur et du Brésil.
La Presse n’a pas non plus pu s’entretenir avec Matthias Ullrich, microbiologiste de l’Université Jacobs à Brême qui est responsable du partenariat avec Barry Callebaut. M. Ullrich n’a pas voulu donner d’entrevue sans l’aval de Barry Callebaut, qui a préféré qu’elle ait lieu avec Gavin Brown, son vice-président à la recherche. L’objectif de COMETA, le projet de recherche conjoint entre M. Ullrich et Barry Callebaut, est de faire un atlas moléculaire de la fève de cacao d’ici 2020.
Dans un article publié sur le site de Barry Callebaut, M. Ullrich explique que COMETA a déjà permis de déterminer quelles protéines et quels lipides sont dégradés durant la fermentation de la fève. Des milliers de nouveaux polyphénols, antioxydants qui pourraient expliquer les effets bénéfiques que certaines études attribuent au chocolat, ont aussi été découverts.
Barry Callebaut, qui a 28 centres de R & D dans le monde et des partenariats avec 29 autres instituts de recherche, planche également sur l’amélioration de la fermentation de la fève de cacao, la prévention du blanchiment du chocolat ainsi que l’étude des impacts du chocolat sur la santé.
Outre le cacao, M. Ullrich, de l’Université Jacobs, a plusieurs autres projets, dont le développement d’antibiotiques et de médicaments anticancer à partir de molécules du rhododendron, et l’étude de l’impact de l’exploitation minière sous-marine sur les microbes des fonds marins.