Science 

On n’apprend pas aux oiseaux à chanter

Des chercheurs de McGill ont essayé de montrer à des oiseaux à chanter n’importe comment. Mais même avec des professeurs aussi déconcertants, les animaux ont fini par bien chanter. Les scientifiques en concluent que certains mécanismes du langage sont inscrits dans le cerveau. Et qu’ils pourraient influencer autant le chant des oiseaux que le langage humain et la musique.

Un apprentissage déconcertant

Le diamant mandarin est un petit oiseau exotique dont le mâle gazouille sans arrêt. À l’Université McGill, des chercheurs ont mené une drôle d’expérience. Dès la naissance, ils ont séparé de jeunes diamants mandarins de leur père chanteur. Puis, pendant des mois, ils leur ont fait écouter des enregistrements de diamants mandarins… mais manipulés.

Plutôt que de diffuser les chants originaux, les scientifiques ont décomposé ceux-ci en notes qu’ils ont assemblées de façon aléatoire. Les motifs typiques du chant des diamants mandarins ne s’y retrouvaient donc pas. Sans modèle, les jeunes oiseaux allaient-ils reproduire les sons aléatoires qu’ils avaient entendus ? Ou allaient-ils chanter comme tous les oiseaux de leur espèce ?

Des motifs retrouvés

En écoutant leurs cobayes d’expérience, les chercheurs ont découvert que ceux-ci reproduisent les motifs typiques de leur espèce… même s’ils ne les ont jamais entendus.

« Cela suggère qu’il existe des mécanismes biologiques innés qui amènent un biais et poussent les oiseaux à organiser les phrases de manière spécifique », explique Jon Sakata, professeur agrégé de biologie à l’Université McGill et auteur principal d’un article sur le sujet publié hier dans Current Biology. Le professeur Sakata juge peu probable que les oiseaux aient pu acquérir ces motifs sonores alors qu’ils étaient dans l’œuf. « C’est certainement une possibilité. Mais des expériences menées ailleurs tendent à montrer qu’il y a peu d’apprentissage dans l’œuf et que ce qui est vécu avant l’éclosion n’a généralement pas d’impact sur le chant des oiseaux », dit-il.

Parler comme chanter

Fait fascinant, certains motifs sonores utilisés par les diamants mandarins se retrouvent dans les chants d’autres oiseaux, ainsi que dans la musique et le langage humain. Les sons courts et aigus, par exemple, sont plus susceptibles de se retrouver au milieu du chant des oiseaux, ce qui est aussi vrai dans la plupart des langues et dans la musique. Les sons longs et graves, au contraire, se retrouvent plus souvent à la fin des phrases, des chants d’oiseaux et des pièces de musique. Pourquoi ? Selon Caroline Palmer, professeure de psychologie à l’Université McGill qui n’a pas participé aux travaux, cela pourrait être dû à une « grammaire universelle ». Celle-ci serait commune aux différentes langues et relèverait de fondements biologiques que les humains partagent avec plusieurs espèces d’animaux.

Un point pour Chomsky

La découverte des chercheurs de McGill jette un éclairage sur le vieux débat entre inné et acquis. Elle renforce ainsi la thèse du célèbre linguiste Noam Chomsky, selon qui l’être humain naît avec une certaine connaissance du langage – une théorie encore vivement débattue entre scientifiques. Le chercheur Jon Sakata affirme d’ailleurs que le détour par les diamants mandarins vise à mieux comprendre le langage humain. « La question vraiment intéressante concerne les humains, dit-il. Mais on ne peut faire des expériences dans lesquelles on isolerait un bébé de ses parents ou de toute autre influence ! Il devient alors très difficile de distinguer ce qui est inné de ce qui est acquis. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec des oiseaux. »

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