Le français en milieu de travail

Lei et Annie : une commerçante et sa mentore

D’origine chinoise et habitant au Québec depuis six ans, Lei Yang est propriétaire du restaurant Tubomi Sushi, à Lachine. Après seulement cinq semaines de jumelage avec sa mentore Annie Bergeron dans le cadre du programme « J’apprends le français », Mme Yang démontre déjà d’énormes progrès et fait preuve d’une grande motivation. Rencontre avec deux femmes réunies par la langue française.

* Note : Par respect pour les efforts déployés par Mme Yang lors d’une entrevue réalisée uniquement en français, ses réponses ont été reproduites aussi fidèlement que possible.

Avant vos cours de français, qu’est-ce qui était difficile au travail ?

Lei Yang

Si mon client parlait du menu, sa commande, je comprends. Mais s’il parle d’autre chose, je ne comprends pas tous les mots.

Annie Bergeron

Dans la langue de Mme Yang, on ne conjugue pas les verbes – tout reste à l’infinitif. Il faut donc expliquer davantage les temps de verbe, comme le passé et le futur. Une autre difficulté est la méthode d’apprentissage : dans son pays d’origine, ma commerçante a appris la langue surtout à l’écrit, sans vraiment la mettre en pratique oralement. Vu que le programme vise principalement à améliorer les compétences orales des participants pour assurer un meilleur service à la clientèle, je m’efforce de défaire un peu cette habitude dans nos rencontres.

Comment les cours de français vous ont-ils aidée ?

LY

Tous les jours, j’apprends des nouveaux mots. Je parle le français avec mon client, mon voisin. Avant, j’étais stressée : maintenant, c’est un peu plus facile.

AB

Les formations que les mentors reçoivent à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain s’appuient surtout sur l’Échelle québécoise des niveaux de compétences en français des personnes immigrantes1. À notre première séance, le niveau de Mme Yang se situait autour de 2, soit très débutant. Au terme des douze semaines que durera le jumelage, on vise au moins 3. À ce niveau, l’apprenant devrait être en mesure d’échanger avec son entourage dans des situations prévisibles, de formuler des demandes simples, d’exprimer des besoins courants, etc.

En cinq semaines, elle a vraiment progressé. Elle relit beaucoup ses notes, elle a une motivation immense et elle a une grande volonté de le parler pour s’améliorer.

1 Référentiel commun en matière de francisation propre au Québec. Il découle de la volonté du gouvernement du Québec d’harmoniser les services de francisation offerts aux personnes immigrantes.

Quels genres d’exercices faites-vous ?

AB

Chaque rencontre dure deux heures. Pendant la première heure, on discute de ce qui s’est passé pendant la dernière semaine. Je lui demande si elle a eu des échanges en français. Elle me pose beaucoup de questions, ça amène des conversations. Par exemple, elle me parle d’un client qui vient souvent avec sa petite amie. A-t-il déjà dit que c’était sa « blonde » ? Je lui explique que c’est un autre mot qui veut dire « petite amie », même si la personne n’a pas les cheveux blonds !

Pour la deuxième heure, on fait une activité liée à l’aspect à travailler. Pour aujourd’hui, j’ai un sac rempli de questions : Mme Yang en pige une, me la pose, puis on y répond tour à tour. Comme ça, on exerce non seulement la production orale, mais aussi la compréhension.

On utilise beaucoup le menu ou le contexte du restaurant pour faire des mises en situation. Je vais l’interroger sur la différence entre deux plats sur le menu, lui demander où sont les toilettes ou jouer à la cliente difficile qui pose plein de questions.

Il y a une affiche « J’apprends le français : encouragez-moi ! » dans votre restaurant. Est-ce que les clients vous parlent en français ?

LY

Oui. Avant, des clients qui me parlaient en anglais me parlent maintenant en français. Si les gens parlent lentement, je comprends. S’ils parlent vite vite, non !

AB

Lorsque Mme Yang me parle de sa semaine, je vois que beaucoup de clients semblent discuter avec elle en français. La plupart de ses conversations se font maintenant en français. En la côtoyant, les gens comprennent qu’elle veut le parler et qu’eux aussi doivent faire un effort pour l’aider.

Comme mentore, comment trouvez-vous l’expérience ?

AB

Être sur le terrain, ça m’apprend énormément de choses sur la petite histoire d’une personne, sur ses combats, sur sa culture. Je m’intéresse beaucoup à la recherche, et ça, c’est le côté « vrai ». On ne peut pas juste regarder les statistiques : il faut être conscient de la réalité des immigrants.

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