Les enfants de la DPJ victimes de la réforme Barrette, dit une juge

La réforme Barrette a créé un « désordre administratif » dans le réseau de la santé, et des enfants de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en paient le prix, vient de dénoncer une juge en demandant une vaste enquête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Le déclencheur : les droits d’un enfant de 5 ans « ont été lésés » par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Ouest, qui l’a fait attendre des mois avant d’évaluer son retard de développement.

Neuf mois sans services

Le cas soumis à la juge Mélanie Roy est celui de X, un garçon de 5 ans négligé par ses parents et aux prises avec d’importants retards de développement. Malgré une ordonnance d’évaluation et de suivi en orthophonie, l’enfant « en grand besoin de services » a dû attendre neuf mois avant d’être évalué. Il « n’a pas eu de réponse à ses nombreux besoins pendant plusieurs mois en raison de délais administratifs et du refus de prioriser le dossier », a écrit la juge Roy dans sa décision rendue à la fin du mois de mars, qui évoque un « exemple flagrant de désordre administratif au sein [des] établissements de santé » – le CISSS de la Montérégie-Ouest dans ce cas.

Mises en demeure entre services

C’est qu’avec la réforme mise de l’avant par le ministre Gaétan Barrette, tous les services de protection de l’enfance de la Montérégie sont passés dans le giron du CISSS de la Montérégie-Est, alors que X devait recevoir des services du CISSS de la Montérégie-Ouest, où se situe son lieu de résidence. Une situation « d’une extrême complexité » où le CISSS de la Montérégie-Ouest s’est traîné les pieds et « a aussi délibérément décidé de ne pas respecter l’ordonnance du tribunal pourtant très claire », selon la juge Roy. Au point de recevoir une mise en demeure du CISSS de la Montérégie-Est pour qu’il passe à l’action. « Le décalage entre les objectifs de la réforme […] et la réalité vécue par l’enfant est d’une parfaite ironie », écrit la juge.

« Le temps presse »

C’est l’avocate nommée par la justice pour représenter l’enfant qui a lancé une poursuite afin de faire reconnaître – avec succès – que les droits de son petit client avaient été lésés. Pour un enfant de 5 ans avec des retards importants, « le temps presse », a affirmé Me Hélène Robitaille en entrevue à La Presse. « La notion de temps pour un enfant, surtout en bas âge, ce n’est pas la même chose que pour un adulte. » Quant aux impacts possibles de l’inaction du CISSS de la Montérégie-Ouest, « pour l’instant, on ne le sait pas », a-t-elle dit. « Espérons qu’il a été pris en charge à temps et qu’il pourra rattraper les retards qu’il a pu accumuler. »

« Besoins urgents »

Me Robitaille s’est dite « choquée » par le cas de X. « Quand un juge en est rendu à ordonner qu’un enfant reçoive des soins de santé, c’est que c’est vraiment requis par son état », a-t-elle ajouté. Selon elle, le CISSS de la Montérégie-Ouest avait « une façon de faire rigide qui ne prenait pas en compte les besoins vraiment urgents de cet enfant – tellement urgents qu’un juge s’était prononcé là-dessus ». L’organisation voulait simplement placer X dans sa liste d’attente longue de plusieurs mois.

Enquête demandée

Visiblement fâchée par le cas de X, la juge Mélanie Roy a recommandé à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse d’enquêter sur la façon dont le réseau de la santé donne ses services aux enfants de la DPJ. « Il n’est ni dans l’intérêt de l’enfant ni dans celui de notre société de devoir composer avec des délais déraisonnables liés à des désordres administratifs de ce genre », a écrit la juge. Elle a d’ailleurs fait envoyer une copie de son jugement directement à la présidente de la Commission. L’organisation effectue « actuellement une étude sur les impacts de la [réforme] sur les services en protection de la jeunesse et le respect des droits des jeunes », a indiqué le porte-parole Jean-François Gagnon par courriel.

« Manquement important »

Du côté du CISSS de la Montérégie-Ouest, blâmé par la juge Roy, « on reconnaît qu’il y a eu un manquement important » dans ce cas, a indiqué la porte-parole Jade St-Jean. « On reconnaît que toute ordonnance du tribunal de la jeunesse est exécutoire à compter du moment où elle est rendue et que toute personne qui est visée par cette dernière doit s’y conformer sans délai. » L’organisation assure avoir rappelé les règles applicables aux équipes concernées.

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