Élections provinciales

Et si une récession se pointait le bout du nez ?

Neuf ans sans récession. Depuis les années 80, le Québec n’a jamais connu une aussi longue période sans récession. Et aucun économiste ne prévoit de nuages sombres sur l’économie du Québec avant au moins trois ans.

Pas de quoi s’inquiéter, donc ?

Pas tout à fait. Des experts en finances publiques suggèrent aux partis politiques de prévoir un coussin plus important dans les coffres de l’État québécois en vue de la prochaine récession, qui pourrait coûter quelque part entre 8,5 milliards et 16 milliards de dollars à Québec.

Aucun des quatre principaux partis n’envisage une réserve de stabilisation supérieure à 8,5 milliards au 31 mars 2023. La Coalition avenir Québec (CAQ) prévoit la réserve la plus imposante, le Parti libéral du Québec (PLQ), la moins imposante, alors que le Parti québécois (QS) et Québec solidaire (QS) sont en milieu de peloton.

Réserve de stabilisation au 31 mars 2023

(selon les cadres financiers des partis politiques)

CAQ 8,416 milliards

PLQ  3,853 milliards

PQ 5,295 milliards

QS 6,218 milliards

Actuellement, le gouvernement du Québec a 6,855 milliards dans sa réserve de stabilisation. Celle-ci augmenterait à 8,6 milliards en mars 2023 si le gouvernement y consacre ses surplus budgétaires futurs. Le ministère des Finances calcule l’effet d’une récession sur les revenus gouvernementaux à 8,5 milliards sur cinq ans. L’Institut du Québec arrive plutôt à 10 milliards sur cinq ans, et 16 milliards si Québec choisit de revenir au déficit zéro en sept ans. La dernière fois, en 2008-2009, la récession avait coûté 16 milliards au gouvernement du Québec.

« Pour se préparer, il y a deux choses à faire : toucher le moins possible à la réserve de stabilisation et essayer de ne pas trop dépenser quand ça va bien, car il faudra couper d’autant quand ça ira mal », dit Mia Homsy, directrice de l’Institut du Québec, un organisme de recherche associé au Conference Board du Canada et à HEC Montréal.

Détail important : l’Institut du Québec intègre dans son modèle de calcul une croissance moins élevée des dépenses de l’État – comme l’a fait le gouvernement Couillard au début de son mandat.

« Il y aura un effort à faire au niveau de la croissance des dépenses. »

— Mia Homsy

Le sujet d’une récession – ou, plutôt, le moyen de répondre à une récession – n’a pas été abordé en campagne électorale. Après tout, aucun économiste ne prévoit de récession d’ici 2023. Le Mouvement Desjardins prévoit toutefois une croissance beaucoup plus faible, à 0,3 %, en 2021.

Le titulaire de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, Luc Godbout, estime qu’il faudra faire le débat sur la réserve de stabilisation après les élections. « La récession de 2008 a été très sévère mondialement, mais très modeste au Québec et elle a coûté 16 milliards entre le premier et le dernier dollar de déficit, dit-il. Il y a un seuil à trouver. On pourrait dire que 10 milliards est un bon chiffre et que 15 milliards est le maximum. Vingt-cinq milliards, ce serait trop [prudent]. »

Retourner ou non en déficit ?

Même à 10 milliards, la réserve de stabilisation pourrait bien ne pas être suffisante pour lutter contre une récession. Le gouvernement devra alors décider s’il retourne en déficit ou s’il tente d’équilibrer son budget coûte que coûte.

Le premier ministre libéral Philippe Couillard tient à respecter l’équilibre budgétaire, sauf en cas de récession, a-t-il précisé jeudi dernier lors du débat à TVA. 

« Nous estimons que l’argent que nous avons suffira pour rencontrer les objectifs s’il devait y avoir une crise », a pour sa part dit en entrevue la ministre de l’Économie, Dominique Anglade, candidate dans Saint-Henri–Sainte-Anne, à Montréal, qui juge la question « hypothétique ».

La CAQ ne veut pas répondre à la question d’un retour au déficit en cas de récession, une fois la réserve épuisée. « C’est trop hypothétique comme question, dit François Bonnardel, candidat du parti dans Shefford, en Montérégie. […] Vous dire qu’on retournerait en déficit, c’est impossible à dire. C’est quand même majeur d’avoir 9 milliards [dans la réserve], le Québec pourrait très bien s’en tirer. »

Le PQ et QS sont très clairs : il vaut mieux retourner en déficit en cas de récession, une fois la réserve de stabilisation épuisée.

« C’est notre devoir, d’une part, de maintenir les services publics, dit Nicolas Marceau, candidat du PQ dans Rousseau (Lanaudière). Je ne veux pas revivre une situation où le gouvernement coupe en éducation. »

« Nous n’avons aucun problème à faire des déficits », dit Simon Tremblay-Pépin, candidat de Québec solidaire dans Nelligan, à Montréal. « Faire des déficits n’est pas un problème, le gouvernement sert à soutenir les particuliers et les entreprises [dans ces circonstances]. »

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