L’étonnant parcours de Marc Dos Santos

Douze ans se sont écoulés entre les débuts de Marc Dos Santos comme entraîneur professionnel dans le giron de l’Impact et sa nomination, en novembre, à la tête des Whitecaps de Vancouver, en MLS. Des proches et d’anciens joueurs racontent son parcours atypique.

Un entraîneur-né

Dans une école secondaire du Portugal, le professeur d’éducation physique regarde le jeune Marc, 16 ans, avec étonnement. Plutôt que de jouer, il vient de lui signaler son envie d’entraîner l’équipe de soccer en vue d’un important tournoi. « Ben non, ça ne se peut pas, tu as le même âge que les joueurs », lance le professeur. Réponse de l’adolescent : « C’est correct, laissez-moi faire. »

Le tournoi s’est effectivement bien passé et, surtout, l’histoire a montré qu’il ne s’agissait pas d’une lubie passagère. Car chez Marc, comme pour le reste de la famille Dos Santos, le soccer fait partie de son ADN.

À Brossard dans les années 80, les trois frères, Ricardo, Marc et Phillip, taquinaient le ballon dès qu’ils le pouvaient : à l’école, entre amis, dans des clubs de la Rive-Sud et, évidemment, autour de la maison familiale.

« On a grandi dans le foot, on y jouait jour et nuit, raconte Phillip, qui a rejoint son frère comme adjoint à Vancouver. À la maison, on s’assurait de ramasser les fruits qui étaient tombés par terre pendant nos matchs. On savait exactement à quelle heure notre père allait arriver. »

Le père, justement, est à la base de cet intérêt familial. Malgré la distance, son amour pour le club de Porto – dont il écoutait les matchs sur une vieille radio – ne s’est jamais éteint. Et, au quotidien, il a notamment été l’entraîneur des Luso-Stars, une équipe semi-professionnelle. « Dès le début, on a vu la dynamique d’un vestiaire et d’une équipe de foot », lance Phillip.

au Portugal

C’est cependant le déménagement au Portugal, au milieu des années 80, qui ouvre les yeux des garçons sur la « culture du foot ». Les valises sont à peine vidées que Marc et Phillip cherchent à intégrer un club de soccer. « Le Portugal était tout nouveau pour nous. On avait grandi au Québec et on n’était pas allés à l’école portugaise. On avait un portugais cassé à l’époque. Mais avec Marc, on allait de café en café pour trouver le club de football le plus proche, raconte Phillip. Très tôt, on a été débrouillards et on ne voulait pas attendre que papa ou maman nous amènent au club parce qu’on savait que ça n’arriverait pas. C’est nous qui cherchions à atteindre nos désirs et nos rêves. Ça a créé une résilience. »

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Marc Dos Santos a rapidement compris qu’il pourrait devenir un joueur honnête, mais pas extraordinaire. Parallèlement, il a vite saisi que le rôle d’entraîneur le « captivait » sans qu’il sache pourquoi. Il savait tout simplement que cela lui venait naturellement.

« Je pense que ça vient de notre père. Il a toujours été terre à terre et il ne nous a pas laissés vivre dans les nuages, croit Phillip. Il a aussi toujours été très juste, réaliste et cohérent. Ce sont des qualités de leader qu’un entraîneur doit avoir. Partout où moi, Marc et même Ricardo, qui a développé son entreprise [Savifoot] dans son sous-sol, sommes passés, on a dû développer ces qualités. »

À 22 ans, Marc part au Mozambique où son père possédait une entreprise. Phillip et lui y apprennent le langage universel du soccer dans un environnement fort différent de celui de leur enfance et de leur adolescence. 

Il y reste quatre ans avant un retour au Québec où, évidemment, il cherche à s’impliquer dans le milieu du soccer. Cela passe par des missions pas forcément glamour, mais qui sont particulièrement formatrices. 

« Quand des entraîneurs plus jeunes me demandent ce qu’il faut pour arriver chez les pros, je dis qu’il faut faire beaucoup de sacrifices. »

— Marc Dos Santos

« Je me rappelle, poursuit-il, quand, à cette époque, Phil et moi faisions des camps dans les Laurentides. On prenait trois autobus ou un train parce que c’était loin et que je n’avais pas de voiture. Il neigeait, c’était inconfortable, mais je le faisais pour rester dans le milieu et pour que les gens me voient travailler. Je me disais qu’un jour, j’allais avoir une opportunité plus grande. »

L’Impact de Montréal

Cette occasion arrive en 2006 alors qu’il occupe diverses fonctions au sein de l’Association régionale de soccer du Lac St-Louis. Il se rend au Soccerplexe Catalogna, dans l’arrondissement de Lachine, pour rencontrer Nick De Santis, entraîneur de l’Impact à l’époque. 

« Il m’avait fait une présentation de ses principes de jeu et de sa méthodologie, se rappelle De Santis. Je voyais qu’il était bien préparé. Même s’il n’a jamais joué au haut niveau, il était un véritable étudiant du jeu avec la culture du foot en plus. »

« Tout de suite, j’ai compris que c’était un jeune homme qui, dans sa tête, devait être entraîneur. On voyait qu’il était prêt à tout faire pour arriver là où il voulait aller. »

— Nick De Santis

De Santis lui offre alors le poste d’entraîneur de l’Attak de Trois-Rivières, club réserve de l’Impact qui dispute son année inaugurale. On est en 2007, Marc Dos Santos, 29 ans, fait son entrée dans le monde professionnel.

Gagner, de Montréal au Brésil

Lorsque Marc Dos Santos prend le chemin de Trois-Rivières au début de l’année 2007, l’équipe n’a ni nom, ni logo, ni joueurs. Il n’a que quelques semaines pour bâtir une équipe et mettre en place ses principes de jeu. L’entraîneur que l’on connaît aujourd’hui entreprend son parcours avec une ambition débordante.

« Dès le début, et même s’il n’avait pas une grosse feuille de route, tu sentais qu’il s’en allait quelque part. Tu avais le goût d’embarquer avec lui et de faire un bout de chemin, démarre Olivier Brett, ancien joueur de l’Attak, aujourd’hui animateur et analyste pour RDS et le 91,9 Sports. Avec ses chemises et ses vestons, Marc est un gars qui a du style le long de la ligne de touche. Quand on allait jouer à St. Catharines, en Ontario, il était déjà comme ça. »

« Ça montre qu’avant d’avoir les projecteurs sur lui, il avait ce côté ambitieux que, moi, je n’ai jamais perçu comme de la prétention. »

L’Attak gagne la Coupe du Canada dès sa première année avant de remporter le championnat de la saison « régulière » la saison suivante. Fiche combinée de l’équipe sous Dos Santos : 24 victoires, 7 défaites et 13 matchs nuls. 

« Ce qui m’avait marqué, c’était sa capacité à comprendre ce que l’autre équipe faisait bien, poursuit Brett. Il n’y avait pas une tonne de vidéos disponibles à ce moment-là, mais il arrivait toujours avec une idée très claire que le numéro 7 adverse était un petit Serbe qui aimait beaucoup rentrer à l’intérieur. Il avait toujours une petite pépite d’or avant le match et, 90 % du temps, ça se passait comme il l’avait prédit. »

Avec le grand club

Cela n’échappe pas à l’Impact qui le nomme, parallèlement à son poste à Trois-Rivières, adjoint de John Limniatis en 2008. Aux côtés du bouillant entraîneur, il apporte une bonne dose d’organisation. « Comme adjoint, il a été au-delà des attentes de la plupart des joueurs. Personne ne le connaissait vraiment, mais finalement, il était très efficace », indique l’ancien joueur Patrick Leduc, aujourd’hui directeur administratif des opérations soccer de l'Impact. 

« Il était bon dans ses discours, dans ses présentations, et il apportait un réel plus. À partir de là, les gens se sont dit que c’était clair qu’il allait être entraîneur un jour. Personne n’a fait la grimace quand ça s’est passé. »

— Patrick Leduc

La nomination, d’abord sur une base intérimaire, survient le 14 mai 2009. De Santis, qui observe attentivement les premiers instants, voit un entraîneur polyglotte capable de transmettre son message avec « émotion, passion et clarté ». 

« On sentait qu’il voulait progresser et qu’il connaissait bien le jeu. En devenant entraîneur-chef, il a pris une position un peu plus autoritaire, mais il aime aussi avoir des relations proches avec ses joueurs, ajoute l’ancien joueur Simon Gatti. Il ne pouvait pas se comporter comme un assistant, mais il l’est resté dans son approche. »

L’Impact de Dos Santos remporte le titre USL de 2009 face aux… Whitecaps de Vancouver. Mais, en juin 2011, il démissionne après une énième défaite à Edmonton. Cette dernière année avant l’entrée en MLS est pénible pour tout le monde. 

« Ce n’était pas facile parce qu’il y avait cette transition et que, dans sa tête, il savait qu’il ne serait peut-être pas l’entraîneur en MLS, estime De Santis. Il y avait toute une dynamique qui a fait en sorte que les choses se sont passées comme ça. Mais il a utilisé cette expérience pour s’améliorer comme entraîneur. »

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Après cette expérience montréalaise, Dos Santos aurait très bien pu prendre les rênes d’équipes de la USL, de la NASL, ou même devenir adjoint en MLS.

Mais il surprend tout le monde, en 2012, lorsqu’il opte pour le modeste club brésilien de Primeira Camisa.

« C’était extrêmement difficile d’arriver à un niveau plus haut dans sa cour où il n’y avait que l’Impact, le Toronto FC, les Whitecaps, précise Phillip Dos Santos. Il s’est dit : "Si je veux continuer ma carrière, ce ne sera pas ici. Il faut que je parte pour revenir plus fort." »

« C’était courageux de sa part, parce que le soccer brésilien est très difficile et vicieux. Pour un Canado-Portugais, d’arriver là-bas et d’avoir un poste comme Marc a ensuite eu à Palmeiras, c’est du jamais vu. »

— Phillip Dos Santos, frère de Marc

Dos Santos remporte la Coupe du Brésil avec les U15 du prestigieux club de Palmeiras avant de devenir le directeur technique du Desportivo Brasil. Si elle a été instructive, l’expérience brésilienne d’une quinzaine de mois a aussi comporté sa part de sacrifices. 

« Le Brésil, c’était incroyablement inconfortable pour ma famille et pour moi. Je faisais un salaire plus bas qu’au Lac St-Louis, par exemple. Je n’ai pas regardé l’argent, j’ai cherché à grandir en tant qu’entraîneur », reconnaît-il aujourd’hui.

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Comme avec l’Attak, Dos Santos est embauché par le Fury d’Ottawa, en 2013, avec une page blanche devant lui. Avant de démarrer le travail, le propriétaire John Pugh couche le montant du budget sur un bout de papier avant de lui lâcher un compatissant « good luck ».

Là encore, malgré de modestes moyens, Dos Santos ajoute une corde à son arc. « Ce passage à Ottawa m’a donné un bagage énorme en ce qui concerne l’organisation d’un club, puisque j’étais entraîneur-chef et directeur général. Les présidents qui m’engagent ne cherchent pas seulement un entraîneur. Ils cherchent un visionnaire, un administrateur et quelqu’un qui voit plus grand. »

L’expérience ottavienne est gratifiante et se termine par une finale perdue contre le Cosmos de New York. Mais à l’entendre, on devine que la saison 2017, avec les Deltas de San Francisco, est celle qui symbolise le mieux la mise en application de toutes les expériences acquises. Contre vents et marées, il mène au titre une équipe d’expansion qu’il a de nouveau montée de A à Z. 

« On savait dès le mois de juillet qu’on n’allait pas revenir pour l’année 2018. Marc a réussi à garder tout le monde concentré sur le même objectif, soit celui de gagner le Championnat, relate le défenseur Maxim Tissot. À partir de là, ç’a été un peu la mentalité du nous contre le reste du monde. Il a été très bon pour s’adapter à la situation, surtout que pour lui aussi, le futur n’était pas assuré. En finale, on voulait gagner pour l’équipe, mais aussi pour lui. »

« Il a eu une approche de la victoire à tout prix [« Whatever it takes »], prolonge Phillip qui a aussi vécu l’expérience californienne sur le banc. C’est un effet naturel de quelqu’un à qui rien n’a été donné et qui a dû travailler fort pour réussir. »

L’homme des Whitecaps

À chaque visite de l’Impact à Vancouver, une banderole sur laquelle est inscrit « Je me souviens 19.6.09 » est déployée par le groupe de partisans des Southsiders.

Elle fait référence à la lourde défaite montréalaise face au Toronto FC (6 à 1) qui a privé les Whitecaps du premier Championnat canadien de l’histoire. Qui était l’entraîneur qui avait opté pour une équipe B ce soir-là ? Marc Dos Santos. 

« On m’en a parlé, reconnaît-il. [Le président] Bob Lenarduzzi me l’a rapidement rappelé. Lors d’une table ronde avec trois groupes de supporters, l’un d’entre eux m’a dit : "Je ne t’ai jamais pardonné pour ce que tu as fait." Mais tout s’est bien passé après. »

Durant son mandat, cette banderole ne sera plus déployée dans les travées du BC Place Stadium. Outre le côté cocasse que cela aurait eu, il y a aussi le sentiment que Dos Santos est l’homme de la situation qui donnera un nouveau souffle aux Whitecaps.

Car depuis trois ans, la cote du Québécois est en forte hausse. Il a d’abord fait son entrée dans les milieux de la MLS en devenant l’entraîneur-chef des Swope Park Rangers, l’équipe réserve du Sporting Kansas City, en 2016. 

« J’ai beaucoup apprécié Peter Vermes [l’entraîneur du Sporting], mais je n’ai pas aimé ce rôle. Je n’ai jamais été un entraîneur leader parce que ce n’était pas mon groupe et qu’on a utilisé 45 joueurs, répète-t-il deux fois. Les résultats ont été super, mais ça ne me challengeait pas. » Puis, l’an dernier, il a occupé le poste d’adjoint de Bob Bradley, où il a pu « mieux comprendre la ligue ». Pas étonnant, donc, que son nom ait circulé lors de plusieurs processus d’embauche.

« Je l’ai senti extrêmement calme et serein cette fois-ci, raconte son frère Phillip. Ce sont des moments difficiles quand il y a de l’indécision et un changement qui peut arriver. Ça crée de l’anxiété, mais Marc avait vécu ça plus d’une fois auparavant et ce n’était pas sa première entrevue. Tu matures beaucoup dans ce travail et Marc s’est dit : "Je ne vais pas m’emballer. Je vais passer par le processus et on verra ce qui va se passer." La seule chose qu’il pouvait contrôler, c’était son entrevue et le projet présenté à l’équipe. »

Après plusieurs semaines de rumeurs, sa nomination a été annoncée le 7 novembre. Il lui a donc fallu 12 ans de « voyage » et des crochets par la Ligue canadienne de soccer (LCS), la USL, la NASL, le Brésil et un rôle d’adjoint avant d’atteindre son objectif de diriger une équipe de MLS. 

« Je pense que Vancouver est un bon endroit pour lui, mais ç’a peut-être été plus long qu’il ne l’aurait souhaité. »

— Patrick Leduc

Qu’en pense le principal intéressé, heureux de se retrouver dans un club « qui a marqué l’histoire du soccer canadien » ? « Oui, je me sentais prêt après avoir gagné en NASL avec les Deltas de San Francisco [en 2017], mais mon année à Los Angeles m’a apporté un complément. Est-ce qu’il y a des entraîneurs dans la MLS qui ont été nommés avec bien moins de préparation que moi ? Oui, absolument, peut-être même les deux tiers de la ligue. Moi, il m’a fallu des années et des années. »

Une identité à changer

Le travail n’a pas manqué lors des premières semaines du Québécois à la barre des Whitecaps. Avec la volonté de changer la culture du vestiaire, qui était divisé, mais aussi l’identité de jeu de l’équipe, il devrait modifier la moitié de l’effectif. L’argent reçu dans le transfert d’Alphonso Davies au Bayern Munich lui offre une belle flexibilité.

« L’année passée, souligne Dos Santos, Vancouver était une équipe très pragmatique qui jouait beaucoup sur la contre-attaque et sur les actions de Davies et de Kei Kamara. Je trouvais que c’était une équipe très forte physiquement, mais qui, à part ces deux-là, n’était pas assez dynamique. Les défenseurs étaient aussi très lents. C’est toute cette approche-là que j’aimerais changer. »

Pour y parvenir, Dos Santos n’est pas seulement cantonné à un rôle d’entraîneur. Il est également très impliqué dans le recrutement, les voyages de dépistage ou les discussions avec les agents et les recruteurs. Il a devant lui un portrait qui, à plus grande échelle, n’est pas si éloigné de ses débuts en 2007.

« Il a eu un travail de construction à Ottawa, à San Francisco, et il a commencé sa carrière comme ça. À Trois-Rivières, il avait très peu de moyens, mais il avait un canevas neuf pour choisir les gars sur lesquels s’appuyer, rappelle Olivier Brett. Puisque ç’a été l’implosion en fin d’année, il a maintenant un travail de reconstruction à Vancouver. »

L’histoire se répète en quelque sorte pour Dos Santos. Le voyage, lui, est loin d’être terminé.

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