Yoshua Bengio en quelques choix

Un film :

2001, l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick

Un livre :

Tous les livres de Yuval Noah Harari sur l’histoire de l’humanité

Un personnage historique :

Le philosophe Bertrand Russell. Baruch Spinoza également, autre philosophe, inventeur de la démocratie moderne. 

Un personnage contemporain :

Greta Thunberg, adolescente suédoise qui milite pour la lutte contre les changements climatiques

Une phrase : 

« Ce serait juste un mot : comprendre. C’est ce qui m’anime, me motive. »

Une cause :

La justice sociale, les enjeux climatiques. « On joue aux apprentis sorciers avec la planète, et ce sont les plus mal lotis qui souffriront le plus. »

Personnalité de la semaine

Intelligence profonde

La semaine dernière, Yoshua Bengio, grand spécialiste de l’intelligence artificielle (IA) reconnu mondialement, a gagné le prix Turing, conjointement avec le chercheur torontois Geoffrey Hinton et le français Yann Le Cun, pour son travail en intelligence artificielle.

Dans le monde de l’informatique, il n’y a pas de prix Nobel. Il y a le Turing.

La reconnaissance est immense. « J’étais un peu nerveux parce qu’il fallait faire un petit discours », dit le professeur au sujet de la cérémonie de remise du prix, qui avait lieu à San Francisco. Ses idoles étaient-elles sur place ? « Oui, mais mes idoles, ce sont aussi mes amis. »

L’agenda du professeur, homme d’affaires – il est cofondateur d’Element AI –, chercheur et spécialiste de l’art de rendre les ordinateurs intuitifs est ridiculement rempli. Trouver un moment pour lui parler relève du défi olympique. Je l’attrape alors qu’il mange un sandwich végé avant l’enregistrement d’une longue entrevue à la télé avec France Beaudoin.

Bengio est devenu une superstar. Celui qui a fait de Montréal un carrefour en « intelligence profonde », en intelligence artificielle, en fondant notamment Mila, une référence en recherche dans ce secteur. 

Est-il en train de montrer aux ordis à penser à notre place ?

Pas encore !

Pour le moment, même le plus intelligent des ordinateurs, même celui qui a battu l’humain au jeu de go, a à peine la même intelligence qu’une grenouille ou un chat à qui l’on aurait passé sa vie à apprendre une seule chose, explique-t-il. Ce que la recherche permet, actuellement, c’est d’amener l’ordinateur à construire sa propre intuition, basée sur l’expérience. On s’inspire de processus de notre cerveau, parfois difficiles à verbaliser tant ils sont complexes et vastes, mais on demeure néanmoins dans la reproduction de toutes petites parties de tout ce que notre tête peut accomplir.

Yoshua Bengio est né à Paris. Ses parents, originaires de Casablanca, désireux de s’éloigner d’un environnement familial traditionnel, avaient décidé d’aller étudier là-bas. Son père avait opté pour la biologie, la pharmacie et la philosophie. Il est devenu pharmacien. Sa mère a fait des études en économie, mais a passé sa vie dans la gestion de milieux culturels.

La famille a déménagé à Montréal alors que Yoshua avait 12 ans. Il a ensuite étudié dans les écoles publiques, notamment au cégep de Saint-Laurent, où l’on fumait déjà beaucoup de pot à l’époque, raconte-t-il en riant. 

Ce fut ensuite McGill pour des études en génie informatique, une maîtrise, un doctorat, tout à McGill, puis un postdoc au Massachusetts Institute of Technology, avant de revenir enseigner à l’Université de Montréal et de fonder, par la suite, Mila, institut québécois d’intelligence artificielle.

amoureux de l’IA

C’est à McGill que le jeune étudiant a commencé à lire sur les travaux de Geoffrey Hinton. C’est là, dit-il, qu’il est « tombé amoureux » des idées sur l’intelligence artificielle. « On a une relation émotionnelle avec nos idées », dit-il. Le sentiment que c’est là qu’il faut aller.

« C’est l’intuition qui nous guide dans la recherche. »

— Yoshua Bengio

Chez les Bengio, l’éducation a toujours été valorisée. Le père était « un amoureux de la science ». Le frère de Yoshua est aussi un grand chercheur en informatique, en intelligence artificielle, et travaille pour Google. Ensemble, ils ont signé nombre d’articles, souligne Yoshua. 

Et, aujourd’hui, le fils du chercheur fait aussi son doctorat dans ce domaine, à McGill.

Difficile de parler d’un seul sujet avec le professeur Bengio. On va de l’utilisation de l’intelligence artificielle en politique à la surabondance d’informations dans nos cerveaux – l’humain est fait pour gérer une vie avec 200 personnes dans sa tribu, pas 1000 ! –, en passant par la place des femmes en informatique, qui s’est réduite depuis 15 ans, déplore-t-il. 

On parle de changements climatiques, de l’assainissement de la démocratie, de l’absence de débats publics rationnels et de la foule de possibilités qu’offre l’intelligence artificielle dans tous ces champs. 

Le professeur croit profondément dans le maillage entre la recherche et les entreprises afin que les deux camps s’entraident et se fassent avancer mutuellement. 

Prévoir la transition

On parle, évidemment, beaucoup de l’avenir, des gens qui perdront leur emploi et qui devront être recyclés, reformés, revalorisés. Que ce soit les employés de bureau ou les conducteurs. Partout là où l’intelligence artificielle pourra prendre le relais, elle mettra en danger un éventail d’emplois. L’informatisation et la robotisation sont déjà implantées.

C’est pour cela, dit-il, qu’il faut absolument avoir une perspective d’affaires, une recherche de revenus pour financer les conséquences sociales de ces transformations.

Il faut se donner les moyens, collectivement, d’aider la transition pour qu’elle inclue tout le monde et n’entraîne pas de grave pauvreté.

« L’automatisation peut apporter la misère humaine, admet le chercheur. Il faudra adapter le filet social. » Il faut que la richesse créée par l’avancement de la technologie et de la science puisse aider ceux qui souffrent de ces changements.

Yoshua Bengio pense constamment à l’avenir avec ces technologies et apprécie la série télé Black Mirror, diffusée sur Netflix, dans laquelle les trames narratives montrent des répercussions potentielles des technologies sur nos vies, comme un robot qui devient fou et les réseaux sociaux qui ruinent encore davantage les vies qu’ils ne le font déjà. 

« C’est une bonne série, dit-il. Une bonne façon de nous faire réfléchir. »

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