Chronique

L’échec du CH

Le départ de P.K. Subban est un échec pour Marc Bergevin et Michel Therrien. Au cours des quatre dernières années, manquant d’imagination, de souplesse et de doigté, ils ont été incapables de tisser des liens solides avec ce jeune homme doté d’une personnalité unique dans l’univers si traditionnel du hockey.

Gérer le numéro 76 demandait à ses patrons de sortir de leur zone de confort, seule façon d’actionner les bons ressorts pour maximiser son talent. Diriger une vedette n’est jamais facile, encore plus lorsque celle-ci mène une vie active à l’extérieur de la patinoire et assume, avec un plaisir évident, son statut de star.

Oui, il est plus délicat de composer avec un P.K. Subban qu’un Max Pacioretty ou un Brendan Gallagher. Mais une direction plus habile et moins conservatrice aurait relevé ce défi.

Même si Subban a été avec Carey Price le meilleur joueur du Canadien depuis la saison 2012-2013, il a été le plus souvent blâmé par son entraîneur. La sortie de Therrien à son endroit, après une défaite au Colorado en février dernier, en constitue un éclatant rappel.

Dans cette saison de misère, où Subban a été le moteur de l’attaque en plus de jouer 26 minutes par match et où plusieurs de ses coéquipiers ont tourné au ralenti, cette flèche était le signe d’un profond malaise.

Subban, bien sûr, n’est pas sans reproche. Le fait que ses coéquipiers ne l’aient pas choisi en fin de saison comme candidat du Canadien au trophée King-Clancy, qui récompense l’engagement communautaire d’un joueur de la LNH, est significatif. Son généreux soutien à l’Hôpital de Montréal pour enfants aurait normalement dû lui valoir cette distinction. Favori du public, son appui n’était pas le même dans le vestiaire.

Les joueurs savent flairer l’ambiance au sein de leur direction. Ils devinaient que leurs patrons entretenaient aussi des réserves envers Subban. Ainsi, on n’a senti aucune joie chez Bergevin lorsqu’il lui a accordé un lucratif contrat de huit ans à l’été 2014. Or, quand une équipe tient vraiment à un joueur, s’assurer de ses services à long terme est habituellement un jour de fête.

Ce jour-là, Bergevin a cédé aux demandes de Subban pour des motifs de pression publique. Le DG n’a jamais semblé faire la paix avec cette tournure des événements. Peut-être parce qu’elle lui rappelait l’erreur commise deux ans plus tôt, lorsqu’il lui avait enfoncé un contrat de transition dans la gorge. Il a ainsi raté la chance de lui faire signer une entente à long terme pour une somme moins colossale.

***

Les lecteurs de cette chronique le savent : je pense que Subban était un atout extraordinaire pour le Canadien. J’apprécie son sens du spectacle, son habileté avec la rondelle, ses extraordinaires dons de communicateur, son amour pour Montréal, son panache dans sa vie de star et sa capacité à performer sous pression.

Rappelez-vous ses magnifiques performances contre les Bruins de Boston durant les séries de 2014, alors que tous les feux de la rampe étaient braqués sur lui. Ce n’est pas un hasard si aucun patineur du Canadien n’a autant capté l’imagination des fans depuis les époques de Patrick Roy et de Guy Lafleur.

Voilà pourquoi la transaction d’hier me déçoit. Être témoin de l’enthousiasme de Subban sur la patinoire match après match était un régal. 

Je demeure convaincu que les chances du Canadien de gagner la Coupe Stanley étaient meilleures avec lui que sans lui. Mais au bout du compte, son départ de Montréal lui sera profitable.

Pourquoi ? Parce que peu importe son rôle dans la société, une personne a besoin d’être appréciée de ses patrons et de ses collègues pour travailler dans la confiance et la sérénité. C’est la seule façon de s’épanouir avec succès dans sa vie professionnelle, peu importe le salaire qu’on gagne.

Or, les relations de Subban avec la famille du Canadien ont pris une tournure pour le pire au cours des derniers mois. Il est devenu le principal sujet de conversation en fin de saison. Du coup, Subban est devenu le « cas Subban ».

Résultat, on en a oublié les autres problèmes du Canadien. Parmi eux, un manque de créativité à l’attaque et l’inaction de Bergevin au cours de l’été précédent, qui a coûté si cher à l’équipe.

En prévision de la prochaine saison, trouver une solution au « vivre ensemble » était devenu une priorité pour le Canadien. Bergevin l’a reconnu à sa façon. Et il a réglé la question de la manière la plus simple, mais aussi la plus risquée : expédier sous d’autres cieux son patineur le plus flamboyant, le plus performant et le plus populaire auprès des fans.

Le DG assure ne pas avoir « magasiné » Subban, comme s’il voulait s’excuser auprès des partisans déçus, comme s’il n’avait pas vraiment envisagé ce scénario avant de recevoir les appels de ses homologues. Allons donc !

En rappelant lors du bilan de fin de saison que même Wayne Gretzy avait été échangé, Bergevin a lancé un message à ses collègues. Tout DG qui s’exprime ainsi à propos d’un joueur vedette sait parfaitement ce qu’il fait. David Poile, le vieux routier des Predators de Nashville, a vite décodé les mots de Bergevin. Et il a saisi l’occasion de rajeunir et améliorer son équipe avec l’un des patineurs les plus dynamiques de la LNH.

Subban s’est dit heureux d’aboutir dans une organisation souhaitant réellement ses services. Je le comprends parfaitement.

***

Et Shea Weber ? Bien sûr qu’il est un excellent joueur ! Mais pour combien d’années encore ? Il aura 31 ans lorsque s’amorcera la prochaine saison. À cet âge, bien des joueurs commencent à ralentir.

Weber se maintiendra peut-être au plus haut niveau pendant encore trois saisons, mais le risque que ce ne soit pas le cas demeure réel.

Subban, de son côté, vient de fêter ses 27 ans. Ses meilleures années sont clairement devant lui. Et son impact offensif sera difficile à remplacer, peu importe les mérites de Weber.

À court terme, la décision d’hier rendra la vie de Bergevin et Therrien plus simple. Mais elle ne fera pas du Canadien une meilleure équipe à moyen et long terme.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.