Sophie Lorain en six temps

Il était une fois dans l’Est (1974)

« J’avais 12 ans. André Brassard voulait une préado qui ressemblait à ma mère [Denise Filiatrault]. Je l’ai fait pour toutes les mauvaises raisons, notamment pour que mes parents posent un regard important sur moi. Le fait est moins connu, mais mon père [Jacques Lorain] venait d’une famille d’artistes à Paris. Mon grand-père a dirigé un théâtre là-bas et ma grand-mère était comédienne. Ça m’impressionnait beaucoup et je ne pensais jamais être à la hauteur. Ça me semblait inaccessible. »

Scoop II-III-IV (1993-1995)

« Cette série, dans laquelle je suis arrivée vraiment à la troisième saison, m’a valu une notoriété, mais ironiquement, je ne suis même pas parvenue à décrocher une audition pour la première saison ! Ce n’est qu’après m’avoir vue au théâtre que Réjean Tremblay et Fabienne Larouche –  les auteurs de la série – m’ont demandé d’aller faire un essai. Je passe toujours par la porte d’à côté, on dirait ! »

Omertà, la loi du silence (1996-1997)

« Ça aussi, c’est drôle. Nous avons d’abord tourné pendant trois semaines une première série qui n’a jamais été diffusée. La production s’est arrêtée, tout a été revu, y compris la distribution. Je me suis retrouvée avec un personnage complètement différent de celui qui m’était destiné au départ, et pour lequel j’ai dû passer une audition. Ce petit rôle a évolué au fil de la deuxième saison. »

Fortier (2001-2004)

« Ce fut un succès monstre. Après quelques années, on songeait, Fabienne [Larouche] et moi, à y mettre fin parce que j’avais l’impression que nous étions arrivés au bout de l’affaire. Pour me donner un nouveau défi, Fabienne m’a proposé de réaliser deux épisodes. Je lui en serai toujours reconnaissante, car cette expérience-là m’a ouvert de nouvelles portes. »

Au secours de Béatrice (2014-2017)

« Le deuil n’est jamais très long à faire, car ça ne me tente pas d’aller là. Béatrice est un fichu de beau personnage dont l’histoire a été amenée au bout par l’auteure, Francine Tougas. On a fait tout ce qu’on avait à faire. Si on avait poursuivi, je crois qu’on serait tombés dans le sirop et il n’y a rien que je déteste plus que ça. Les bons sentiments, la morale, pas capable, même si c’est parfois la solution facile. »

C’est le cœur qui meurt en dernier (2017)

« Il est bien difficile pour moi de prendre du recul. Toutes mes scènes ont été tournées en dernier. Comme je jouais ma mère plus jeune, je me suis demandé si je devais regarder ce qu’elle avait fait, elle, avant que j’arrive. Mais maman m’a dit non, en m’expliquant qu’elle n’était pas du tout la même femme à 45 ans, l’âge où moi, je la jouais. J’ai fait confiance à la ressemblance, qu’on partage forcément, et le reste a suivi ! »

Sophie Lorain

Le droit au plaisir

Neuf ans après Les grandes chaleurs, Sophie Lorain signe un deuxième long métrage, qui met en lumière la vie de trois adolescentes. N’ayant rien du film d’ado traditionnel, Charlotte a du fun cherche plutôt à faire écho à la parole des jeunes de la nouvelle génération, à leurs envies et à leurs explorations, sans qu’aucun adulte n’intervienne dans une histoire qui, de toute façon, ne les concerne pas.

Une bouée à la mer. Voilà comment Sophie Lorain décrit Charlotte a du fun, son nouveau long métrage à titre de réalisatrice. À une époque où les œuvres sur l’adolescence traitent beaucoup d’intimidation, de prostitution et d’autres thématiques très lourdes, la vedette d’Au secours de Béatrice a voulu brosser un autre portrait, plus léger, mais tout aussi authentique.

« Il y a de la place pour avoir du fun, sans se culpabiliser et sans se faire faire la leçon, dit-elle en entrevue. Je ne suis pas du tout dans la dynamique du ‟ce serait donc bien que les parents voient ce film-là avec leur ado”. Je ne veux pas ça. J’en suis même un peu tannée. L’histoire qu’on raconte dans ce film ne porte pas de message autre que celui qu’il faut profiter de sa jeunesse, avoir du plaisir tout en prenant garde. C’est juste ça. Il faut se donner la permission d’avoir du fun à cet âge, sinon quand se la donnera-t-on ? »

Aux yeux de Sophie Lorain, la réalisation d’un film fait partie des métiers d’interprétation, au même titre que le jeu.

« À vrai dire, j’aime pas mal tout ce qui est lié à ces métiers, que ce soit devant ou derrière la caméra. J’aime travailler en équipe, confronter mes idées avec des personnes en qui j’ai confiance, être confrontée aussi. » — Sophie Lorain

« Depuis 20 ans, je travaille beaucoup avec Alexis Durand-Brault [son conjoint], avec qui la relation fut d’abord professionnelle, poursuit-elle. Nos travaux respectifs ne seraient sans doute pas les mêmes, l’un sans l’autre. Comme il n’y a aucune complaisance entre nous, ça peut parfois être un peu dur pour l’entourage parce qu’on n’a pas peur de discuter, en toute franchise. Il y a une communauté d’esprit à la base. Et ça, j’aime ça. »

Appeler un chat un chat

Celle dont la rebelle intérieure n’est jamais enfouie très loin porte cette fois à l’écran un scénario de Catherine Léger, avec qui elle avait déjà cosigné le script de La petite reine (réalisé par Alexis Durand-Brault). Campé dans le décor du magasin Jouets-Dépôt, le récit relate le parcours de trois amies étudiantes (Marguerite Bouchard, Rose Adam et Romane Denis) qui, tombées sous le charme des jeunes gars du magasin, posent leur candidature pour un emploi. À l’heure de toutes les expériences et de toutes les explorations, au moment où les pulsions sexuelles sont au sommet du désordre, les relations des uns avec les autres occupent évidemment une place cruciale dans les conversations. Dans Charlotte a du fun, on appelle d’ailleurs un chat un chat.

« En faisant des visionnements tests, on s’est aperçus que le film choquait beaucoup les pères de plus de 40 ans qui ont des filles de cet âge, fait remarquer la cinéaste. Je n’ai pas du tout tenu compte de leur avis, mais il est certain que des gens autour de moi ont commencé à freaker un peu quand ils s’en sont rendu compte. Si une scène choque les parents à cause de ce qu’elle révèle, ça fait mon affaire, parce que ça m’indique que les ados risquent alors de s’y retrouver. On n’est pas dans Aurélie Laflamme, pas dans À vos marques… party ! non plus, même pas dans 1 : 54. On est dans autre chose. »

« Je n’ai pas fait un film familial. Cela dit, je crois qu’on peut viser un public un peu plus large. Le questionnement qu’on a à cet âge est de même nature de génération en génération. »

— Sophie Lorain

La scénariste Catherine Léger n’a plus 17 ans. Sophie Lorain non plus. Cette vision de la vie adolescente ne risque-t-elle pas d’être pervertie par une perception d’adulte ? Comment éviter ce piège ?

« La seule façon, c’est d’être fidèle à soi-même, indique la réalisatrice. Je ne peux évidemment pas me glisser dans la peau d’une ado d’aujourd’hui et prétendre tout savoir d’elle. Mais contrairement à ce qui se fait bien souvent au cinéma et à la télé, j’ai choisi des acteurs qui, tous, ont l’âge de leur personnage, et non des plus vieux qui jouent des plus jeunes. Je ne voulais pas de personnages d’adultes dans le décor non plus parce que c’est leur univers, leur monde à eux, et nous, on n’a rien à faire là-dedans. Ce qui m’intéressait, c’est la vérité de ce qu’on est à cet âge. »

Un choix artistique audacieux

Sophie Lorain a aussi fait un choix artistique audacieux, réservé habituellement à des productions plutôt sombres de propos : l’utilisation du noir et blanc. Pour la réalisatrice, ce choix relevait de l’évidence, même s’il a eu l’effet d’une bombe auprès des institutions et des différents intervenants.

« Dès mes premières notes d’intention, le noir et blanc était un choix très clair, explique-t-elle. Je l’ai choisi parce que je voulais que la parole de Catherine Léger soit entendue. Grâce au noir et blanc, l’aspect visuel ne peut plus alors se perdre dans un million de choses et l’oreille du spectateur est davantage interpellée par les dialogues. D’autant que dans un magasin de jouets, les couleurs auraient été trop vives, trop orgiaques. Le noir et blanc ajoute aussi une note plus poétique. Et les jeunes regardent plein de clips en noir et blanc sur leur téléphone. Même McDo vient de lancer toute une campagne en noir et blanc. Quand j’ai vu ça, je me suis dit que mon choix n’était pas si fou ! »

Cela dit, Sophie Lorain comprend tout à fait les craintes des institutions face à ce choix, et celles de tous les intervenants de la chaîne, à vrai dire. D’un point de vue de mise en marché, il est vrai que les productions en noir et blanc sont habituellement associées à des films d’art plus pointus, et que les succès à la The Artist se font plutôt rares.

« C’est difficile de garder le cap et de tenir son bout envers et contre tous. D’autant que tout le monde est conscient que les temps sont durs. On attendait sans doute un film plus traditionnel, mais pour moi, il était hors de question de faire ça. Dans les visionnements tests que nous avons faits, jamais la question du noir et blanc n’a été évoquée de façon négative. »

Charlotte a du fun prendra l’affiche le 2 mars.

Dix pour cent, façon Québec

Sophie Lorain produit l’adaptation québécoise de la série française Dix pour cent (Appelez mon agent), écrite par Catherine Léger, et dont la réalisation sera assurée par Alexis Durand-Brault. Le titre québécois n’est pas encore trouvé. « C’est une relecture, car le contexte artistique québécois est complètement différent du contexte artistique français, prévient la productrice. On a découvert la série avant même sa première diffusion en France, car Dominique Besnehard, qui en a eu l’idée, a été l’agent de maman en France. Quand on l’a vue, on s’est dit exactement ça : un Du tac au tac, 40 ans plus tard, avec plus de profondeur ! Nous commençons les tournages en avril pour une diffusion à l’automne sur les ondes de TVA. »

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