Le travail sur soi au service de la médecine

La médecine est une profession ancrée dans la science et les technologies et elle est ainsi une discipline en évolution constante. Un des engagements fondamentaux de la pratique médicale est donc le maintien des compétences et des connaissances en fonction de ces changements : c’est ce qu’on appelle le développement professionnel continu (DPC). 

Le public, qui connaît bien les longues années d’études et de stages nécessaires pour terminer une formation médicale, est peut-être moins au courant de cet aspect de la formation médicale, qui est poursuivi en dehors des bancs d’école et des hôpitaux universitaires, tout au long de la carrière d’un médecin.

Les médecins québécois sont présentement en pleine transition en ce qui concerne le DPC, puisque le Collège des médecins du Québec (CMQ) a mis en place un nouveau règlement sur le DPC pour tous ses membres. Dorénavant, nous devrons accumuler un certain nombre de crédits de DPC sur un cycle de cinq ans. Plusieurs médecins québécois le faisaient déjà, pour maintenir leur statut de membre dans les associations professionnelles telles que le Collège des médecins de famille du Canada, ou le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, pour les spécialistes, mais ce genre de programme est maintenant rendu obligatoire.

Selon le site du CMQ, le besoin d’imposer un tel règlement découlait directement d’une préoccupation pour la qualité des soins. Effectivement, parmi les médecins québécois, « l’absence de développement professionnel continu (DPC) ou d’un plan de DPC conforme double les risques d’avoir un exercice non satisfaisant », aux dires du Collège. Le règlement émerge d’une volonté de protéger la qualité de l’acte médical.

Le DPC a aussi une notoriété pour d’autres raisons. Plusieurs lecteurs auront vu les reportages récents sur les formations de DPC offertes aux médecins québécois sur une plage dominicaine et une montagne néo-zélandaise. Ces cours accrédités, dont les frais sont payés par les médecins mais sont déductibles d’impôts, et pour lesquels les médecins reçoivent une rémunération de la RAMQ, donnent l’impression, justement ou à tort, que le DPC est plutôt un tour de passe-passe pour que les médecins puissent prendre des vacances payées, déductibles d’impôts. (J’ai moi-même participé à une formation – et oui, il y avait des formations – de DPC offert à Whistler, dont l’horaire était conçu pour permettre des pauses ski).

Après le tollé médiatique concernant un cours pour les omnipraticiens donnés en Thaïlande, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a annoncé qu’elle n’organiserait plus de formations dans des destinations exotiques. Ce geste surtout symbolique fait tout de même preuve de bonne volonté et de leadership intelligent de la part de la FMOQ.

Le nouveau règlement pour les médecins québécois est donc un excellent développement, et la qualité des connaissances et de l’expertise de nos médecins devrait en bénéficier à la longue. 

C’est une bonne chose pour la qualité des soins, et donc pour le public. C’est une preuve aussi que le corporatisme médical peut faire autre chose que protéger les intérêts étroits des médecins et favoriser le statu quo : il peut apporter de véritables progrès pour la profession et pour la population.

Réjouissons-nous donc, et du même élan, voyons comment la mise en place de ce nouveau régime de DPC pourrait nous mener encore plus loin.

Les activités incluses dans le régime de DPC couvrent plusieurs catégories, dont les conférences et réunions, les cours universitaires et formations d’appoint, les lectures, et des activités d’évaluation variées, le plus souvent des petits quiz, surtout complétés en ligne.

Bien qu’il y ait plusieurs types d’activités couvertes, la réalité du DPC dans le cadre d’une pratique médicale déjà surchargée est qu’elle est souvent faite le plus rapidement possible, à la dernière minute, du moins selon mon expérience. C’est une de ces tâches qui nous prend par surprise et qu’on complète en panique, du mieux qu’on peut, comme les impôts ou les emplettes de Noël. Certains le font sans doute de façon plus assidue que d’autres, mais il est possible d’en faire un minimum et de tout de même répondre aux exigences.

Le DPC est surtout axé sur les connaissances et sur l’expertise médicale. C’est bien approprié dans un contexte où la matière à maîtriser est vaste et où les nouveautés apparaissent sans cesse, mais, dans un monde idéal, le DPC nous encouragerait aussi à développer d’autres compétences, et plus particulièrement à travailler sur nous-mêmes.

Lors de difficultés professionnelles récentes, j’étais très près de quitter la pratique médicale. Je me sentais frustré, limité et insatisfait de mon métier, que j’avais pourtant choisi avec enthousiasme. C’est en travaillant avec un coach que j’ai pu explorer ce qui me manquait dans mon travail, mais aussi comprendre mes forces et me faire une idée claire de ce que je recherchais. Pour moi, être exposé à une approche qui provenait d’une culture professionnelle différente ancrée dans de nouvelles notions (« énergie », « croyances limitantes », « développement personnel ») m’a permis d’aller vers le changement qu’il me fallait pour retrouver la volonté de faire mon travail.

Ce processus de coaching, vis-à-vis duquel j’étais sceptique et que j’ai entrepris à la suite de l’encouragement d’une amie qui travaillait dans une grande entreprise du secteur des arts, a véritablement sauvé ma carrière médicale. 

Or, je ne crois pas qu’il corresponde à l’image du DPC que se font la plupart des médecins ou le CMQ. Faire un tel travail d’introspection et de questionnement sur le lien entre son travail et ses motivations profondes n’est pas chose commune parmi les médecins.

On pourrait donc s’imaginer une exigence du règlement de DPC qui prescrit un certain nombre d’heures de développement personnel continu, que ce soit du coaching, des ateliers, des séances de groupe axées sur la résolution des problèmes au sein des équipes, ou d’autres approches novatrices pour affronter les défis rencontrés par tous les professionnels de la santé. Cette exigence serait d’autant plus importante qu’elle ne surviendrait pas uniquement en situation de crise, mais de façon régulière et récurrente.

Une telle innovation pourrait apporter une grande richesse et une profondeur humaine, intellectuelle, et organisationnelle au corps médical québécois. Un beau défi à se lancer pour 2020.

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