Libre-échange Canada-Europe

Les PME déjà à l’affût des occasions

Alors que 90 % des mesures de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne entrent en vigueur le 21 septembre, des PME québécoises se préparent à profiter d’un accès privilégié au marché européen – une communauté de 500 millions de personnes. Un expert explique comment les PME peuvent profiter des occasions qui s’offrent à eux.

Libre-échange Canada-Europe

la chance de devancer les Chinois et les Américains 

Signé le 30 octobre 2016, l’Accord économique et commercial global (AEGG) permettra au Canada d’établir des relations commerciales privilégiées avec son troisième partenaire commercial en importance, l’Union européenne. Seulement en 2016, les échanges commerciaux entre le Québec et l’Union européenne ont atteint 30,8 milliards de dollars – les deux tiers représentaient des importations du Québec.

« L’AECG permettra aussi aux entreprises canadiennes de mieux se positionner en Europe face aux concurrents étrangers, principalement américains ou chinois », explique Didier Culat, avocat d’affaires spécialisé dans le commerce international.

Voici un survol des avantages de ce traité pour les PME du Québec et des éléments à considérer avant de se lancer sur ce marché.

Des avantages pour les entreprises québécoises

Les 28 pays de l’Union européenne (UE) forment une économie qui constitue le deuxième marché en importance dans le monde. 

Par ailleurs, seulement 25 % des lignes tarifaires (catégories de produits) établies par l’UE sur les produits canadiens sont exemptés de droits de douane actuellement. L’entrée en vigueur de l’AECG va éliminer les tarifs douaniers sur 98 % de ces lignes. 

Cette élimination ne sera pas graduelle. Elle se fera d’un seul coup, le 21 septembre. Cette abolition des tarifs douaniers entraînera une baisse de coûts qui peut se traduire par un avantage compétitif accru pour les entreprises canadiennes face aux entreprises étrangères dans les relations d’affaires avec des clients européens. 

« Par exemple, les baisses de tarifs douaniers instaurés par l’ALENA en 1994 étaient graduelles et se sont étalées sur sept ans. Il était plus difficile pour un client américain de sentir une baisse de prix grâce à cet accord à cause de l’inflation », affirme Didier Culat. « En introduisant une élimination des tarifs en un seul temps, l’AECG s’assure que l’accord va se traduire par des avantages plus concrets dans les relations commerciales entre les entreprises canadiennes et celles de l’Union européenne. »

Mobilité de la main-d’œuvre qualifiée

Par ailleurs, l’AECG a apporté des modifications majeures dans le domaine de la mobilité de la main-d’œuvre entre le Canada et l’Union européenne.

Avant l’entrée en vigueur de l’accord, la mobilité de la main-d’œuvre faisait l’objet d’un processus bureaucratique très complexe. « Une entreprise désireuse de recruter un Européen devait faire une étude de marché qui coûte près de 1000 $. Elle devait attendre son résultat qui, s’il était positif, lui donnait une autorisation de recrutement », affirme M. Culat.

En vertu de l’AECG, certaines catégories de professionnels sont exemptées de cette démarche et la procédure sera plus facile et moins coûteuse. L’entreprise désirant recruter un professionnel européen n’aura qu’à soumettre la demande à Industrie Canada. Cette dernière fera l’analyse du dossier et soumettra sa recommandation à Citoyenneté et Immigration Canada.

Accès aux marchés publics

Si l’accès aux marchés publics reste l’un des sujets brûlants de la renégociation de l’ALENA, il est désormais plus facile pour une PME québécoise de devenir fournisseur de services pour l’un des ordres de gouvernement des 28 États membres de l’Union européenne. 

Actuellement, les entreprises canadiennes peuvent soumissionner à des contrats au niveau fédéral ou national en Europe. Leurs soumissions ne sont pas recevables pour les contrats offerts par des entités municipales ou locales. L’AECG permet aux entreprises canadiennes de soumissionner à des contrats de tous les ordres de gouvernement au-dessous d’un certain niveau. 

« Une entreprise québécoise sera traitée sur un pied d’égalité avec une entreprise européenne s’agissant d’une soumission pour un contrat gouvernemental », dit M. Culat.

Si une entreprise québécoise pense que le processus d’attribution d’un contrat gouvernemental n’a pas été équitable, elle peut s’adresser aux tribunaux de droit commun habilités à trancher sur la question.

Se préparer à entrer sur le marché européen

« Plusieurs facteurs doivent être pris en considération avant de se lancer dans l’aventure européenne », précise Didier Culat. L’un des premiers éléments qu’une PME tentée par l’Union européenne devrait examiner est de déterminer si le produit à exporter est considéré comme un « produit originaire du Canada », conformément aux règles d’origine énoncées dans l’AECG. Selon l’accord, seul un produit d’origine canadienne peut bénéficier de l’exemption des tarifs douaniers aux portes de l’un des pays de l’union monétaire.

Le respect du critère « originaire du Canada » dépend du degré de transformation faite au Canada et de la proportion de composants canadiens entrant dans la fabrication du produit. Les entreprises doivent porter une grande attention aux pays d’origine des pièces et à l’origine des composants d’un produit fabriqué au Canada. Elles doivent aussi être attentives au degré de transformation faite au Canada avant de conclure que leurs produits satisfont aux critères.

« Il importe pour les entreprises de bien vérifier leurs approvisionnements en matières premières et pièces afin de détecter les occasions ou les problèmes possibles », affirme Didier Culat. L’expert en droit des affaires conseille aux entreprises de bien connaître leurs produits afin d’être en mesure de délivrer des certificats d’origine en ayant l’assurance que ces produits sont bien originaires du Canada. 

« Par exemple, les produits fabriqués par un manufacturier canadien qui importe une grande partie de ses composants de l’Asie peuvent ne pas être exemptés des tarifs douaniers dans le cadre de l’accord. »

Plan fiscal

« L’Union européenne, c’est aujourd’hui 28 pays, donc 28 juridictions fiscales différentes », affirme Didier Culat. Il est important qu’une entreprise qui veut s’établir en Europe ou bâtir des relations d’affaires sur ce continent ait un plan fiscal adapté à sa situation financière. 

S’établir en France n’a pas les mêmes impacts financiers que s’établir en Italie ou en Irlande quand vient le moment de rapatrier les revenus au Canada. Les taux d’imposition diffèrent selon les pays, ainsi que les avantages fiscaux. « Le meilleur moyen de bien pénétrer le marché est de s’informer et de choisir le pays le plus adapté à la situation de l’entreprise en question. »

Avoir un plan stratégique

Un plan fiscal nécessite aussi une préparation stratégique. Une PME qui veut se rendre en Europe doit déterminer quelle forme prendront ses relations d’affaires. Veut-elle avoir une filiale, établir une coentreprise ou embaucher un représentant ? 

« Un plan d’internationalisation réussi nécessite le développement d’un réseau d’affaires solide. Les liens interpersonnels sont très importants », selon Didier Culat.

Protéger ses brevets et ses licences

L’AECG instaure des changements importants dans le domaine des brevets. Les entreprises qui font de la recherche et développement doivent s’assurer que leurs brevets et leurs propriétés intellectuelles sont protégés au sein de l’Union européenne. La protection d’une propriété intellectuelle au Canada n’implique pas forcément une protection à l’étranger. Cette étape peut donc éviter des mésaventures.

L’accord prévoit que le Canada accède au Traité sur les droits des brevets adopté en 2000 par 59 pays. Déjà ratifié par 36 pays, ce traité introduira de nouvelles normes que les entreprises doivent maîtriser.

L’entreprise doit aussi s’assurer que ses licences sont valides dans l’Union européenne.

Où trouver de l’aide ?

Plusieurs organismes gouvernementaux ont des programmes visant spécifiquement à aider les entreprises qui veulent s’établir à l’extérieur. Parmi eux, on trouve Exportations et Développement Canada, la Banque de développement du Canada (BDC) et Investissement Québec. Les délégations du Québec à l’étranger disposent aussi de services de conseils pour aider les entreprises tentées de s’établir dans les pays où elles se trouvent.

L’AECG entrera définitivement en vigueur après avoir été ratifié par les parlements de tous les États membres de l’Union européenne.

Rappelons qu’en 2016, 604 000 emplois au Québec étaient liés à l’exportation vers l’étranger. Ces chiffres représentaient 15,7 % de l’ensemble des emplois dans la province. Neuf pays de l’Union européenne faisaient partie des 25 principales destinations des exportations québécoises.

« Intégrer le marché européen ne sera toutefois pas une tâche facile », prévient M. Culat. Ce dernier croit que les entreprises qui veulent se lancer dans l’aventure européenne doivent se préparer en conséquence et avoir un plan stratégique bien défini.

Sigma

De « grandes portes s’ouvrent »

« Ça va nous ouvrir de plus grandes portes et nous permettre de nous ouvrir sur des marchés intéressants. »

Denis Bertrand, président de Sigma Industries, n’a aucun doute sur les occasions d’affaires offertes par l’AECG. L’entreprise québécoise fabrique des équipements pour le marché de l’éolien, des toits de camion et des pièces pour la construction des autobus.

L’entreprise de 340 employés compte parmi ses clients le géant Volvo et exporte actuellement 80 % de sa production aux États-Unis. Elle a grandi avec le libre-échange, avec les accords de l’ALENA. Mais la vision de M. Bertrand ne s’arrête pas là.

« Pour ce que nous avons déjà vu, on peut avoir de nouveaux partenaires de distribution et établir même des coentreprises. On va regarder ça sérieusement », affirme-t-il.

Denis Bertrand veut aussi profiter de l’AECG pour aller chercher de la main-d’œuvre. « On pourra avoir des connaissances de l’Europe. On sait que l’expertise interne est différente selon les pays. On veut avoir des gens qui connaissent bien chaque marché que nous voulons pénétrer. »

M. Bertrand ne doute pas de la capacité de son entreprise à réussir dans cette aventure. « Nous avons élaboré plusieurs stratégies. Le libre-échange de 1994 [ALENA] nous a permis de conquérir des parts de marché aux États-Unis. Nous voyons le même scénario se répéter en Europe », dit-il.

Teraxion

« C’est très avantageux pour nous »

« Quand on exporte et qu’il y a des droits de douane imposés sur nos produits, ça rend notre entreprise moins concurrentielle. »

Alain-Jacques Simard est président de Teraxion, PME québécoise fondée à Québec en 2000. L’entreprise, dont les 150 employés sont tous établis à Québec, fabrique des composants et des pièces pour les industries de l’aérospatiale et des télécommunications. Elle compte parmi ses clients des géants comme Alcatel et Honeywell.

Teraxion a déjà des clients en Europe. « On achète un peu partout dans le monde et on vend de 20 à 25 % de notre production en Europe », affirme M. Simard qui voit d’un bon œil l’élimination de barrières tarifaires introduite par l’AECG. « Quand ces barrières ne sont plus là, ça nous met au même niveau que nos clients. C’est très avantageux pour nous. »

Comme beaucoup d’autres dirigeants de PME, Alain-Jacques Simard se prépare à l’entrée en vigueur provisoire de l’accord. « On en a déjà parlé avec nos clients européens qui sont eux-mêmes très contents. Actuellement, on essaie de vérifier si tous nos produits sont admissibles aux exemptions de tarifs. »

Pendant qu’il attend la réalisation des promesses de l’accord, M. Simard demeure optimiste pour l’avenir de Teraxion. « L’avenir, on le voit de façon positive. On veut continuer à augmenter nos exportations et on reste très optimistes. »

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