Chronique

La plus forte progression de la ligue

Vous achetez des actions d’une entreprise en difficulté dans un secteur ultra-compétitif. Un an plus tard, la valeur du titre a augmenté de 24 %. Le meilleur rendement de l’industrie.

Comment réagissez-vous ?

Probablement très bien.

Si je vous disais que cette compagnie est le Canadien de Montréal, votre réponse serait-elle la même ? Pas certain.

Pourtant, le Tricolore vient d’enregistrer une progression remarquable. De toutes les équipes de la LNH, c’est celle qui s’est le plus améliorée depuis la saison dernière. Sur le plan tant des points que du pourcentage (avant les matchs d’hier).

Meilleure progression par rapport à l’an dernier

1. Canadien + 23 points (+ 24 %)

2. Flames + 23 (+ 22 %)

3. Islanders + 21 (+ 21 %)

4. Coyotes + 16 (+ 19 %)

5. Hurricanes + 14 (+ 14 %)

Dans le milieu des affaires, une hausse si prononcée des profits ou des parts de marché est enviable. Toutes les organisations nommées ci-dessus ont d’ailleurs été louangées pour leur excellente gestion.

Sauf une : le Canadien.

Plusieurs ne lui pardonnent pas cette troisième exclusion des séries depuis quatre ans. Sur les réseaux sociaux et les forums de discussion, des partisans se déchaînent. Ils exigent le congédiement du directeur général, Marc Bergevin. Celui de l’entraîneur-chef, Claude Julien.

Je comprends leur déception. Leur peine. Leur frustration. Ceux qui ont connu les années glorieuses du Canadien sont les plus critiques. Les moins de 25 ans, qui n’étaient pas nés au moment de la dernière conquête de la Coupe Stanley, sont plus résignés. C’est normal. Ils n’ont pas connu la LNH à 6 ou 12 clubs. Ni même à 21 clubs, alors que 16 participaient aux séries. Pensez-y : c’est comme si les 24 meilleures équipes étaient aujourd’hui qualifiées. Une autre époque.

Blaise Pascal écrivait : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Entre le cœur et la raison, je choisis la raison.

Congédier Marc Bergevin et Claude Julien aurait été justifié l’été dernier, après la régression lamentable de l’équipe. Mais maintenant ? Après avoir réussi la meilleure progression de toute la LNH ? Ensemencé le bassin d’espoirs ? Tiré le meilleur d’une équipe que personne ne voyait dans les séries en octobre ?

Non.

***

Les partisans sont particulièrement critiques envers Claude Julien. Ils soulignent – avec raison – que ses équipes ont raté les séries quatre fois au cours de ses cinq dernières saisons.

Comment évaluer son niveau de responsabilité dans les succès et les échecs du Canadien ? J’ai déjà écrit sur ce sujet en janvier.

Plusieurs lecteurs m’ont envoyé des suggestions. Un consultant auprès d’entreprises en transition, Mike Carson, a aussi écrit The Manager, un essai instructif qui aborde ce sujet. L’auteur a recueilli les confidences d’entraîneurs-chefs de la Première ligue anglaise de soccer. Il propose des critères grâce auxquels on peut évaluer le travail d’un coach. Je m’en suis servi pour créer une grille d’évaluation du travail de Claude Julien cette saison.

Le système de jeu

C’est la signature de l’entraîneur. Cette saison, Claude Julien a misé sur la vitesse, le jeu de transition rapide et la possession de la rondelle. Son intuition était la bonne. Il existe une très forte corrélation entre la participation aux séries et la possession de la rondelle.

Un bon indice pour évaluer la possession, c’est le Corsi. C’est un différentiel entre les tirs tentés et accordés à forces égales. Neuf des dix équipes de la LNH avec le meilleur indice Corsi participent aux séries. La seule exclue ? Le Canadien.

Meilleur indice Corsi

1. Sharks 54,9 %

2. Hurricanes 54,8 %

3. Golden Knights 54,3 %

4. Canadien 54,2 %

5. Flames 53,8 %

6. Bruins 52,9 %

7. Predators 52,1 %

8. Lightning 51,7 %

8. Maple Leafs 51,7 %

10. Blues 51,3 %

L’avantage numérique

Poursuivons avec le système de jeu. Une rare situation dans laquelle une équipe est pratiquement assurée d’avoir la rondelle et de pouvoir s’installer en zone adverse, c’est l’avantage numérique. La formation déployée relève de l’entraîneur. Or, avant le match d’hier, le Canadien n’avait marqué que dans 12,9 % de ces occasions. Ça vaut un E dans le bulletin. Si le Tricolore avait obtenu la médiane de la ligue (20 %), il aurait compté 17 buts de plus. Son différentiel de buts aurait été semblable à celui des Capitals de Washington. Amplement suffisant pour assurer sa place en séries. Claude Julien devra revoir sa stratégie cet été et se demander si son adjoint Kirk Muller, responsable de cette unité, est encore l’homme de la situation.

La gestion de crise

Mike Carson souligne qu’un bon entraîneur-chef doit savoir limiter les crises et gérer celles qui surviennent. Claude Julien a réussi à garder son navire à flot toute la saison. Son équipe n’aura traversé des remous qu’à trois occasions. Chaque fois, elle en est ressortie plus forte.

– Cinq défaites de suite en novembre. Suivies de six victoires en huit matchs.

– Quatre défaites de suite en février. Suivies de quatre victoires en six matchs.

– Quatre défaites en cinq matchs au début mars. Suivies de cinq matchs consécutifs avec des points au classement.

Mike Carson a déterminé trois facteurs qui permettent à un gestionnaire de surmonter des crises : proposer des solutions, conserver son calme et agir de manière décisive. On peut reprocher à Claude Julien d’avoir été passif pendant certains matchs. Mais, généralement, il apportait les changements dès la partie suivante. Plusieurs de ses choix impopulaires se sont avérés judicieux.

L’émancipation des joueurs

S’épanouir. Se sentir important. Pouvoir changer la donne. Ce ne sont pas des clichés. Dans toute entreprise, les employés font bonne figure s’ils savent qu’ils peuvent progresser. Mike Carson croit que l’entraîneur-chef joue un grand rôle dans l’émancipation d’un joueur. Après tout, le coach gère le temps d’utilisation et les situations dans lesquelles un athlète évolue.

Près de dix joueurs du Canadien viennent de connaître leur meilleure saison. Un seul joueur important, Jonathan Drouin, a paru mécontent par moments. Il sera intéressant de voir comment Claude Julien gérera son cas dans les prochains jours. Privilégiera-t-il la fuite ou la confrontation ? Une rencontre franche est nécessaire afin que Drouin ne ressasse pas sa fin de saison pendant toutes les vacances. Éviter une situation difficile peut perturber une organisation, écrit Mike Carson. « Le leader [ici Claude Julien] doit avoir la conversation difficile qui permettra de nettoyer l’air et de remettre l’équipe sur les rails. »

Le dépassement des attentes

Rodney Paul, professeur de gestion sportive à l’Université de Syracuse, propose d’évaluer les entraîneurs-chefs selon les attentes du marché des paris sportifs. Ses travaux démontrent que les coachs qui ne répondent pas aux attentes risquent davantage d’être congédiés. En septembre, les maisons de paris sportifs prédisaient 81,5 points au Canadien. Avant le match d’hier, il en avait 94. Ça le place en très bonne compagnie parmi l’élite de la LNH.

Battre les attentes du marché des paris sportifs

1. Jon Cooper, Lightning + 18,5

2. Barry Trotz, Islanders + 17,5

3. Claude Julien, Canadien + 13,5

4. Bill Peters, Flames + 13,5

5. Rod Brind’Amour, Hurricanes + 12,5

Il est intéressant de noter que les noms de Cooper, Trotz et Peters sont parmi ceux qui reviennent le plus souvent pour des nominations au trophée Jack-Adams, remis à l’entraîneur-chef de l’année dans la LNH.

De la très bonne compagnie pour un coach dont plusieurs souhaitent le congédiement…

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