Dominique Fils-Aimé, porteuse de lumière

Amour, partage et guérison : la chanteuse montréalaise Dominique Fils-Aimé clôt sur une note d’espoir son ambitieuse trilogie lancée en 2018. Rencontre lumineuse avec une artiste qui incarne le changement, et dont la musique inspirée des racines de la culture afro-américaine rayonne partout.

Dominique Fils-Aimé n’a pas voulu regarder la prestation de serment de Joe Biden à la télévision le 20 janvier, parce qu’elle avait trop peur que les évènements du Capitole se reproduisent. Elle n’a donc pas pu entendre en direct les mots de la jeune poète Amanda Gorman, qui appelait ses compatriotes à avoir le courage d’« être » la lumière.

Les mêmes mots, en fait, que Dominique Fils-Aimé utilise dans une des chansons de son nouvel album Three Little Words, qui sort le 12 février, et qui s’intitule carrément… We Are Light ! Mais cette coïncidence ne l’a pas tant étonnée.

« Quand on m’a raconté ça, ça m’a juste fait sentir qu’on est tous synchros quelque part », dit la chanteuse, qui croit en une espèce de « conscience universelle » qui transcende tout, particulièrement en art.

« C’est l’fun de sentir qu’on est plusieurs, venant de plusieurs endroits, à avoir le même discours. Ça permet d’amener un peu d’espoir et de lumière, avec chacun qui amène sa petite goutte. »

Bref, pour elle, cette synchronisation est la preuve que le changement vers une société plus égalitaire est en marche, et que le monde peut survivre à l’après-Trump et guérir des morts tragiques de George Floyd et Joyce Echaquan. Même si on a parfois l’impression qu’on fait du surplace.

« Mais c’est comme quand tu regardes un arbre. Tu as l’impression qu’il ne grandit pas, mais c’est juste parce qu’il grandit à une vitesse que ton œil nu ne voit pas. »

— Dominique Fils-Aimé

Après le bleu du blues dans Nameless en 2018, et le rouge jazz de la révolution dans Stay Tuned ! en 2019, Dominique Fils-Aimé arrive donc avec le jaune soul de l’espoir dans Three Little Words. Parc qu’elle croit « à 100 % » que chaque personne peut contribuer au changement – sa manière à elle étant la douceur et l’empathie.

« Je ne suis pas à l’aise dans la douleur et les cris, mais je pense que si des gens utilisent ces véhicules, c’est qu’ils en ont besoin ! tient-elle à préciser. Tous ces mouvements sont bons, il faut que ça sorte. »

Par contre, dans son cas, gentillesse ne signifie pas faiblesse, et il y a beaucoup d’affirmation et de puissance dans sa musique – il est même question d’un « Queendom » dans la chanson Love Take Over. L’art est pour Dominique Fils-Aimé la méthode la plus subversive qui soit de faire la révolution.

« Dans une chanson comme Strange Fruit, par exemple, le message est tellement fort, mais exprimé avec une telle douceur, que les gens vont l’écouter sans savoir et qu’il va passer. C’est l’outil ultime de la révolution, parce que tu arrives à changer les choses sans avoir été dans la confrontation. »

Briller

Dominique Fils-Aimé sait qu’on ne peut pas être un agent de transformation si on ne va pas bien soi-même, et aborde de front le sujet de la santé mentale dans son album. « Quelqu’un qui est heureux va être plus prompt à regarder vers l’extérieur. On ne peut pas boire dans un verre vide. »

Ses cours de psychologie ne sont pas bien loin – parmi les métiers qu’elle a pratiqués avant de se lancer en musique, la chanteuse a été intervenante en aide psychologique.

« C’est fou l’impression que tu as des fois de t’être perdu en chemin, alors que non, tu es juste allé chercher des petits outils à droite et à gauche qui font de toi une personne unique », dit l’artiste de 36 ans, qui est née dans un milieu plus scientifique qu’artistique. Ses parents n’étaient d’ailleurs pas très chauds à l’idée qu’elle se lance en musique.

« C’est normal de s’inquiéter. Mais ça va maintenant ! »

Ce qui est évident, c’est que Dominique Fils-Aimé a trouvé sa voie, et si elle incarne aujourd’hui la lumière avec autant d’intensité, c’est parce que comme une vampire (elle rigole), elle sait tirer le meilleur d’autrui.

« Quelqu’un qui shine devant moi, ça me donne envie de shiner. Je suis attirée par les gens lumineux, ça me donne espoir et énergie et ça me rappelle combien je crois en l’humain. Je sais que j’ai été très chanceuse, et j’essaie que le karma continue de rouler, de rendre tout ce qu’on me donne.  »

— Dominique Fils-Aimé

Ascension

Depuis la sortie du premier volet de sa trilogie, Dominique Fils-Aimé ne cesse de gagner de nouveaux fans, et sa carrière est à l’avenant. Elle a été nommée pour le Polaris, a gagné un Juno et un Félix, fait des tournées en Europe. Three Little Words est d’ailleurs lancé simultanément au Québec, au Canada et dans le marché européen pour la première fois.

Si elle donne le crédit à son équipe, elle est aussi « super touchée et émue » de voir comment le public est « ouvert à des projets différents ».

« Le système sous-estime la capacité des gens à prêter attention à plus qu’un single. Pour moi, c’est la preuve qu’ils ont envie de connexion. Je suis contente que voir que les gens sont curieux et prêts à faire le travail, de creuser un peu plus pour me suivre. Trois albums en plus ! »

Il faut dire aussi que sa musique est extrêmement séduisante et envoûtante. L’autrice-compositrice-interprète puise dans les origines de la musique noire américaine pour faire un mélange très personnel, à la fois hyper actuel et branché sur sa source. Le tout lié par sa voix riche, qu’elle module de toutes les manières et utilise pour faire ses propres chœurs et harmonies, ce qui donne à ses chansons une grande profondeur.

« Pour ce troisième album, j’ai ajouté des cordes et des cuivres pour qu’on sente qu’on est tous ensemble. Je voulais aussi qu’il y ait des percussions africaines, question de revenir aux racines et de représenter tout le travail qui est nécessaire dans la guérison. Parce qu’il n’y a pas que du soleil et de la joie, il y a parfois aussi des moments difficiles. »

Dominique Fils-Aimé fait en tout cas la preuve qu’on peut composer en ne jouant pas d’instrument et en ne « parlant » pas le langage de la musique. Le réalisateur Jacques Roy, qui travaille avec elle depuis le début, est là pour faire la traduction pour les musiciens, et rendre concrètes ses idées.

« Au début, quand on me demandait si je jouais d’un instrument, je disais non… Mais j’ai compris que je joue de la voix, l’instrument de tous les instruments qui peut véhiculer toutes les émotions. La voix est le point de départ de chacun des albums. »

Possibilités infinies

La chanteuse clôt donc sa trilogie avec le désir de donner de l’espoir et de l’amour, ce qui était son objectif depuis le début. « Même si les deux précédents sont aussi une facette de moi, c’est le message ultime que j’avais envie de laisser. » D’ailleurs, elle souhaite surtout à cet album d’atteindre « n’importe quelle personne qui a besoin de l’entendre ».

« J’aimerais qu’il serve à quelque chose, que les gens sentent que je veux leur bien même si on ne se connaît pas. »

— Dominique Fils-Aimé

Pas pour rien qu’il se termine avec une reprise de Stand By Me ! « Oui, c’est ça. Restons tous ensemble. »

Mais que fait-on après un projet aussi ambitieux ?

« Je ne sais pas ! J’ai eu un coup de down quand je l’ai terminé, comme si je n’avais pas vu venir ça. T’es tellement à fond, tu ne réfléchis pas à demain, tu sais où tu vas… et là, d’un coup, tu te sens dans le néant. Puis j’ai flippé ça dans ma tête et je me suis dit : “wow : maintenant, les possibilités sont infinies”. »

Si elle a compris quelque chose, par contre, c’est qu’elle a besoin d’un cadre et d’une structure claire pour créer – sinon, tout le reste est ouvert, à son grand bonheur.

« Je suis libre pour repartir à zéro et je ne me ferme aucune porte. Je me donne le droit d’explorer comment je peux continuer à utiliser les influences et les combiner pour créer quelque chose qui est à moi. Et ce n’est pas grave si les gens n’arrivent pas à me mettre dans une boîte. Ils en créeront de nouvelles. »

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