Sans filtre  Geneviève Jeanson

« Je me suis réinventée »

Geneviève Jeanson a aujourd’hui une vie « normale ». Les scandales de dopage qui ont fait dérailler sa carrière cycliste sont désormais loin derrière elle. Elle a trouvé l’amour, s’épanouit dans ses projets, a renoué avec ses parents. Elle fait désormais du sport pour elle-même, pour le simple plaisir de monter sur son vélo. Elle deviendra à la fin du mois de septembre entraîneuse en chef dans la franchise Orangetheory Fitness de son conjoint, à Vaudreuil. Tout cela est le fruit d’une longue reconstruction qu’elle s’est imposée, loin de l’œil du public depuis son retour à Montréal. Son récit.

Oui, ç’a été difficile d’être Geneviève Jeanson après tout « ça », d’une certaine façon. Mais je ne changerais pas mon histoire. Mon passé restera dans les archives, à jamais. Je pense que je vais toujours avoir de petites cicatrices. Il faut que j’existe avec ça. Je me suis réinventée à travers tout « ça », aussi. Comme dans toutes les grandes épreuves, on reste avec des séquelles. Sauf que quand on les comprend, qu’on est capable de se raisonner et qu’on a des outils pour les gérer, on peut s’en sortir.

Je n’ai jamais eu le désir de changer. J’ai toujours aimé qui je suis. Mais j’avais trop de vieilles pensées, de vieilles habitudes, qui me limitaient dans ma vie. Je ne voulais pas rester comme ça. Ça me freinait. Je me sentais comme en prison. Je savais, des fois, que ce que je pensais ou ce que je disais ne venait pas de moi. C’était ce que j’avais appris qui refaisait surface. Ce n’était pas moi, mais je n’avais aucune idée de la façon de m’en sortir. J’ai décidé d’aller chercher de l’aide.

J’ai pris cette décision quand j’habitais encore à Phoenix, après avoir quitté ma carrière d’athlète, en 2006 et 2007. J’ai décidé d’entreprendre un processus avec un thérapeute, mais ça prend le temps que ça prend. Des fois, on a tellement de pelures d’oignon qu’on peut seulement commencer par enlever la première.

J’avais le désir d’être authentique, de retrouver qui j’étais à la base, de ne plus souffrir de ce qui ne m’appartenait pas.

Après Phoenix, j’ai vécu cinq années à San Diego. Puis en 2012, j’ai décidé de rentrer à Montréal. Je commençais à tourner en rond, après tout le travail que j’avais fait sur moi. Je devais rentrer à Montréal pour m’améliorer comme personne. J’avais aussi le goût de revoir mes parents, de leur parler, de reprendre contact, après tout ce qui s’était passé.

Je suis leur seule fille. Il y a plein de choses qu’on n’avait pas été capables de se dire à cause des circonstances. Il y avait des blessures trop vives.

C’est facile de les blâmer, mais ils ont fait de leur mieux avec la personne que j’étais, avec les outils qu’ils avaient à leur disposition. On s’en est souvent parlé. Mes parents pensaient ne plus jamais me revoir. Ça aurait pu arriver, mais j’avais de bonnes racines, de bonnes valeurs. J’avais le goût de revenir. Aujourd’hui, ça se passe très bien entre nous, on est plus près que jamais. C’est plate, mais c’est souvent ce qui arrive. C’est après les grosses épreuves que les gens se rassemblent.

[NDLR : À l’émission Enquête à Radio-Canada, il a été révélé que le Dr Maurice Duquette lui avait injecté de l’EPO, la première fois lorsqu’elle avait 16 ans, avec l’assentiment de son entraîneur André Aubut et de son père, Yves Jeanson.]

La nouvelle vie

Depuis mon retour à Montréal, ça ne m’est jamais arrivé de sentir la friction, les regards de côté. C’est possible que les gens ne soient pas d’accord avec ce que j’ai fait, ils ont droit à leur opinion. Mais personne n’est venu m’affronter avec ça. J’ai trouvé les gens vraiment gentils avec moi.

Quand je suis revenue ici, j’ai terminé mon cégep en santé. Puis je suis allé à Concordia durant deux ans en behavioral neuroscience, l’étude du cerveau et du comportement. Mais je me suis rendu compte, à 33 ans, que je ne travaillerais pas dans ce domaine-là. C’était important pour moi d’avoir un diplôme collégial et d’aller à l’université, mais la neuroscience n’était pas faite pour moi. J’ai besoin de bouger. J’ai mis mes études de côté et j’ai continué à travailler en restauration en continuant à me développer en me questionnant sans cesse sur où je voulais aller.

J’ai aussi un conjoint depuis un an et demi. J’étais prête à être aimée. Paul est une personne super intelligente. Il sait exactement comment j’ai besoin d’être aimée. Il connaît mon histoire. Il connaît mes défis. Il est patient, drôle. J’avais besoin de ça. J’avais besoin de lui.

On s’est rencontrés dans un souper commun d’amis cyclistes. J’avais du plaisir pendant la soirée, mais en même temps, j’avais oublié comment c’était de parler de vitesse, d’équipement, de course. Je me disais : « Mon Dieu, je suis encore plongée dans ce monde-là. » J’avais remarqué Paul. Je le trouvais gentil, beau et agréable, mais je me disais que c’était un cycliste comme les autres. Puis il a enlevé son gilet à manches longues et il avait les bras couverts de tatouages. Je me suis dit qu’il y avait autre chose que ce que je voyais. Qu’il avait un vécu différent. Je lui ai demandé où il habitait en catimini, on est allés prendre un café, puis on a commencé à sortir ensemble.

Il n’a jamais été impressionné par mon histoire. Il  savait que j’avais mes défis, mais il n’a jamais eu peur. Il n’avait pas peur de qui j’étais, de mon caractère.

J’ai même recommencé à faire du vélo. Pendant sept ans, je n’ai presque pas roulé. Paul est un très bon cycliste, et on a décidé de rouler ensemble. C’était une manière de se voir. Puis j’ai commencé à rouler un peu plus souvent.

Ça m’a permis de me rendre compte que j’aime vraiment le cyclisme. C’est mon monde et je m’y sens bien. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai tant souffert à cause du cyclisme, mais maintenant, comme j’ai une vie normale avec des amis, un chum, mes parents, un emploi, je monte sur mon vélo et je suis capable d’oublier tous mes problèmes. C’est une thérapie, je me suis réconciliée avec ce sport. Je ne suis plus capable de me faire aussi mal qu’avant, je l’ai assez fait, mais je suis capable de me pousser quand même. Au fond, j’y vais comme ça me tente.

Je pense que si je n’avais jamais recommencé le vélo, il m’aurait manqué quelque chose. Le vélo, c’est en moi. Au fil des années et des circonstances, je l’avais oublié.

L’été dernier, j’ai fait un Granfondo dans le Vermont. Cette année, j’ai fait Battenkill, dans l’État de New York, et j’ai fait le Black Fly Challenge dans les Adirondacks. J’ai beaucoup aimé ça. Je n’avais pas de pression. Même si je roulais lentement, personne ne se fâchait. Mais je suis quand même étonnée d’aller courir avec un chronomètre. Je ne pensais jamais refaire ça de ma vie.

Le nouveau projet

Mon conjoint Paul et son frère ont acheté une franchise d’Orangetheory Fitness à Vaudreuil. Elle ouvrira à la fin du mois de septembre. Je deviendrai leur entraîneuse en chef. Je vais donc avoir plus de tâches administratives. Je vais donner des cours, mais je vais aussi faire partie de l’équipe de vente. Je voulais combiner les deux. Je suis une athlète, je vais être une athlète toute ma vie, mais ça n’aurait pas été assez pour moi. J’ai d’autres qualités que je veux utiliser aussi.

Ça fait plusieurs mois qu’on planche là-dessus. J’ai quitté mon emploi en restauration à la fin du mois d’octobre dernier. On pensait que ça irait un peu plus vite. Comme dans tout, les baux, les permis, trouver un emplacement, ça prend du temps. Au moins, j’en ai profité pour recharger mes batteries, même si j’ai beaucoup aimé travailler en restauration. Je travaillais au Bon Vivant, j’ai adoré ça, j’ai côtoyé des gens extraordinaires.

Même qu’avec le recul, je me suis rendu compte que c’était presque la transition parfaite de la vie d’athlète. Quand on est athlète, on est toujours avec les mêmes gens, c’est intense, on a de la pression, et quand c’est terminé, on recommence. La restauration, c’est un peu ça.

J’ai surtout aimé redécouvrir le contact avec le public. Ça a fait partie de ma guérison. Quand je suis rentrée à Montréal en 2012, je ne savais pas comment j’allais être reçue ou perçue. On dirait que travailler au restaurant, rencontrer plein de gens, leur gentillesse, ça m’a permis de redevenir moi-même.

Les gens se souvenaient de moi. Je voyais dans leurs yeux qu’ils se disaient : « Je connais cette fille-là, mais je ne sais pas d’où. » Il y en avait d’autres qui me disaient carrément : « Mon Dieu, tu ressembles à Geneviève Jeanson. » Je leur disais que c’était moi. J’ai toujours eu des commentaires positifs. Personne n’est jamais venu me voir pour me critiquer.

Je n’aurais jamais pensé devenir entraîneuse. Maintenant, ce prochain défi fait partie de moi. J’ai toujours aimé aider les gens à se développer. Pour l’avenir, j’aimerais même aider les jeunes athlètes. Quand j’ai vécu tout « ça », je pensais que j’étais seule.

Je sais que ce n’est pas toujours facile de déceler les signes, mais quand quelque chose n’a pas l’air normal, souvent, ce ne l’est pas. J’aimerais que les jeunes soient plus à l’aise de parler de ce qu’ils vivent. Veux ,veux pas, quand tu es victime d’abus, tu te sens sale. Tu sens que c’est de ta faute. J’aimerais que les jeunes se disent : « Non, ces stigmates-là ne sont pas attachés à moi, je dois en parler. » Oui, j’aimerais les aider à passer au travers du processus de guérison.

Si j’avais devant moi la jeune Geneviève Jeanson, celle d’avant « ça », je lui dirais qu’il n’y a pas qu’une seule manière d’atteindre ses objectifs. À l’époque, j’étais certaine que sans mon entraîneur, je n’étais rien. Plein de gens sont venus me dire que je n’avais pas besoin de rester avec lui. Que je n’avais pas l’air heureuse, qu’il était fou. Mais il m’avait tellement dit souvent que sans lui, je ne serais rien… C’est la première chose que je dirais à la jeune Geneviève : tu dois regarder les autres options. Il y aura une période d’adaptation, c’est inévitable, mais tu ne peux pas rester misérable comme ça. Il y a trop de séquelles.

D’ailleurs, même si je vais mieux, je consulte encore de temps en temps. Juste au cas, pour me garder un petit filet de sûreté. Parfois, je me retrouve dans des situations où de vieilles blessures reviennent. Quand ça remonte, j’aime aller voir mon thérapeute. J’ai encore besoin de me faire démêler.

Quand je me suis sauvée d’André [Aubut, son ancien entraîneur] et que j’ai décidé de vivre ma propre vie, une des premières choses que j’ai faites a été d’appeler certaines personnes auxquelles je n’avais plus le droit de parler. Pendant longtemps, quand je parlais à quelqu’un et qu’André ne voulait pas, il y avait des conséquences. J’ai fermé trop de portes. Quand j’ai été libre, j’ai appelé plein de gens. Je me suis excusée, je leur ai demandé pardon. La plupart ont compris.

Avec ce texte aujourd’hui, j’ouvre une autre porte.

— Propos recueillis par Jean-François Tremblay, La Presse

Mise en contexte

L’histoire de Geneviève Jeanson est bien connue. Après plusieurs années de résultats impressionnants en cyclisme sur route, sa carrière déraille en 2003 lorsqu’un premier contrôle décèle un taux d’hématocrite trop élevé lors des Championnats du monde. Geneviève Jeanson nie s’être dopée et un autre test la blanchit, sans toutefois dissiper les soupçons. Peu après, le scandale du docteur Maurice Duquette éclate. Ce dernier reconnaît avoir administré de l’EPO à une cycliste de haut niveau. Jeanson admet être la personne citée par le Dr Duquette, mais nie avec vigueur sa consommation de produits dopants ; le fameux « je n’ai jamais pris d’EPO ». Elle est une autre fois mise en cause en 2004, lorsqu’elle omet de se présenter à un contrôle à l’issue de la Flèche wallonne. Elle est suspendue à vie en 2006 après avoir été déclarée positive à l’EPO lors du Tour de Toona 2005. Jeanson met un terme à sa carrière, mais clame son innocence. À la suite d’un compromis avec l’USADA (agence antidopage américaine), elle est finalement suspendue deux ans. Elle songe un instant poursuivre sa carrière, mais annonce sa retraite en décembre 2006. En septembre 2007, elle révèle à Alain Gravel, de l’émission Enquête, s’être dopée à l’EPO depuis l’âge de 16 ans. L’EPO lui a été prescrite par le Dr Duquette, au su de son entraîneur André Aubut et de son père Yves Jeanson. Marquée par le chantage, les menaces et la violence, la relation intime et sportive unissant Aubut et Jeanson a duré presque 10 ans. L’emprise d'Aubut « était telle qu’elle se sentait obligée de satisfaire ses moindres désirs, y compris sexuels », écrit Alain Gravel dans le livre L’affaire Jeanson : l’engrenage.

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