Chronique

Éloge de la belette

Personne n’a envie d’avoir l’air de la commère, de la fouineuse, de la belette… Pourtant, il y a de grandes vertus à se mêler parfois des affaires des autres. Surtout quand il est question de santé mentale.

« Si un ami se casse une jambe, il n’hésitera pas à demander de l’aide », explique Alain Johnson, psychoéducateur de formation et directeur de Jeunesse, J’écoute, un organisme d’aide gratuit et anonyme au téléphone et en ligne, pour les jeunes. « S’il a un problème de santé mentale, il devrait voir ça de la même façon. »

Sauf que le monde ne fonctionne pas ainsi.

Les gens n’osent pas parler. N’osent pas demander de l’aide. Ils ont de la peine à mettre des mots sur ce qui leur fait mal. Bref, ils restent tout seuls avec leur douleur. Et rien ne guérit bien ainsi.

En cette Semaine nationale de la santé mentale, peut-être devrions-nous donc profiter de l’occasion pour commencer à nous faire à l’idée que, parfois, il vaut mieux se mêler des affaires des autres, de fouiner, d’être curieux et de poser des questions à ceux qui nous entourent et nous inquiètent.

C’est sûrement là une des voies à prendre pour lutter contre ces maladies qui causent tant de ravages.

« Demander à quelqu’un s’il va bien, si tout est correct, ce n’est pas ça qui va le rendre suicidaire », explique Johnson, qui supervise des équipes formées pour répondre aux inquiétudes des jeunes face à eux-mêmes, mais aussi pour leurs amis. « On peut dire : “Je suis inquiet, je ne te reconnais pas.” »

Selon Johnson, on peut même carrément poser la question du suicide. « Y penses-tu ? »

Ce n’est pas un déclencheur. Au contraire. « Il y a vraiment beaucoup de tabous à défaire. De non-dits », dit-il. On a fait beaucoup de progrès, mais le chemin à parcourir reste encore long.

Culturellement, on a de la difficulté avec l’idée que, parfois, il est bon de se mettre le nez dans les affaires des autres. Comme si le balancier était revenu trop loin depuis l’époque des curés où nos grands-mères avaient l’impression d’être épiées, constamment jugées en vertu de critères moraux qui ne laissaient aucune place à la liberté.

Les pires exemples de notre attitude démesurément allergique à l’intrusion se trouvent probablement du côté des jeunes auteurs de tueries. Toutes les « autopsies » sociales ou psychiatriques de ces crimes montrent que des signaux de détresse, ou du moins de dérangement, ont été lancés ou échappés avant que les crimes ne soient commis. Sauf que, de toute évidence, on ne sait pas comment capter et interpréter ces signaux, comment agir sans être accusé d’alarmisme, d’interventionnisme déplacé ou de paranoïa.

Dès que de telles questions sont soulevées, on s’inquiète beaucoup de la liberté, des droits individuels.

Sauf que cet espace qu’on tient à garder autour de soi, autour des autres, pour que le citoyen moderne puisse faire à juste titre ce qu’il veut, quand ça lui plaît, est devenu aussi un fossé que plus personne n’ose franchir, même quand l’inquiétude s’installe.

On se demande si une amie est en train de se séparer, si elle craint de perdre son emploi, si ses enfants lui causent du souci, pourquoi elle boit autant et aussi souvent, mais on n’ose pas demander pourquoi. On se dit, on se fait dire, que c’est privé.

Pourtant, la dépression d’un être qu’on aime, ça nous regarde. Ses dépendances aussi. Si elle se faisait violenter, on n’hésiterait pas à s’en mêler.

On a non seulement le droit de poser des questions, mais aussi une certaine responsabilité. On ne laissera jamais une amie en sang sur le bord du chemin en se disant qu’elle peut se débrouiller seule pour aller aux urgences. Si cette même amie fond à vue d’œil sous nos yeux, atteint un poids exagérément bas, peut-être souffre-t-elle d’un trouble alimentaire, peut-être a-t-elle besoin d’être écoutée. La question se pose.

Pourquoi coupe-t-on l’altruisme quand les questions de santé mentale surgissent ? Pourquoi conclut-on toujours à l’invasion ?

Être inquiet et le dire, n’est-ce pas mieux qu’être égoïste ou se cacher ?

À Jeunesse, J’écoute, Alain Johnson constate que de plus en plus de jeunes appellent, car ils voient que leurs amis ne vont pas bien, mais ne savent pas quoi faire pour les aider. Ils ne savent pas quelles questions poser, où les amener pour qu’ils reçoivent des soins. Le réflexe profondément humain de vouloir aider est là, mais pas le savoir-faire pour que l’assistance soit juste.

Dans leurs cours de gardiens avertis, voire de secourisme, nos jeunes apprennent les rudiments des premiers soins. Quoi faire si un enfant se brûle, se coupe, s’étouffe...

Peut-être que, de la même façon, on devrait tous apprendre à fouiner avec empathie, à poser les bonnes questions, à aider avant qu’il ne soit trop tard.

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