Cinéma

Comment le Québec a porté Jesse Owens au grand écran

Le film Race raconte l’histoire de Jesse Owens, un Noir américain qui a remporté quatre médailles d’or aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, en plein régime nazi. Une histoire parfaite pour Hollywood ? Non, il s’agit plutôt d’un film québécois.

Avec un budget d’environ 35 millions de dollars, Race est l’un des films avec le budget le plus imposant produit majoritairement au Québec, voire au Canada. « C’est l’appétit du marché qui a fait en sorte qu’on a pu faire un film de ce budget-là », dit Dominique Séguin, coproductrice de Race et présidente de Trinica Entertainment, une société de production dont le siège est à Montréal.

Comment la vie d’un athlète aussi connu et admiré aux États-Unis a-t-elle été adaptée au grand écran dans un film produit majoritairement au Québec ?

« Au départ, on ne comprenait pas pourquoi ce film n’avait jamais été fait [aux États-Unis]. C’est une histoire américaine, mais c’est une histoire universelle. »

— Dominique Séguin

Une histoire universelle pouvant être financée partout dans le monde. C’est un producteur français, Jean-Charles Lévy, qui a parlé du projet à la productrice québécoise Dominique Séguin (les deux ont travaillé ensemble alors qu’elle faisait du financement pour une firme à Montréal). Au fil des discussions, il a été établi que le film serait produit en majorité (environ 60 %) au Québec et aussi en Europe (40 %). Le tournage a aussi été divisé entre le Québec (six semaines) et l’Allemagne (trois semaines).

Une cinquantaine de partenaires, dont la Banque Nationale, ont participé au montage du film, financé par les crédits d’impôt des gouvernements (25 % du budget), l’argent versé à l’avance par les distributeurs dans le monde entier pour avoir le droit de distribuer le film (35 % du budget) et des investisseurs privés. Bref, le montage financier de Race ressemble à celui de n’importe quel film américain. « Les Américains financent un film basé sur la demande », dit Dominique Séguin.

2500 ÉCRANS AUX ÉTATS-UNIS

Comment les producteurs – ils sont huit, dont deux au Québec (Dominique Séguin et Louis-Philippe Rochon) – ont-ils pu financer un film jusqu’aux environs de 35 millions canadiens, ce qui ne s’est presque jamais vu au Québec ? Grâce au potentiel commercial aux États-Unis (l’histoire de Jesse Owens) et à l’international (les Jeux olympiques de Berlin). Aux États-Unis, le film sortira vendredi sur 2500 écrans. À titre de comparaison, le film américain Sicario, du réalisateur québécois Denis Villeneuve, est sorti sur environ 2600 écrans et a généré des revenus totaux au box-office de 47 millions aux États-Unis et au Canada.

Aux États-Unis, c’est le studio Focus Features (la division de cinéma indépendant de NBCUniversal et le studio derrière Dallas Buyers Club, du réalisateur québécois Jean-Marc Vallée) qui a acheté les droits du film sur la base d’un scénario et d’un réalisateur. La plupart des distributeurs internationaux ont aussi acheté les droits de cette façon.

Par l’entremise de sa société torontoise JoBro, le producteur exécutif Jonathan Bronfman a financé une partie des droits de distribution du film.

« C’est un projet ambitieux, mais le Canada est capable de produire ce genre de films. J’espère que le Canada continuera d’être ambitieux dans les films qu’il produit, peu importe la taille du budget. »

— Jonathan Bronfman

100 MILLIONS AU BOX-OFFICE ?

Très peu de films produits majoritairement au Québec ont disposé d’un budget de la taille de Race. Nouvelle-France, une coproduction Québec-France-Angleterre (2008), a eu un budget de 33,5 millions. Mesrine, une coproduction France-Québec produite majoritairement dans l’Hexagone, avait un budget d’environ 40 millions d’euros pour deux films.

Au Québec, le producteur Claude Léger se spécialise dans ce type de grandes coproductions : il a notamment coproduit le film Upside Down, doté d’un budget de 60 millions. Au Canada anglais, le producteur torontois Robert Lantos a produit trois films du genre : Barney’s Version en 2010 (budget de 39 millions), eXistenZ en 1999 (budget de 32 millions) et Johnny Mnemonic en 1995 (budget de 31 millions). Outre Johnny Mnemonic (recettes de 19 millions au box-office), aucune de ces grandes coproductions n’a généré plus de 10 millions au box-office canado-américain.

Les attentes au box-office sont beaucoup plus grandes pour Race. En 2013, le film 42, basé sur la vie du joueur de baseball Jackie Robinson, a généré 98 millions au box-office. Ce film indépendant avait un budget de production similaire à celui de Race. « Il y a des grosses attentes [au box-office], mais la couverture médiatique est extraordinaire pour l’instant », dit la coproductrice Dominique Séguin, pour qui Race est sa… première production complète. « Je ne pense pas que je vais faire plein de films comme Race », dit-elle, consciente du caractère unique de son premier film comme productrice.

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