Éducation

Bouger pour motiver les jeunes

Pour bien des jeunes, les cours d’éducation physique et le sport parascolaire constituent des bouffées d’oxygène dans leur horaire qui les motivent ainsi à demeurer à l’école. Quand le sport rend les cours de français et de math plus endurables.

UN DOSSIER DE MARIE TISON

L’attrait de l’éducation physique

Le cours de français s’étire, mais ça fait déjà un moment que l’élève n’écoute plus. Enfin, la cloche sonne et il saute de sa chaise pour se précipiter dans le couloir, vers son casier, vers ses vêtements de sport. C’est l’heure de son cours préféré, l’éducation physique.

« Bien des élèves trouvent dans ces disciplines [l’éducation physique et le sport] ce qu’ils ne trouvent pas ailleurs », note Sébastien Rojo, chargé de cours au département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et directeur général d’Ex Situ Expérience, organisme qui offre des programmes d’intervention psychosociale par la nature et l’aventure.

Ce qu’ils trouvent, ça peut être un sentiment d’appartenance, de dépassement, de fierté.

« Un jeune qui ne trouve pas sa place dans sa classe, qui voit d’autres jeunes qui sont compétents et qui aiment ça ; un jeune pour qui apprendre, c’est un peu plus dur ; un jeune qui n’a pas été exposé à des modèles de lecture de 0 à 5 ans et pour qui la lecture n’est pas aussi naturelle que pour d’autres enfants : c’est sûr qu’un tel jeune a hâte de mettre ses souliers de sport et ses shorts et d’aller montrer aux autres qu’il est bon », déclare Éric Morissette, professeur de formation pratique à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Il souligne que lorsque quelqu’un est compétent dans quelque chose, il ressent du bien-être et cherche à reproduire cette sensation. Pour certains élèves, cette compétence se retrouve dans le mouvement, dans le sport. « Les pairs reconnaissent le talent d’un tel élève, il est populaire », rappelle-t-il.

Mal adaptée aux garçons

Sébastien Rojo croit que l’école n’est pas adaptée à la diversité des élèves. « On a des jeunes qui se retrouvent mal dans un contexte scolaire », déplore-t-il.

Selon lui, l’école, avec ses paramètres actuels, répond mal aux besoins de bien des garçons. Le taux de décrochage, constamment plus élevé du côté des garçons que du côté des filles, semble indiquer un malaise. En 2012-2013, il s’élevait chez les jeunes du secondaire à 21,9 % chez les garçons et à 13,9 % pour les filles.

« Les garçons, par leur génétique, sont un peu plus kinesthésiques, plus moteurs. »

— Éric Morissette

Demeurer assis et écouter un prof pendant des heures, ce n’est pas facile. Même pour les adultes.

« Je donne beaucoup de conférences à des enseignants, dit M. Morissette. Trois fois sur quatre, l’organisateur de la conférence me fait savoir que la capacité de concentration de ses enseignants est d’une heure. Ça m’a toujours surpris de voir qu’une conférence de deux heures va au-delà des capacités de ceux qui demandent à des enfants de rester assis cinq heures par jour. »

En outre, il estime que l’école est de plus en plus aseptisée. « Toute manifestation d’agressivité est associée à la violence, ce qui n’est pas un lien toujours direct », affirme-t-il.

Il soutient qu’il y a de la place pour l’agressivité dans le sport collectif. « Ça prend de l’agressivité pour s’affirmer auprès de l’adversaire, pour lui enlever la rondelle ou le ballon et marquer. »

Évidemment, en classe, cette agressivité devient un défaut. D’où l’importance de la canaliser à bon escient dans le sport.

Jeu libre limité

Mais voilà, « la logique de la gestion de risque », pour reprendre les termes de Sébastien Rojo, est de plus en plus présente à l’école.

« Les jeux de ballon ne sont plus autant valorisés et les jeux un peu plus rudes sont totalement proscrits, déplore M. Rojo. On est de plus en plus limités dans les activités physiques et, surtout, dans le jeu libre. »

« L’activité physique peut avoir des effets dans plusieurs domaines de développement : cognitif, physique, affectif et social, souligne Félix Berrigan, professeur à la faculté des sciences de l’activité physique à l’Université de Sherbrooke. Ces effets sont différents d’un jeune à l’autre, selon leurs caractéristiques individuelles, leur genre, leur âge, leur statut pondéral, leur condition physique ou leur histoire d’activités physiques. »

Bouger permet notamment de tisser des liens. Pour certains jeunes, c’est ce qui les maintient à l’école, affirme M. Berrigan.

Et selon plusieurs études, l’activité physique aurait un effet positif sur la concentration. « Ça peut mener à de meilleurs résultats scolaires, et donc faire en sorte, peut-être, que le jeune reste plus longtemps à l’école », avance M. Berrigan. Il note qu’il est difficile d’isoler les différents facteurs qui peuvent entrer en jeu. Est-ce que c’est le cours d’éducation physique lui-même qui a un effet positif ? Est-ce que c’est le prof ? Est-ce que c’est tout l’environnement scolaire ?

« Il n’y a pas de lien de cause à effet. Ça devient difficile d’avoir une réponse très claire, mais il y a beaucoup d’études qui pointent dans cette direction. »

Déclic au secondaire

Jeunes et moins jeunes expliquent pourquoi le sport les a motivés à rester sur les bancs d’école.

Avianna Thompson

Montréal

Élève à l’école secondaire Saint-Luc

14 ans

Lorsque Avianna Thompson se retrouve devant un problème de mathématiques épineux, elle essaie de le replacer dans un monde qu’elle connaît bien et qu’elle adore : le basketball.

« Si je dois travailler sur les pourcentages, je pense à un de mes joueurs préférés, Stephen Curry. S’il rate 3 lancers et en réussit 10, quel est le taux de réussite ? Ça rend les mathématiques plus intéressantes. »

Avianna Thompson joue elle-même au basketball à l’école et dans un club à l’extérieur du milieu scolaire. Elle a commencé très jeune et a toujours continué. À 14 ans, elle mesure 1,83 m (6 pi) et continue à grandir.

À l’école, dans les cours plus scolaires, ça va, selon la matière. Comme elle est anglophone, elle a un peu plus de difficulté en français. Mais ce qu’elle aime vraiment, ce sont les cours d’éducation physique (deux périodes sur une séquence de neuf jours) et les cours de basketball (quatre périodes sur une séquence de neuf jours) qu’elle peut suivre grâce à son profil basketball.

Ces jours-là, c’est vraiment facile de se lever pour aller à l’école. « Je sais que je pourrai faire du sport. »

Elle a une source additionnelle de motivation. « Je veux aller loin dans la vie et je sais que sans éducation, ce ne sera pas possible. Je ne pourrai pas faire ceci, je ne pourrai pas faire cela. Ça me motive pour aller à l’école. »

Idéalement, elle voudrait devenir joueuse de basketball professionnelle. Sinon, peut-être avocate ou médecin. Elle ne sait pas encore. L’important, c’est d’ouvrir toutes les portes.

Florian Bobeuf

Montréal

Coordonnateur de recherche

39 ans

Florian Bobeuf n’aimait pas spécialement l’école. Lorsque venait le temps de rentrer en classe après la récréation, il était le dernier à se mettre en ligne. « C’était l’idée de m’asseoir, d’écouter, d’étudier. »

Il se rappelle certaines discussions avec sa mère. « Je lui nommais des métiers pour lesquels, selon moi, je n’avais pas besoin d’aller à l’école : maçon, pompier… Mais le jour où je lui ai dit que je me ferais chômeur, j’ai pris une claque dans la gueule. »

Le déclic s’est produit au secondaire, au contact de deux professeurs d’éducation physique. « J’aimais beaucoup ce qu’ils faisaient. Ils avaient une grande capacité à démontrer et pas juste à parler. Ils avaient beaucoup d’enthousiasme. C’est ça qui m’a orienté vers le milieu sportif. »

Il a fait l’équivalent du cégep (il habitait alors en France) en sport-études, en athlétisme.

« Pour entrer en sport-études, ça demandait un certain niveau scolaire, ça m’a motivé. J’étais également motivé pour aller à l’université. Ce n’est pas que j’étais content d’aller aux cours, mais j’avais un objectif relativement à court terme. »

Celui qui n’aimait pas trop l’école est en train de faire un postdoctorat sur les effets de l’activité physique sur la cognition. « Je n’aime toujours pas les cours, avec un système d’examens, mais c’est sûr que parfois, il faut être encadré, apprendre une certaine façon de faire. »

Pierre-Luc Lauzière

Drummondville

Professeur d’éducation physique et arbitre

33 ans

Pour Pierre-Luc Lauzière, il n’y avait rien de plus motivant que la journée où il y avait de l’éducation physique à l’horaire.

« Nous avions cinq périodes par jour, mais dans mon esprit, cette journée-là, il n’y avait que quatre périodes. Pour un enfant qui aime ça, l’éducation physique, ce n’est pas une période : c’est un cadeau. »

Et encore, il avait bien hâte que le prof d’éducation physique cesse de parler pour qu’il puisse jouer.

Au secondaire, la grande motivation, c’était la possibilité de se joindre à l’équipe de l’école. « J’étais un élève turbulent, actif. Ce qui fonctionnait bien pour un enfant comme moi, c’est que les résultats et le comportement en classe étaient déterminants. Il ne fallait aucun commentaire négatif sur le bulletin. J’étais donc assidu, à mes affaires. J’étudiais fort parce que pour moi, c’était important de faire partie de l’équipe et d’aller jouer contre les autres écoles. »

En quatrième et cinquième secondaire, il s’est inscrit à l’option éducation physique, ce qui lui donnait droit à quatre cours de plus par séquence de neuf jours.

Au cégep, il savait qu’il allait se diriger vers l’enseignement de l’éducation physique. Il s’est inscrit à l’Université de Sherbrooke pour atteindre son objectif. « Il y avait beaucoup de cours didactiques, qui donnaient les outils nécessaires pour être capable d’enseigner la matière. Mais tu étudies quelque chose que tu aimes avec des gens qui ont la même passion que toi. »

Maintenant, Pierre-Luc Lauzière se revoit dans plusieurs de ses élèves. « Ils arrivent, ils sont contents, l’heure passe vite. »

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