OPINION JOCELYN COULON

SOMMET TRUMP-KIM
Le plus difficile reste à venir

Les premiers moments de la rencontre Trump-Kim mardi matin à Singapour n’ont duré que quelques secondes. On n’y croyait plus, tant les deux hommes avaient effrayé le monde au cours d’une année où ils avaient échangé insultes et menaces.

Ce sommet avait aussi quelque chose de surréaliste, tant les deux pays sont à des années-lumière sur les plans économique, diplomatique et militaire. Et pourtant, comme le rappellent les théoriciens de l’arme atomique, le nucléaire a un pouvoir égalisateur.

Ce sont donc en tant qu’égaux (avec de gros ego) que les deux dirigeants ont lancé à Singapour un processus qui devrait aboutir à la « dénucléarisation de la péninsule coréenne », pour reprendre l’expression contenue dans la déclaration commune signée après la rencontre. Le document ne mentionne plus l’exigence américaine de « dénucléarisation complète, vérifiable et irréversible ». La formule avait le mérite d’être simple et précise, mais les Américains visaient d’abord la Corée du Nord.

La nouvelle formule semble entretenir une certaine ambiguïté sur le contenu même de la dénucléarisation, ce qui n’est pas une mauvaise option au moment où la diplomatie reprend du service après des années de tension entre les deux pays. Une marge de manœuvre est nécessaire, car on le sait bien, le plus difficile reste à venir.

Dès la semaine prochaine, les diplomates américains et nord-coréens vont commencer à baliser les contours d’une négociation à plusieurs volets.

Le premier portera sur les engagements immédiats auxquels les deux dirigeants ont souscrit : restituer les corps de prisonniers de guerre et mettre fin aux exercices militaires. Il s’agit ici de mesures classiques visant à établir la confiance.

Le deuxième volet s’attardera au développement de garanties de sécurité afin d’assurer la survie du régime nord-coréen et l’intégrité de la Corée du Nord. Sans ces mesures, Pyongyang refusera de négocier l’élimination de son programme nucléaire.

Le troisième volet, le plus important, verra les deux puissances définir exactement ce que veut dire « dénucléariser la péninsule coréenne ». Du côté nord-coréen, la question est simple : il s’agit d’éliminer les armes nucléaires déjà présentes ainsi que les missiles et les avions pouvant les transporter, et de démanteler l’ensemble des structures physiques et scientifiques permettant la poursuite du programme.

En Corée du Sud, la tâche risque d’être plus compliquée. Officiellement, le pays n’a pas de programme nucléaire militaire, mais il possède tous les éléments pour acquérir des armes atomiques. De plus, les Américains peuvent introduire ces armes en territoire sud-coréen.

Il faut, là aussi, neutraliser les capacités sud-coréennes et trouver une entente politique pour transformer le pays en un territoire exempt d’armes nucléaires.

Les différentes étapes menant à la dénucléarisation de la péninsule coréenne exigeront le déploiement sur place de mesures de vérification très intrusives afin d’assurer tous les signataires d’un accord de sa bonne mise en œuvre. Ce travail relèvera essentiellement des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Enfin, quatrième volet, la conclusion d’un accord devra aussi s’accompagner de la signature d’un traité de paix mettant fin à la guerre de 1950. Ceci permettra l’établissement de liens diplomatiques entre Washington et Pyongyang et l’instauration de relations économiques, une promesse faite par Donald Trump au dirigeant nord-coréen afin de le convaincre de renoncer à ses armes.

Il reste une grande inconnue, celle dont personne ne veut encore parler, car ses ramifications géopolitiques risquent de changer la donne dans cette partie du monde : la dénucléarisation va-t-elle mener à la réunification de la péninsule coréenne ? 

L’hypothèque nucléaire en voie de disparaître, ce serait, d’une certaine façon, l’aboutissement logique de la politique de réconciliation intercoréenne lancée il y a peu par les présidents nord et sud-coréen.

Mais déjà, mille questions surgissent. Quel serait le régime politique et économique de la nouvelle Corée ? Quelle serait la puissance de ses forces armées ? Ce nouveau pays de 75 millions d’habitants entouré de la Chine, du Japon et de la Russie et subissant l’influence des États-Unis serait-il neutre ou aligné ? Si aligné, avec quelle puissance ou avec quelle alliance ?

Le sommet de Singapour vient d’ouvrir de nouvelles perspectives pour l’avenir des deux Corées et pour l’Asie. Espérons simplement qu’il ne s’agisse pas d’une boîte de Pandore.

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