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Demeure ancienne, nouveau propriétaire

Au Québec, les maisons antiques en font rêver plus d’un. Et ce n’est pas le choix qui manque, car il y a des centaines de milliers de propriétés qui datent d’avant les années 40. Envie d’une belle d’antan ? Sachez tout de même que ce type de résidence exige plus de soins et un bon coussin pour les imprévus.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATRICE JULIE ROY

Bonne ou mauvaise idée ?

Les vieilles maisons ont souvent beaucoup de charme. Mais leurs vieux murs cachent parfois de multiples surprises… Trois propriétaires racontent leur expérience.

De surprise en surprise

Julie Desaulniers rêvait de revenir dans le patelin qui l’avait vu grandir. En 2012, elle tombe sur une maison qui date des années 40. Elle sait que la demeure a déjà été un restaurant et que son père l’a même fréquenté. Son cœur parle et elle désire l’acquérir. En compagnie d’un ami, qui avait de l’expérience dans le domaine de la construction, elle en fait le tour. Tout semble conforme. « Les fondations étaient bonnes, et elle avait été rénovée en 2004. On m’avait aussi affirmé que la plomberie et l’électricité avaient été refaites », raconte la jeune femme.

Son conjoint, Daniel Lafortune, et elle en deviennent propriétaires sans la faire inspecter… et sans garantie légale. Erreur. Dès qu’ils passent chez le notaire, les problèmes commencent. « Quand la maison a été construite, il n’y avait pas réellement de zonage. Au fil du temps, plein de servitudes se sont ajoutées. Au point où l’on se retrouvait enclavés. Cela a fini par se régler, mais ce n’était que le début », explique Julie Desaulniers.

Le couple va de surprise en surprise. L’électricité fait des siennes, et changer un simple luminaire exige des heures. L’isolation n’est guère mieux, et le premier hiver est difficile. Le coût de chauffage atteint des sommes astronomiques. « Nous avons visité la maison au printemps. À l’hiver, on s’est vite rendu compte que ce qui servait de cuisine d’été n’avait jamais été isolé. » Côté plomberie, les besoins de l’époque n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui, et la famille de cinq personnes s’en aperçoit rapidement. « La pression ne suffit pas. Il faudrait briser le mur pour changer la pompe et tout mettre aux normes d’aujourd’hui. »

En tout, le couple a investi jusqu’à présent 30 000 $ en rénovations, et ce n’est pas terminé. « Nous sommes freinés par le manque d’argent, mais aussi parce que c’est difficile de faire du neuf avec du vieux. Il faut faire avec ce qu’il y a en place. Cela nous oblige à travailler sur des solutions », admet la propriétaire.

Malgré tous leurs déboires, le couple ne regrette pas l’achat de sa vieille maison. « J’aime ses défauts, ses planchers qui craquent, ses vieilles marches et son histoire. C’est une maison qui a du vécu. Les sentiments n’ont pas de prix, quoique si c’était à refaire, on ferait venir un inspecteur et on négocierait le prix. »

Trouver la perle rare

Guillaume Valois et sa conjointe, Charlène Guertin, avaient comme projet de famille de vivre dans une vieille maison. Ils l’ont cherchée longtemps et auraient pu se faire avoir si ça n’avait été de leur vigilance. Il y a quelques années, ils ont déniché une maison qui correspondait en tous points à leurs critères. Une propriété de 250 ans. « Elle avait une apparence extraordinaire avec ses vieilles poutres en bois d’origine qui avaient été coupées à la hache, son plancher d’origine et sa vieille pompe à eau », raconte M. Valois.

Le couple décide de louer la demeure avec option d’achat. Même s’il y réside et qu’à première vue, il n’y a aucun problème, il décide tout de même de requérir les services d’un inspecteur. Une surprise de taille l’attend : la maison s’enfonce, et de l’eau attaque les cadrages. « Il aurait fallu investir 200 000 $ pour corriger la problématique. On a déchiré l’offre d’achat », se souvient Guillaume Valois.

Le couple se met en quête d’un autre paradis. Il visitera pas moins de 10 propriétés et en fera inspecter deux autres avant de tomber sur la maison de ses rêves. « On avait fait expertiser une autre demeure, mais la propriétaire était une amoureuse des chats, et tout avait été abîmé par l’urine. Une seule occupante avait détruit une superbe maison centenaire. »

C’est finalement à Louiseville que le couple a déniché l’endroit qui lui convenait. Une maison qui avait été entretenue et rénovée par les anciens propriétaires. « Les gens de l’époque avaient le temps de construire des choses solides. Les propriétaires qui se sont succédé ensuite ont mis beaucoup d’argent en rénovations », dit le jeune homme.

Maintenant, c’est au couple de donner de l’amour à cette vieille demeure, une tâche qui demande beaucoup de temps. « Le bois est omniprésent chez nous. C’est trois fois plus de soins. Il faut aussi éplucher des livres pour entretenir le tout comme il se doit, mais cela vaut tellement la peine. On ne regrette rien », soutient Guillaume Valois.

Une maison sans souci, mais pas de l’avis des assureurs

Lorsqu’elle a déniché sa maison, Julie Houle savait que la demeure datant de 1901 avait été entretenue avec grand soin par son ancienne propriétaire. Pour s’en assurer, elle a fait inspecter la demeure par un ami contracteur en construction. L’électricité, la plomberie et la cheminée avaient été mises aux normes par des professionnels.

Les problèmes ont débuté lorsque la femme de 34 ans a voulu faire assurer sa demeure. Premier obstacle, la maison, dont l’ancienne propriétaire était morte, avait été inhabitée pendant plus de deux mois. « Aussitôt que je mentionnais ce fait, on me disait non », souligne Julie Houle.

Il lui aura fallu consulter des dizaines d’assureurs avant d’en trouver un qui accepte d’entamer un processus de soumission. Manque de chance, on la refuse encore ou on lui demande une prime de plus de 5000 $ pour l’assurer. Cette fois, c’est l’âge de la toiture qui pose problème. « C’est une toiture d’origine avec une épaisse tôle pliée deux fois. Quand je l’ai fait inspecter, tout était sec. Les assureurs ne voulaient rien savoir. On m’a même dit qu’une toiture bonne à vie ne veut pas dire qu’elle est éternelle. Pour eux, un toit ne peut pas durer plus de 25-30 ans. Pour m’assurer, ils exigeaient que je fasse venir un maître couvreur pour inspecter le toit. Une dépense d’environ 1000 $ », raconte la propriétaire.

Découragée, elle se tourne vers la compagnie qui assurait déjà son ancienne maison depuis des années. Un évaluateur visite la propriété et fait une liste de ce qu’il juge non conforme. Lorsqu’il constate la présence d’une vieille cuisinière antique toujours fonctionnelle dans la cuisine, l’évaluateur exige que la cheminée soit enlevée et la cuisinière, condamnée dans les 30 jours. Il demande aussi que le balcon soit entièrement refait, car les barreaux ne sont pas à une hauteur adéquate. « J’ai contesté et j’ai gagné, mais la compagnie d’assurances a refusé de couvrir tous les dégâts d’eau qui auraient pu se produire. Je n’avais pas le choix, j’étais prise. Pendant un an, j’ai vécu ce stress », témoigne Julie Houle.

Un an plus tard, après maintes démarches, elle a enfin déniché une compagnie d’assurance dont les critères sont différents et qui la couvre en entier, et ce, pour un prix raisonnable.

Ce qu’il faut absolument vérifier

Jean-François Nadeau, propriétaire de l’entreprise Inspection sur mesure et spécialiste de maisons anciennes, explique les principaux points à inspecter lorsque vient le temps d’acheter une vieille demeure.

Les fondations

Première chose à faire, on descend au sous-sol, on surveille l’effritement, les odeurs, les infiltrations, la moisissure et l’humidité. Est-ce que le mortier se désagrège ? La meilleure manière de le découvrir est avec une clé ou un autre objet pointu. Si cette dernière s’enfonce comme dans du beurre mou, les lumières rouges doivent s’allumer. Même chose si on note la présence de traces noires ou des signes de déformation des matériaux. Côté affaissement, c’est plutôt difficile à déterminer, mais un expert avec des instruments de mesure peut déterminer s’il y a un indice de mouvement.

Le comble

C’est le deuxième endroit à inspecter. On vérifie les traces de moisissures, les cernes. En hiver, la température doit s’approcher des conditions extérieures. Dans le cas contraire, il existe peut-être un problème de ventilation. La présence de bouts de bois cassés, de traces noires n’est pas de bon augure. Côté isolant, entre 10 et 12 po est une épaisseur convenable, mais attention au type d’isolant. La présence de vermiculite n’est pas toujours une bonne nouvelle, car ce matériau contient bien souvent de l’amiante.

Structure interne et cheminée

Un plancher croche dans une vieille maison n’est pas un problème en soi, sauf si la pente est trop prononcée d’un côté de la maison. Là, il peut s’agir d’un début d’affaissement. Façon simple de le découvrir : si, à tous les étages, la même pente subsiste, prenez garde. Dehors, on observe la cheminée. Quel est son état ? Est-ce qu’elle penche ? Malheureusement, c’est souvent un élément qui devra être remis aux normes.

Électricité

Pas toujours simple à vérifier quand on n’a pas d’expertise en la matière, mais quelques points peuvent mettre la puce à l’oreille. Observer les prises et leur nombre ; si elles ont seulement deux brins, questionnez-vous. Soyez attentif aux fils qui pendent, aux fusibles, au panneau électrique et à la présence de connecteurs en porcelaine. Tout cela peut signifier que l’électricité n’a pas été refaite et qu’elle se limite sûrement à 100 ampères, donc qu’elle n’est pas adéquate pour la vie d’aujourd’hui.

Les éléments de bois

Dans les anciennes demeures, le bois est très présent. La peinture peut cacher un matériau en mauvais état. Encore là, avec un outil pointu, on s’assure que ce dernier n’entre pas facilement dans le bois. On porte une attention aux cernes, aux trous qui peuvent avoir été causés par des insectes. La présence de fourmis en plein hiver n’est pas normale. On touche, on sent. Une mauvaise odeur, on s’inquiète. On ouvre et ferme les fenêtres pour voir si elles se ferment correctement et s’assurer de leur qualité.

Sécurité et environnement

Les normes de construction des maisons ont beaucoup évolué avec le temps. Question sécurité, il faut tenir compte de plusieurs éléments. Est-ce que la maison est pourvue de détecteurs de fumée  ? Les balcons et les garde-corps sont-ils sécuritaires  ? Si vous avez des enfants, attention aux espacements des barreaux et à la largeur des marches. Problème qui revient régulièrement, l’âge des fournaises. La présence de rouille peut indiquer qu’il faudra la changer prochainement pour éviter tout déversement dans la nature.

L’avis des experts

Assureurs, courtiers et propriétaires ne voient pas toujours les vieilles demeures du même œil. Petit tour d’horizon en trois perspectives.

Les assurances

Line Crevier, du centre d’information du Bureau d’assurance du Canada (BAC), convient qu’assurer une vieille demeure peut être plus long qu’une maison plus moderne. Premier élément qui rebute les assureurs, l’année de construction.

« C’est difficile pour un assureur de savoir les sommes qui seront requises en cas de sinistre ou de reconstruction. Les polices n’ont pas été conçues en ce sens puisqu’elles prennent en compte la reconstruction avec des méthodes et des matériaux actuels, et non avec des matériaux d’époque qui sont plus chers. Le recours à des artisans spécialisés pour conserver l’intégrité de la maison peut également faire gonfler la facture », souligne Line Crevier.

Autre point, les assureurs nagent en pleine noirceur quand vient le temps de déterminer les normes qui seront exigées par les municipalités. « C’est encore plus difficile avec les bâtiments historiques. Les compagnies veulent savoir où elles mettent les pieds et au lieu de mal assurer, elles préfèrent ne pas assurer », explique la responsable du BAC. S’il y a présence d’antiquités dans la maison, le casse-tête est encore plus grand, et la police risque de monter en flèche. Conseil : prendre des photos du contenu de la demeure et documenter leur valeur.

Toiture, électricité, plomberie, balcon, fournaise à l’huile, poêle à bois, etc. sont autant d’éléments qui peuvent être problématiques. Line Crevier stipule qu’avant d’entrer en contact avec un assureur, les propriétaires peuvent mettre les chances de leur côté en faisant évaluer leur domicile par un expert et en ayant en main les factures des rénovations, de l’entretien et le certificat de localisation.

Si un propriétaire d’une maison ancienne a de la difficulté à trouver une compagnie d’assurances, il peut communiquer avec le BAC qui pourra l’aiguiller. Autre ressource : le regroupement Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ). En collaboration avec le cabinet de services financiers Lussier Dale Parizeau, il a mis en place le programme d’assurance Heritas exclusif aux propriétaires de maisons anciennes du Québec, construites avant 1940. Trois niveaux de protection sont offerts et répondent aux besoins et budgets des propriétaires ainsi qu’aux particularités de leur maison.

Le point de vue d’un courtier

Marc Lacasse, courtier immobilier et porte-parole de la Chambre immobilière du Grand Montréal (CIGM), confirme que la vente d’une maison ancienne n’est pas une vente comme les autres. Elle exige plus de temps et une vérification plus approfondie. « Normalement, on ne veut pas que le vendeur soit présent quand on visite la maison la première fois. Dans le cas des maisons antiques, c’est tout le contraire. On veut que le vendeur soit là. Cela nous permet de le questionner davantage et lui donne la chance de décrire sa maison. Ensuite, on complète avec des expertises préachat avec des spécialistes dans ce créneau. »

Le courtier ne recommande pas ce type d’achat à un premier acheteur, en raison des imprévus possibles. « Une maison antique est l’équivalent d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête. On ne sait jamais à quel imprévu on va devoir faire face et souvent, ce sont des sommes importantes qui devront être déboursées », explique le courtier.

Les frais d’entretien exigent aussi d’avoir des poches profondes et du temps. « Une vieille maison coûte plus cher à entretenir, sans parler des assurances et de la facture d’électricité qui seront généralement plus élevées. On ne parle pas non plus du fait qu’il faudra vernir ou peinturer régulièrement tout ce qui est en bois », met en garde Marc Lacasse.

Quand un futur acheteur se manifeste pour ce type de résidence, Marc Lacasse avoue qu’il pose plus de questions dans le but de mieux connaître son client. « Avec tout ce que cela implique, on doit bien conseiller les gens. »

Avant l’achat, le courtier recommande de s’informer préalablement au sujet de la maison convoitée et d’être conscient des règles qui régissent le patrimoine. « La première chose à faire est de demander un certificat de localisation pour savoir si la maison fait partie du patrimoine protégé. Si c’est le cas, sachez que vous ne pourrez pas faire ce que vous voulez avec cette maison. Aussi, en cas d’incendie, il est possible que malgré des droits acquis, il vous soit impossible de reconstruire au même endroit. »

Amis et propriétaires de maisons anciennes

Claire Pageau et Clément Locat, membres de l’organisation Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), voient plein d’avantages à être propriétaire de l’une des quelque 500 000 demeures antiques que compterait la province, selon leur organisation. « Ce sont des maisons qui ont du caractère. Elles n’ont pas été construites selon les mêmes plans que les demeures voisines, ce qui leur confère de l’originalité », constate Clément Locat.

Les deux représentants de l’APMAQ sont aussi d’avis que les maisons anciennes sont solides et qu’elles ont été conçues dans le but de durer dans le temps. « Souvent, ce sont des résidences qui ont été mieux construites. À cette époque, les gens bâtissaient pour l’avenir. Il n’est pas rare de retrouver des toitures qui ont plus de 100 ans et qui vont tenir encore longtemps. Aussi, les matériaux utilisés ne contiennent pas de produits chimiques qui pourraient nuire à la santé », témoignent-ils.

Les gens de l’APMAQ sont catégoriques : vivre dans une belle d’autrefois ne veut pas dire habiter dans un musée. « Les maisons ont été adaptées pour notre époque, mais sans être totalement changées », soutient Claire Pageau. Cette dernière met toutefois en garde les futurs acheteurs qui auraient l’idée de transformer entièrement ces demeures pour les mettre au goût du jour. « Il faut être conscient de ce qu’on achète. Il y a un esprit qui vient avec. Toutes les rénovations ne sont pas bonnes à faire et peuvent facilement défigurer l’intégrité d’une maison. Un plancher chauffant dans une cuisine, ça ne va pas. »

Clément Locat croit qu’il faut faire attention au coup de foudre et ne pas se laisser emporter par les émotions. « Il faut être prudent avec le prix. La demeure doit avoir été bien évaluée par un inspecteur spécialisé dans ce créneau. »

En ce qui concerne les 6000 maisons classées historiques du Québec, Clément Locat incite les futurs acheteurs à bien peser le pour et le contre. « Quand on achète ce type de bâtiment, on s’engage dans quelque chose. On protège l’histoire, et cela vient avec des obligations et des responsabilités qui ne sont pas faites pour tout le monde. »

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