Chronique

La théorie de la relativité selon Coiteux

Voici ce que je comprends de la théorie de la relativité. Je ne parle pas de la théorie d’Albert Einstein, mais de l’exercice de relativité salariale que Martin Coiteux vient de proposer aux 460 000 employés des réseaux de la santé et de l’éducation.

Selon l’offre de vendredi, les salaires des enseignants et des infirmières au sommet de l’échelle seraient redressés de 2,5 % en 2019, somme qui s’ajouterait à la hausse de 3 % sur cinq ans déjà proposée par le gouvernement. Les syndicats sont mécontents de cette nouvelle offre pour différentes raisons.

Pour comprendre, il faut remonter à la genèse de la relativité. Il y a quelques années, le gouvernement et les syndicats ont voulu catégoriser tous les types d’emplois du secteur public, question de s’assurer que les emplois à prédominance féminine étaient équitablement rémunérés.

Les deux parties ont ainsi établi une grille de 28 différents niveaux d’emplois. Les professionnels se situent dans les rangements 19 à 28, tandis que les techniciens sont dans les rangements plus bas.

Chemin faisant, toutefois, on s’est rendu compte que bon nombre de postes équivalents d’un même niveau – féminins ou non – ne sont pas rémunérés de la même façon. Par exemple, un travailleur social au sommet de l’échelle gagne 76 486 $ en 2015, tandis qu’un poste équivalent de criminologue touche 72 852 $. Les deux postes sont au niveau 22.

Autre constat : pour ces 28 rangements d’emplois, il y a 165 différentes échelles salariales, soit près de six échelles par catégorie, un véritable capharnaüm bureaucratique ! Idéalement, le gouvernement veut une seule échelle par niveau d’emploi, pour un total de 28 échelles.

Vous me suivez ?

Le hic, c’est que l’exercice bouleverse les barèmes salariaux déjà établis et qu’il est fort coûteux. En effet, pour rendre le changement acceptable, le gouvernement doit essentiellement redresser le salaire des emplois équivalents moins payés plutôt que de baisser ceux des postes relativement trop payés.

Vendredi, donc, le gouvernement a promis d’injecter 550 millions pour ramener les emplois équivalents sur une base salariale commune. La somme serait décaissée au cours de l’année budgétaire débutant le 1er avril 2019. Selon le Conseil du trésor, 95 % des 460 000 employés des réseaux de la santé et de l’éducation seraient gagnants. La moyenne des gains serait de 2,3 %.

L’exercice ne ferait pas que des heureux. Environ 13 000 employés verraient leur salaire baisser, de l’ordre de 1 à 2 % pour la plupart. Essentiellement, cet écart de 1 à 2 % avec les postes équivalents serait étalé sur trois ans à partir de 2019, selon l’offre. Toutefois, en combinant cette baisse avec l’augmentation globale de 3 % sur 5 ans, le nombre réel d’employés qui verra son salaire baisser sera très faible.

Vous me suivez toujours ?

J’oubliais. Les plus grands perdants sont les quelque 150 avocats qui sont relativement surpayés depuis plusieurs années dans le réseau de la santé. Leur baisse salariale relative serait de 24 % sur trois ans, selon l’offre.

Globalement, le procédé aurait pour effet de bonifier réellement les salaires. Prenons les enseignants du primaire-secondaire, qui sont tous au niveau 22. En avril 2019, l’augmentation additionnelle serait de 1973 $ au sommet de l’échelle, ce qui bénéficierait à environ la moitié des 67 000 enseignants (décompte en équivalents temps complet). Sans la relativité, leur salaire aurait dû passer de 76 486 $ en 2015 à 78 804 $ en 2019. Avec la relativité, il bondirait plutôt à 80 777 $.

Les infirmières cliniciennes verraient également leur salaire atteindre 80 777 $ au sommet de l’échelle, puisqu’elles se situent elles aussi au niveau 22 (elles sont titulaires d’un bac). Leur hausse serait de 2,5 %, qui s’ajouterait au 3 % sur 5 ans.

Quant aux infirmières du niveau 18 (des techniciennes), leur salaire atteindrait environ 68 400 $ en avril 2019 (36,31 $ de l’heure), ce qui représente aussi une majoration de 2,5 % sur l’offre de 3 % sur 5 ans.

Capiche ?

Cela dit, un tel redressement exige de faire des choix particuliers, que les syndicats dénoncent. Entre autres, pour devenir relativement équitable avec les autres, le salaire de départ des infirmières du niveau 18 devra être abaissé de 2,6 % à partir d’avril 2019, à 23,18 $ de l’heure. Pour faire passer la pilule, le Conseil du trésor suggère que seules les nouvelles infirmières de niveau 18 embauchées en 2019 soient touchées par cette baisse, pas les autres.

Autre problème : le salaire des enseignants ne sera pas équivalent à celui des autres employés de niveau 22 pour tous les échelons de l’échelle, mais seulement au sommet. En effet, pour les enseignants, les hausses de salaire demeureraient annuelles, tandis qu’elles surviennent deux fois par an pour les autres employés de rangement 19 à 28 durant les quatre premières années.

Conséquence : les enseignants grimpent moins vite dans l’échelle salariale que les infirmières cliniciennes, par exemple. À cela s’ajoute le fait que l’échelle salariale des enseignants s’étend sur 17 ans (14 ans avec le bac désormais obligatoire de 4 ans), comparativement à 13 ans pour les autres employés du niveau 22.

Cette différence irrite les syndicats d’enseignants, qui réclament le même traitement. D’autant plus qu’en comparaison des enseignants du Canada anglais, ceux du Québec commencent avec un salaire plus bas et que le temps pour atteindre un sommet semblable est plus long.

Maintenant, un tiens vaut-il mieux que deux tu l’auras ?

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