Chronique

Un candidat chez le psy

« Docteur, je suis mêlé…

— Je le sais, c’est pour ça que vous me payez.

— Non, mais là, c’est important, ça m’empêche de fonctionner. Je veux me présenter aux prochaines élections.

— Félicitations !

— Mais je ne sais pas pour quel parti ! Aidez-moi !

— C’est simple, pour qui avez-vous voté aux dernières élections ?

— J’ai voté pour la CAQ, en espérant faire rentrer le PQ, mais c’est les libéraux qui ont gagné.

— Ah ! Vous êtes un stratégique, vous !

— Tous les Québécois sont des stratégiques ! On est un peuple de stratégiques. On veut que le Canadien perde pour avoir le premier choix ! Durant des années, on a voté pour Pierre Elliott Trudeau à Ottawa et René Lévesque à Québec. Les deux opposés ! Trudeau et Lévesque disaient exactement le contraire et on était d’accord avec les deux.

Le Québécois est un végétarien qui mange du steak. Un écolo qui roule en Hummer. Un extrémiste ouvert d’esprit. Bref, un maudit mêlé !

— Procédons par élimination. Êtes-vous pour la souveraineté du Québec ?

— Oui. À fond ! Le Québec aux Québécois !

— Ça élimine donc le PLQ et la CAQ.

— Pas si vite. Le PLQ, c’est le parti où René Lévesque a commencé. Je pourrais faire le même cheminement que notre plus grand politicien. Commencer au PLQ, comme ça j’aurais plus de chances d’être ministre, pis après, aller au PQ. Mais je pourrais aussi aller à la CAQ. La CAQ, c’est le parti de François Legault, un ancien péquiste. Je pourrais faire le cheminement contraire de lui.

— Oui, mais les deux partis pour l’indépendance, c’est quand même le PQ et Québec solidaire ?

— C’est pas si évident que ça. Parce que le PQ a dit qu’il ne fera pas de référendum dans un prochain mandat. Donc pas de référendum, pas d’indépendance.

— Oui, mais Québec solidaire a dit que s’il prenait le pouvoir, il ferait l’indépendance dès le premier mandat.

— Oui, mais Québec solidaire ne prendra pas le pouvoir. Peu importe le parti pour lequel j’me présente, j’ai le même nombre de chances partout de faire l’indépendance, soit zéro. Donc, j’peux pas me baser là-dessus pour faire mon choix.

— Essayons autrement, êtes-vous de gauche ou de droite ?

— Bonne question ! Je dirais que je suis comme tous les Québécois, je suis ambidextre. J’veux pas payer d’impôt, mais j’veux que l’État paie toute ! Je suis pour qu’on accueille tout le monde en autant que ça ne soit pas chez nous. Pis j’suis pour que tout le monde prenne les transports en commun, comme ça, y’aura moins de trafic devant mon char.

— Vous êtes donc au centre. Ça élimine Québec solidaire qui est à gauche, et la CAQ qui est à droite.

— Pas si vite. Quand t’es au centre, t’as pas besoin d’un autre centre, t’as besoin d’un ailier gauche et d’un ailier droit.

Le parti idéal pour un centriste, c’est la CAQS : la Coalition avenir Québec solidaire. Ça, ça serait une vraie coalition !

— Mais ça existe pas. Les deux partis les plus au centre, ça reste le PLQ et le PQ.

— C’est encore drôle ! Le PLQ est de droite les trois premières années de son mandat et de gauche, la dernière année. Le PQ est de gauche dans les circonscriptions où l’adversaire principal est QS, de droite dans les circonscriptions où l’adversaire principal est la CAQ, et pas si indépendantiste que ça dans les circonscriptions où le PLQ est le principal adversaire. Ça fluctue !

— Si je vous comprends bien, peu importe que l’on soit souverainiste ou fédéraliste, de gauche ou de droite, on peut se présenter pour n’importe quel parti ?

— Exactement ! On fite partout ! Lucien Bouchard était ministre conservateur et chef du Bloc. Yvon Charbonneau était syndicaliste communiste et député libéral. Richard Sévigny était le gardien du Canadien, puis celui des Nordiques. Tout se peut !

— Alors pour faire votre choix, je ne vois plus qu’un seul critère. Quel est le leader qui vous attire le plus ? Philippe Couillard, François Legault, Jean-François Lisée ou Manon Massé ?

— Justin Trudeau.

— Han ! ? Mais y’est à Ottawa.

— Je sais. C’est ça, le problème. Justin, y’a vraiment l’air cool. Avec lui, tu peux t’habiller comme tu veux. Pis si t’es chanceux, il t’invite en vacances dans les îles de ses amis, c’est pas mal plus tentant que de jouer à Opération avec Philippe ou de faire de la moto avec Manon.

— Oui, mais si vous êtes souverainiste, vous pouvez pas être avec le plus fédéraliste des partis !

— Ben oui ! Trudeau, y’est pour la diversité. Je suis sûr que ça lui ferait rien que je crie “Vive le Québec libre”, le 24 juin. En autant que je fume un joint avec lui, le 1er juillet.

— Votre heure est terminée. Désolé de n’avoir pu vous aider.

— Vous m’avez aidé, docteur. Vous avez raison, l’important, c’est le leader. Pis le leader que je préfère, c’est moi. Alors je vais me présenter pour le Bloc québécois, c’est là que j’ai le plus de chances de devenir chef, rapidement. »

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