transports en commun

Deux chambres et un train de banlieue

La mobilité a un prix et, en banlieue, certains sont prêts à payer une prime pour acheter une propriété à proximité d’une gare de train ou d’un service de bus efficace. Ils peuvent ainsi travailler au centre-ville sans perdre chaque semaine des heures dans les bouchons de circulation. Et l’arrivée prochaine du REM devrait accentuer le phénomène.

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATEUR YVON LAPRADE

Une proximité qui a son prix

Une maison unifamiliale située dans un rayon de 1,5 km d’une gare de train se vend, en moyenne, 2,8 % plus cher que les autres. Pour le condo situé dans cette même zone, le prix de vente s’apprécie jusqu’à 4,9 %.

Telle est la conclusion à laquelle en viennent les auteurs d’une étude économique visant à mesurer « l’effet qu’exerce la proximité d’une gare de train de banlieue sur le prix de vente d’une maison ».

Premier constat à la lumière de cette étude réalisée en 2016 par la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ) : acheter une propriété en périphérie de Montréal, dans un secteur bien desservi par les transports en commun (autobus, train), c’est… vendeur.

Mais ça ne se compare aucunement avec la réalité montréalaise, où une maison unifamiliale située à proximité d’une station de métro se vend, en moyenne, 38,9 % plus cher (selon les chiffres de 2016 – les plus récents) et le condo, 22 %.

« L’écart entre Montréal et les banlieues est effectivement très important, concède Paul Cardinal, analyste de marché à la FCIQ. Ça s’explique par le fait que si on achète près d’une station de métro, on aura accès à un vaste réseau souterrain. Avec le train de banlieue, ça se limite au centre-ville. »

Le garage ou la gare de train ?

Le courtier Jean-Marc Léger n’est pas convaincu de la plus-value d’une propriété située à proximité d’une gare de train.

« Je vois encore beaucoup d’acheteurs, en banlieue, qui se préoccupent davantage qu’il y ait un espace de garage pour leur automobile. »

— Jean-Marc Léger

Il ajoute : « J’ai un condo à vendre pour un client à Lachine, sur la 7Avenue. Il se trouve à seulement trois minutes à pied de la gare du Canal [sur la ligne Candiac]. Les visiteurs ne me parlent pas de l’avantage d’avoir le train tout près. »

Le courtier d’expérience constate néanmoins que les acheteurs pris dans les bouchons, matin et soir, commencent à considérer plus sérieusement les propriétés situées dans des secteurs bien desservis par les transports en commun. Il donne l’exemple d’une de ses filles qui a acheté en banlieue et qui voyage en train pour aller travailler à Montréal.

« Mais ce ne sont pas tous les acheteurs qui ont un emploi à la Place Ville Marie ou dans le centre-ville, relève-t-il. Certains doivent se taper l’autobus et le métro, après avoir pris le train de banlieue. Des acheteurs m’en font la remarque, à l’occasion. »

L’auto ou le train ?

Chose certaine, remarque pour sa part le courtier Stéphane Levasseur, la proximité d’une gare de train est une mesure « incitative ». « Depuis cinq ans, je me fais souvent poser la question à propos du train de banlieue », dit-il.

« Mes clients me disent : “Je veux continuer à prendre mon automobile, mais je veux être près de la gare le jour où je voudrai me déplacer autrement.” »

— Stéphane Levasseur

Le courtier actif dans le marché de la couronne nord de Montréal ne cache pas que les embouteillages monstres sur l’autoroute des Laurentides – jusqu’à Saint-Jérôme – et la congestion chronique sur l’autoroute 19 – qui traverse Laval du nord au sud – incitent de plus en plus d’acheteurs à bien considérer l’emplacement d’une propriété.

« Mais on a aussi de jeunes retraités qui tiennent à acheter près de la gare, dans des secteurs qui connaissent un fort développement, simplement pour être dans l’action, fréquenter les cafés branchés. Ils n’ont pas forcément l’intention de prendre le train, mais ils veulent être tout près ! »

À distance de marche…

Étonnamment, Paul Cardinal, auteur de l’étude économique en 2016, conclut que « la distance d’une propriété [des] transports en commun devient une caractéristique qui peut avoir de la valeur auprès de certains acheteurs, au même titre qu’un garage ou une chambre à coucher additionnelle ».

Mais encore faut-il que le train de banlieue soit à distance de marche raisonnable… « Une distance raisonnable, mesure-t-il, c’est 15 à 20 minutes de la gare de train. En revanche, si la propriété est à moins de 500 m de la gare, on risque d’avoir l’effet inverse. Les vibrations causées par le train peuvent déranger et nuire à la vente. »

L'atout de Brossard

Matin et soir, Jean Louchez voyage en autobus pour se rendre à son travail. Il franchit le « vieux pont » Champlain sur la voie réservée. Rendu à la Place Bonaventure, il prend le métro jusqu’à la station Beaubien. Un voyage d’une heure dans les transports en commun.

Le programmeur informatique habite Brossard, sur la Rive-Sud. Il vient d’y acheter une nouvelle maison, avec femme et enfants.

Pourquoi Brossard ? « Pour l’efficacité des transports en commun, répond-il. J’embarque dans l’autobus, qui passe tout près de chez moi, je n’ai pas à prendre mon automobile. Je n’ai pas à subir les bouchons de circulation. »

Il est parfaitement conscient que l’arrivée prochaine du REM – le train financé par la Caisse de dépôt et placement du Québec – aura un impact positif sur la valeur des propriétés, en plus d’améliorer la mobilité. Pas étonnant que les maisons se vendent rapidement – et plutôt bien – dans cette ville de banlieue qui connaît une explosion démographique sans précédent.

« C’est une véritable ville-champignon. Il s’y construit tellement de maisons ! », lance Jean Louchez, 39 ans.

C’est sans parler du futur pont Champlain qui devrait, du moins l’espère-t-il, amener plus de fluidité dans les déplacements entre la Rive-Sud et le centre-ville.

Plus proche, plus cher

Il faut comprendre que Jean Louchez a habité à Brossard de 2008 à 2014. Il connaissait la valeur des propriétés avant de faire une offre d’achat sur la maison unifamiliale où il vient d’emménager avec sa famille. Il avait passé les quatre années précédentes à Toronto avec sa conjointe et leurs trois enfants, pour le travail.

Il admet avoir visité plusieurs maisons, dans les marchés comparables de la Rive-Sud, avant d’acheter sa maison dans un quartier où il y a des arbres et un grand terrain. « J’ai réalisé que plus on s’éloigne des ponts, moins les propriétés se vendent cher », évalue-t-il, après coup.

« On aurait pu avoir une plus grande maison, de construction plus récente, disons à Boucherville ou La Prairie, mais Brossard demeurait la meilleure option pour les transports en commun. »

— Jean Louchez

De bons arguments de vente

De son côté, Joanne Morin, qui a vendu sa propriété à Jean Louchez et à sa conjointe, a constaté que les visiteurs étaient, en grande majorité, des gens qui vivaient déjà à Brossard et qui tenaient à y rester.

« Je n’ai pas eu à dire aux visiteurs que le REM s’en vient, ils le savaient, rappelle la directrice d’école à la retraite. Je n’ai pas eu à leur dire, non plus, qu’avec le nouveau pont Champlain, il sera plus facile de se rendre au centre-ville. »

Elle affirme avoir vendu sa propriété à sa pleine valeur. Même qu’il y a eu surenchère avant la transaction finale. « Il y avait peu de maisons à vendre, souligne-t-elle. J’ai reçu quatre offres d’achat en l’espace de quelques jours, après l’avoir mise en vente le 28 mars. Trois semaines plus tard, la propriété était vendue ! »

Paul Cardinal, analyste de marché à la FCIQ, ne semble pas surpris.

« Il est possible que des acheteurs soient prêts à payer une prime REM de 5 à 10 %, sachant l’impact qu’aura le train dans le développement immobilier dans les années à venir. »

— Paul Cardinal

« On sait que le REM va s’arrêter à l’Université McGill, à l’Université de Montréal, à l’aéroport Montréal-Trudeau, ajoute-t-il. Oui, ça va avoir une incidence importante sur la valeur des propriétés tout au long du parcours. Et les vendeurs, dans les secteurs concernés, devraient bénéficier d’une petite prime. »

Des gares pas toutes égales

Il ne faut pas penser que toutes les propriétés prennent de la valeur du simple fait qu’elles sont situées à proximité d’une gare de train de banlieue, relèvent les courtiers immobiliers actifs dans ce marché. Tour d’horizon.

Mascouche

« Il y a beaucoup de condos à vendre près de la gare de Mascouche, et il n’est pas rare que les vendeurs mettent de six à huit mois avant de trouver preneur, bien souvent à un prix relativement peu élevé. Dans ce contexte, il y a de bonnes occasions à saisir. Je viens de vendre un condo 178 500 $, sur l’avenue de la Gare, à Mascouche, à un couple dont la conjointe travaille à Montréal et qui souhaite prendre le train pour se rendre à Montréal. »

— Nicolas Boudreau, Remax

Saint-Janvier (Mirabel)

« Je vois de plus en plus d’acheteurs s’installer dans la région, en prévision de la mise en service de la future gare de Saint-Janvier. Ils me disent miser sur l’appréciation des propriétés, une fois que le train s’y arrêtera. Je constate que le nombre de constructions de propriétés (unifamiliales, condos) a explosé, ces dernières années. La future gare stimule le secteur immobilier, il n’y a aucun doute ! » 

— Stéphane Levasseur, Levasseur & Cie

Deux-Montagnes

« Une gare de train en banlieue, c’est un atout de vente, mais ça n’a pas la même valeur qu’une station de métro à Montréal. On ne parle pas de la même chose. Il faut également faire une distinction entre une gare de train bien située et une autre qui l’est moins. À titre d’exemple, la gare Deux-Montagnes se trouve dans un quartier où les bâtiments, tout autour, ont mal vieilli. Des acheteurs vont par ailleurs voir comme un élément irritant, plutôt qu’un avantage, le fait qu’il y ait le train, tout près, en raison du bruit. Ce sont surtout les jeunes professionnels travaillant à Montréal qui achètent pour le train. »

— Jean-François Dussault, Hyperia

Vaudreuil-Dorion

« Il ne fait aucun doute que le train apporte de la valeur à une propriété, principalement les condos situés à 5 minutes de marche. Dans Vaudreuil-Dorion, il y a une forte concentration de condos près de la gare à moins de 250 000 $. Les acheteurs veulent être près de la gare, mais pas à côté de la voie ! Ils ont encore en mémoire la tragédie de Lac-Mégantic, même si on ne parle pas de la même chose. Je prévois que le marché “proche de la gare” va prendre de l’ampleur, puisqu’il est question de faire passer de 21 à 42 le nombre de trains quotidiennement [sur la ligne Vaudreuil-Dorion]. »

— Giacomina Paccione, Remax

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