Chronique
Qui paie le prix de nos vêtements ?
La Presse
La mort abjecte au Bangladesh il y a quelques jours d’un garçon de 10 ans dans l’usine de textile où il travaillait – il a été torturé vraisemblablement par des collègues qui le trouvaient trop revendicateur – a relancé un débat qui va et qui revient constamment dans le secteur commercial du vêtement : doit-on ou pas acheter des produits venus de pays où les droits des travailleurs et, tant qu’à y être, les normes environnementales ne sont pas respectés ?
En d’autres mots, devrait-on boycotter les produits provenant, par exemple, du Bangladesh, un pays qui fait les manchettes un peu trop souvent à cet égard ? Rappelez-vous l’usine de fabrication de vêtements qui s’est écroulée en 2013, le Rana Plaza, où on fabriquait notamment les vêtements Joe Fresh vendus dans nos Provigo et Maxi & Cie.
La réponse à cette question n’est pas simple.
Non, on ne devrait pas encourager les entreprises qui font affaire avec des fabricants douteux à poursuivre dans cette voie. Mais qu’arrivera-t-il des emplois des personnes qui vivent grâce à nos achats ? Et est-on prêt à payer le prix, parce qu’il y en a un, pour des vêtements fabriqués selon nos normes éthiques ? N’est-ce pas drôlement pratique, pour nous, de payer si peu cher ? Et comment faire pour être sûr que l’argent qu’on dépense dans des vêtements éthiques, si c’est le cas, est réellement bien dépensé ?
Voici, en gros, quelques pistes à suivre…
Visionner, par exemple, le film The True Cost, absolument, un documentaire produit par la journaliste Lucy Siegle et la militante écologiste Livia Firth, qui fait le portrait général de la situation dans le domaine du vêtement dans le monde. Ceux qui suivent bien le dossier n’y apprendront peut-être pas de
mais c’est un excellent tour d’horizon.Tous les enjeux y sont bien expliqués, autant les questions environnementales – qu’est-ce que le coton transgénique, quelles sont les techniques de traitement des tissus les plus polluantes, la fibre de bambou est-elle réellement la solution – que tout ce qui touche les droits de la personne. Saviez-vous que le vêtement est l'industrie la plus polluante après le pétrole ? Le film nous fait comprendre les conséquences de nos achats de vêtements pas chers fabriqués pas cher. On entend les travailleuses du secteur décrire leur cauchemar. Difficile d’acheter un t-shirt à 5 $ ou un pantalon à 12 $ chez H&M ou Forever 21 avec la même insouciance après ça.
Là encore, avant de se lancer dans l’achat de nouveaux vêtements – éthiques ou pas –, pourquoi ne pas tout simplement tenter de diminuer le nombre de vêtements en production sur la planète en se tournant plutôt vers les friperies, les marchés aux puces, les vide-greniers ou les soirées ponctuelles entre amies où la blouse « jamais aimée, mauvais achat » de l’une devient la trouvaille de l’autre. Une bonne façon d’économiser.
Le problème avec l’achat de vêtements produits pour trois fois rien à l’autre bout du monde concerne non seulement les coûts environnementaux en transport, mais aussi le fait qu’on n’a aucun levier démocratique pour faire valoir nos exigences de consommateurs, que ce soit pour s’assurer que les gens qui les fabriquent soient bien traités ou qu’aucune technique dommageable écologiquement n’ait été utilisée. Donc, si on aime un pantalon à bon prix, on a deux options : soit on achète et on encourage un système qui maltraite les employés, soit on n’achète pas, voire on boycotte. Et les associations de travailleurs dans les pays concernés vous le diront toutes : elles ne veulent pas de boycottage parce qu’elles ne veulent pas que les emplois disparaissent. Ce qu’on veut, ce sont de meilleurs emplois et que les consommateurs paient le juste prix, disent-elles.
En achetant des produits fabriqués ici, on encourage les emplois locaux et on sait que les normes de travail seront respectées et, si elles ne le sont pas, on a des outils pour agir politiquement pour que cela change.
Que ce soit sur l'internet, en cherchant notamment dans les articles du magazine Protégez-Vous, qui publie régulièrement des dossiers sur la question – notamment un dossier sur les chaussures de sport où on apprend que Nike et New Balance, deux marques du moment, ne sont pas aussi transparentes qu’on l’aimerait… –, ou sur le site d’Équiterre ou en posant des questions à l’Observatoire de la consommation responsable. Autre option : trouver des boutiques ou des marques à qui on fait confiance et les adopter. Parce que malheureusement, on fait face aux mêmes défis dans ce secteur qu’avec la nourriture bio : plusieurs certifications pas nécessairement répandues, avec des niveaux de crédibilité variés et qui finissent par coûter cher aux fabricants et à ceux qui veulent s’en réclamer. Donc, parfois, le petit producteur totalement éthique préférera ne pas être certifié pour éliminer ce coût… La bonne nouvelle, c’est qu’à travers tout ça, l’éthique devient de plus en plus un enjeu au premier plan de la mode. Même la reine de la tendance du blogue Man Repeller vient d’y consacrer un article. On avance !
Voici quelques liens pour aller plus loin :
https://www.protegez-vous.ca/Nouvelles/Affaires-et-societe/chaussures-de-sport-quelles-sont-les-marques-les-plus-responsables
https://www.protegez-vous.ca/Nouvelles/Maison-et-environnement/vetements-ethiques-sy-retrouver
http://www.equiterre.org/sites/fichiers/divers/guide_vetement_responsable_2008.pdf
http://consommationresponsable.ca
http://www.manrepeller.com/2016/08/sustainable-fashion-definition.html