PORTRAIT / CAROLINE MONNET

UN PARCOURS D’EXCEPTION

Algonquine par sa mère et française par son père, Caroline Monnet a gravi, en une décennie, les échelons de la notoriété. Cet été, elle fait partie du gratin de l’art contemporain à la prestigieuse biennale du Whitney Museum, à New York. Cet automne, elle tournera son premier long métrage de fiction, 10 ans après son apprentissage du cinéma à Winnipeg. Retour sur un parcours exceptionnel.

Ce n’est pas au Canada mais en Bretagne, en 1997, qu’est né le besoin de Caroline Monnet de célébrer l’identité autochtone. À 12 ans, elle était en vacances à Douarnenez avec son père quand il l’a emmenée voir le documentaire Kanehsatake, 270 ans de résistance, d’Alanis Obomsawin, dans le cadre d’un festival de cinéma. Ce fut une révélation.

« C’était la première fois que je voyais des autochtones à l’écran, dit-elle. Il avait fallu que je traverse l’océan pour apprendre qu’il y avait eu un conflit à Oka et prendre conscience des injustices envers les autochtones. Je réalisais le pouvoir qu’a l’image pour changer le monde. »

Elle a commencé « à documenter » ce qu’elle voyait autour d’elle. « C’était le début d’une certaine compréhension identitaire. J’ai compris que je n’étais pas vraiment canadienne, pas vraiment française, pas vraiment autochtone, mais un peu tout ça. »

L’hybridité est la signature de Caroline Monnet. Avec un père français et une mère anichinabée. Et des études métissées : à Ottawa et en Espagne, en sociologie et en communication.

« Quand j’étais jeune, les sociétés m’intéressaient. Je voulais avoir une influence positive sur le monde. » Elle s’est donc dirigée vers le journalisme et, brièvement, à Radio-Canada. « Mais je me suis rendu compte que la salle des nouvelles, ce n’était pas fait pour moi ! »

Winnipeg, le détonateur

Voulant se reconnecter à ses racines autochtones, Caroline Monnet est partie résider à Winnipeg en 2006. Elle s’est inscrite à l’université, puis a aidé des jeunes des communautés nordiques à raconter leurs histoires. Elle a appris à faire du cinéma et réalisé plusieurs documentaires.

En 2009, elle a réalisé son véritable premier film, Ikwé, un dialogue poétique avec « sa grand-mère la lune ». Projeté en première au Festival international du film de Toronto (TIFF), il a obtenu par la suite plusieurs récompenses.

En 2010, la galerie Urban Shaman Contemporary Aboriginal Art, de Winnipeg, a organisé sa première expo, RESERVE(d), créée avec l’artiste Kevin Lee Burton. Ex-directrice de la galerie, Amber-Dawn Bear Robe, qui enseigne maintenant à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, avait trouvé le travail de Caroline Monnet « très innovateur ».

L’artiste a participé une deuxième fois au TIFF, où elle a projeté Warchild, un court métrage sur un autochtone en quête de sérénité.

En 2011, elle a présenté Anomalia, des sérigraphies au contenu critique, à la galerie Golden City Fine Art, à Winnipeg.

Elle a réalisé Gephyrophobia, sur les tensions intercommunautaires, en 2012. Et a montré le film à Paris, au Palais de Tokyo. Avant d’arriver à Montréal en 2013, elle est partie vivre un an « dans le bois » à Fort-Coulonge, en Outaouais.

Puis, elle a achevé Roberta, son premier court métrage de fiction, avec Marie Brassard et Julien Morin. L’histoire d’une femme qui s’ennuie et plonge dans l’alcool pour oublier que son mari la trompe.

En 2014, elle a exposé Amik (waa) à Winnipeg. Sa première sculpture. Elle a aussi participé aux Ateliers TD-Les Contemporains, à l’Arsenal. « Une incroyable porte d’entrée au sein de la communauté artistique montréalaise », dit-elle. Elle y a créé une installation avec un bureau détruit à coups de flèches. Sa passion pour la sculpture se confirmait.

En 2015, elle a présenté au TIFF et à Sundance Mobiliser, un portrait des autochtones des années 60 et 70. Et deux films à Fantasia, dont La mallette noire, l’histoire de deux enfants traumatisés dans un pensionnat autochtone.

En 2016, elle a exposé à AXENÉO7, une galerie de Gatineau, un solo impressionnant, Dans l’ombre de l’évidence, qui évoque les femmes autochtones disparues. « Être autochtone, c’est politique, dit-elle alors. Il y a un besoin de s’exprimer pour prendre notre place. Je pourrais revendiquer mes origines françaises, mais je n’aurais pas l’impression que je contribuerais à grand-chose. »

En même temps, elle a obtenu une très convoitée résidence à la Cinéfondation du Festival de Cannes et y a entrepris son projet de long métrage, Bootlegger, qu’elle va tourner cet automne. « L’histoire d’une femme qui trafique des boissons alcoolisées dans une réserve où l’alcool est interdit, a-t-elle alors dit à La Presse. Un sujet sensible sur ma communauté, mais j’aime bien déranger ! »

En 2017, elle a exposé à la galerie Action Art actuel de Saint-Jean-sur-Richelieu (aujourd’hui fermée). Certaines de ces œuvres, acquises depuis par le Musée national des beaux-arts du Québec, font partie de l’expo D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?, à voir jusqu’au 16 février à Québec.

Au nom du progrès, son premier solo présenté à la galerie Division en 2018, a été très bien reçu. Son style, qui intègre art autochtone et design élégant, plaît. Claridge, RBC, Hydro-Québec, le MAC et le MNBAQ ont acquis ses œuvres.

« Le milieu s’est rendu compte qu’après Nadia Myre, il y avait une nouvelle voix autochtone forte au Canada », dit le directeur de Division, Dominique Toutant.

Montée en puissance

La même année, elle a participé à la Biennale d’art numérique de Montréal, exposé à Banff et à Sudbury, est partie en résidence au Chili et a obtenu une quatrième présence au TIFF. Le magazine Canadian Art a aussi mis en couverture une esquisse de son travail exposé à Division.

Son ascension se poursuit depuis le début de 2019. Ses films ont été projetés à Rotterdam et à Clermont-Ferrand.

Elle a exposé cette année à Montréal, Québec, Joliette, Toronto et, cerise sur le gâteau, trois de ses œuvres sont retenues par la Biennale du Whitney Museum : Gephyrophobia, Creature Dada et Mobiliser.

« Le Whitney représente une visibilité internationale formidable et une première porte d’entrée sur le marché américain, dit-elle. J’ai maintenant la chance de travailler sur des projets d’envergure. J’ai besoin d’engager du monde et d’être hyper disciplinée ! Mais je n’ai pas l’intention de choisir entre le cinéma et les arts visuels. Je suis tout à fait à l’aise dans les deux. »

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