ANDRÉ RUEL

Le vieux coach devenu agent

La scène se déroule à Drummondville, en 1983.

Le directeur général des Voltigeurs, André Ruel, courtise activement un joueur du Canadien junior de Verdun, Jean-Pierre Poupart, mais le prix à payer le fait tiquer.

Pour l’aider à digérer la note, Pierre Creamer, du Canadien junior, propose d’ajouter à l’offre un jeune attaquant de 17 ans prometteur malgré une première saison de seulement six buts, un certain Pat Brisson.

Catastrophe au camp d’entraînement des Voltigeurs, Poupart fait un pied de nez à l’organisation pour se joindre à une équipe de la Ligue collégiale AAA.

« Je me suis assis avec Pat et je lui ai dit qu’il aurait besoin de jouer du gros hockey pour éviter que j’aie l’air fou, se souvient Ruel. Son père Frank, qui était à la rencontre, m’avait dit de ne pas m’inquiéter, que Pat allait répondre à mes attentes. Et il l’a fait... »

Pat Brisson a amassé 68 points à sa première saison, et 86, dont 45 buts, à sa seconde. Mais ses statistiques personnelles importent peu dans l’histoire qui va suivre.

Malgré toute sa bonne volonté, Brisson, le joueur, n’a jamais percé au hockey professionnel. Il s’est plutôt hissé au sommet du hockey dans le domaine de la gestion. Pat Brisson est l’un des agents de joueurs les plus influents du milieu avec parmi ses clients les plus gros noms : Sidney Crosby, Patrick Kane, Jonathan Toews, John Tavares, Evgeni Malkin, Anze Kopitar, Max Pacioretty, Alex Galchenyuk, entre autres.

Quand, en 2009, Pat Brisson cherchait un homme de confiance pour le représenter au Québec et, surtout, développer ses jeunes joueurs, personne n’allait mieux le soutenir que son vieux coach des Voltigeurs.

Dans quelques semaines, André Ruel se présentera au repêchage de la LNH à Buffalo avec trois des meilleurs espoirs québécois, Pierre-Luc Dubois, Julien Gauthier et Samuel Girard…

« J’ai revu Pat à Montréal au repêchage de 2009, raconte Ruel. J’accompagnais [Dimitri] Kulikov : c’est moi qui étais allé le chercher en Russie pour les Voltigeurs. On a continué à garder un lien, Pat et moi. J’ai travaillé avec Philippe Boucher à Granby alors qu’il était un client de Pat. J’ai aussi coaché Daniel Brière, puis Guillaume Latendresse. Pat m’a demandé ce que je devenais. Je lui ai dit que j’étais retraité depuis peu. Il m’a invité à son camp de perfectionnement d’été à Los Angeles. »

« TOUT FAIT DANS LE HOCKEY... »

L’aventure commencera cette semaine-là en Californie. « Dans sa proposition, Pat m’a dit qu’il voulait utiliser mon expérience et mes compétences pour suivre ses espoirs. Il était dans l’Ouest et il voulait suivre ses deux jeunes garçons dans le hockey et réduire le nombre de ses voyages dans l’Est. Il y avait Guillaume à Montréal, Tyler Myers à Buffalo, John Tavares avec les Islanders. Il m’a aussi dit que si je voyais de bons jeunes, je pouvais les recruter. J’avais tout fait dans le hockey. Directeur général, assistant au directeur général, entraîneur-chef, entraîneur adjoint, recruteur en chef. Je n’avais jamais été agent. »

Deux de ses poulains, Anthony Mantha et Samuel Morin, ont été repêchés au premier tour en 2013.

« Je travaillais à temps partiel, au début, mais c’est devenu du temps plein. J’ai une vingtaine de clients. J’ai recruté David Desharnais, puis on a fait signer Alex Galchenyuk et Max Pacioretty. J’aime travailler avec les joueurs. Quand ils ont des moments difficiles, j’analyse leurs matchs. »

— André Ruel

Ruel s’inspire de son vieil ami, le vénérable François Allaire, pour enseigner aux jeunes.

« À l’époque, je lui avais demandé pourquoi il avait tant de succès avec ses gardiens. Il m’avait parlé de sa méthode, qui consiste à travailler sur des séquences de quatre ou cinq matchs et à insister sur les forces des joueurs, et non sur leurs faiblesses. Si tu relèves trop les faiblesses, le joueur se présentera au match plus nerveux et moins confiant en lui. Je l’ai fait avec Daniel Brière, avant que je ne sois un agent. On ne travaille pas sur plus de deux faiblesses à la fois.

« Quand j’ai travaillé avec Derick Brassard à son année de repêchage, poursuit-il, les recruteurs disaient qu’il n’était pas bon dans les coins de patinoire à cause de son manque de force physique. Mais il aurait été impensable pour lui de gagner 20 livres en deux mois. Alors on a modifié son positionnement de corps dans les coins et on a maximisé son talent de manieur de rondelle. Son taux d’efficacité a vite augmenté. »

Il y a eu moins de travail à faire avec John Tavares, le premier choix au total en 2009. 

« Sa plus grande qualité demeure sa force psychologique. Il est dévoué, il visualise beaucoup, il utilise beaucoup la psychologie. Il a une maturité que beaucoup de joueurs n’ont pas. Il fallait améliorer certains détails. On disait qu’il n’était pas très rapide. À l’entraînement, on lui demandait de faire un croisement à toutes les trois enjambées pour rapprocher ses patins afin d’être prêt à exploser à nouveau. Quand il a été capable de mettre ça en pratique, il est devenu beaucoup plus efficace. On peut trouver des solutions dans les détails. »

À propos de Pierre-Luc Dubois, meilleur espoir nord-américain en prévision du repêchage : 

« Quand j’ai commencé à travailler avec Pierre-Luc, il venait de terminer son année Midget AAA. Son père Éric est entraîneur de profession, ancien joueur professionnel. On a établi un plan sur trois ans. Sa force physique demeurait le principal point à travailler. Je l’ai orienté vers Marc Lambert, l’un de mes anciens étudiants, qui travaille avec le Lightning de Tampa Bay. Je lui avais enseigné à l’Université de Sherbrooke dans le programme de hockey. Pierre-Luc s’est soumis à une évaluation à Châteauguay. Il s’entraînait chez lui à Rimouski et revenait à Châteauguay toutes les trois semaines pour ajuster son programme. Il manquait encore beaucoup de force après sa première année junior. Je lui lève mon chapeau, il a décidé de passer l’été dernier à Montréal, il est demeuré chez ses grands-parents à Saint-Basile, il a passé l’été avec Marc. Il a fait un bond important sur le plan de la force physique, et il a fait beaucoup de patinage de puissance. Tout ça mis ensemble. On a travaillé aussi avec un psychologue sportif. Pierre-Luc, c’est un gars qui s’enflammait assez rapidement sur la glace. Il écopait de beaucoup de punitions. Le fait d’avoir une meilleure préparation, de garder ses émotions plus stables avec la respiration, entre autres, il a progressé énormément encore cette année. »

À propos de Julien Gauthier, répertorié au premier tour, selon la plupart des observateurs : 

« Pierre-Luc mesure 6 pieds 3 pouces et pèse 210 livres, tandis que Julien Gauthier fait 6 pieds 4 pouces et 220 livres. Malgré leurs gabarits semblables, ils ont des qualités bien différentes. Julien, c’est un cheval de course. Il y a les facteurs héréditaires. Denis, son oncle, est un ancien défenseur de la LNH et son grand-père, Denis, est un ancien culturiste et lutteur professionnel. Julien devait se trouver une identité et on a tenté de trouver des joueurs comparables. On a fait le parallèle avec Jamie Benn pour Pierre-Luc et Justin Williams pour Julien. On a travaillé ses entrées de zone, l’art de mettre les défenseurs sur les talons. Ses mises en échec sont percutantes et son travail devant le filet, efficace. C’est un Brendan Gallagher de 6 pieds 4 pouces 220 livres. Son acuité mains et yeux est extraordinaire. Il peut récupérer la rondelle n’importe où autour du filet. »

À propos de Samuel Girard, défenseur de petit gabarit qui pourrait être repêché en fin de premier tour : 

« S’il mesurait 6 pieds 2 pouces, il serait le deuxième choix derrière Auston Matthews. Ça dépend toujours des organisations. Detroit et Chicago veulent des gars habiles. Le gabarit de Patrick Kane et Artemi Panarin ne les a jamais dérangés. Depuis qu’on a enlevé la ligne rouge, il y a beaucoup de récupération de rondelle en fond de territoire. En plus, le gardien ne peut plus manœuvrer à sa guise derrière le filet. Ça prend des défenseurs qui ont des habiletés pour récupérer la rondelle et quitter le territoire. Samuel voit deux jeux à l’avance. Son niveau de compréhension et d’exécution est de calibre de la Ligue nationale. S’il avait le gabarit, il pourrait jouer demain matin dans la LNH. Il doit améliorer sa force physique. »

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