Opinion

L’autre rafle de bébés

L’annonce récente faite par le gouvernement fédéral d’un règlement de 800 millions pour les survivants de la « rafle des années 60 », ces enfants autochtones qui ont été retirés de leur réserve et de leur famille et placés dans des foyers non autochtones, est un pas dans la bonne direction pour promouvoir la reconnaissance et la guérison des personnes touchées.

Cependant, une autre « rafle » doit être reconnue, et elle ne concerne pas les personnes autochtones.

Un grand nombre de Canadiens ne savent pas qu’au cours des décennies ayant immédiatement suivi la fin de la guerre, les gouvernements fédéral et provinciaux ont également financé des politiques d’adoption draconiennes qui ont nui aux « mères célibataires » non autochtones. En Australie, en Nouvelle-Zélande, en Irlande, au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada, ces mères, des centaines de milliers, ont été systématiquement contraintes ou forcées de donner leur bébé en adoption, simplement en raison de leur état matrimonial.

Au Canada, plus de 300 000 mères célibataires ont été touchées par cette mesure entre 1940 et 1970.

Ces femmes étaient logées dans des « maisons maternelles » ou des « foyers pour mères célibataires » financés par le gouvernement et gérés par les ordres religieux traditionnels. Il était peu probable qu’une mère célibataire en reparte avec son bébé, car le taux d’adoption pouvait atteindre 96 % dans ces établissements. Voilà qui contraste avec la situation actuelle : seulement 2 % des mères célibataires donnent leur bébé en adoption de nos jours. Les temps ont changé, mais la douleur perdure.

Pendant leur grossesse, les mères célibataires étaient confinées de trois à cinq mois jusqu’à l’accouchement. Dans ces « foyers » régnaient les punitions et l’humiliation. Afin d’être pardonnées pour le péché de la grossesse hors mariage, les femmes devaient abandonner leur bébé à l’adoption. Les femmes ayant été confinées dans les maisons maternelles canadiennes déclarent avoir été victimes de violence physique, sexuelle, psychologique et émotionnelle.

Les mères de ces foyers étaient régulièrement emmenées à l’hôpital pour accoucher seules, leur dossier indiquant « MADEMOISELLE » ou « BPA » (bébé pour adoption), ce qui enclenchait les protocoles hospitaliers pour les mères célibataires avant même la signature du formulaire de consentement. Les mères célibataires étaient séparées des mères mariées, mises sous médication trop faible ou trop forte et attachées à la table d’accouchement. Ces femmes disent avoir subi un traitement punitif et cruel.

Souvent, dans la salle d’accouchement, on empêchait les mères d’avoir un contact visuel avec leur bébé en utilisant des draps, des oreillers, des miroirs ou d’autres moyens afin d’éviter la « création d’un lien d’attachement », ignorant le fait qu’elles étaient déjà liées au bébé qu’elles avaient porté pendant neuf mois.

Ces mères ont été systématiquement privées du droit légal de voir, de tenir et de nourrir leur bébé après la naissance. On a dit à certaines d’entre elles que leur bébé était mort ; ce n’est que des années plus tard, lorsque celui-ci a tenté de les retrouver, qu’elles ont appris qu’il avait été adopté. D’autres ne savent toujours pas si elles ont mis au monde un garçon ou une fille.

Selon ces mères, on a eu recours aux menaces, à la peur, à la contrainte, aux mensonges, aux ruses et même à la force physique pour obtenir leur consentement non éclairé, sans les conseils d’un avocat. Elles sont nombreuses à avoir signé le consentement seules, parfois en présence d’un ou deux travailleurs sociaux. En règle générale, les mères ne recevaient pas de copie du document signé et n’étaient pas informées de leur droit de révocation.

Les mères ont été retournées dans la communauté immédiatement après la naissance, à peine remises de l’accouchement, en état de choc et traumatisées par le traitement brutal et la perte de leur bébé. 

On leur a dit de garder le secret, de ne jamais en parler à leur futur mari, et elles n’ont eu droit à aucune consultation ni aucun soin après la naissance. Bon nombre de ces mères continuent de vivre avec l’identité stigmatisée d’une « mère célibataire » et continuent de « garder le secret ».

Tout comme les survivants de la rafle des années 60, ces mères ont besoin de reconnaissance et de guérison. L’Australie les a reconnues il y a quelques années en soumettant des recommandations, notamment l’attribution de fonds à la guérison, l’obligation de rendre les dossiers d’adoption transparents, la promotion de la sensibilisation du public et la présentation d’excuses nationales. Il est temps que le Canada en fasse autant.

* Origins Canada est un organisme fédéral sans but lucratif soutenant les personnes séparées par adoption

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