Grande entrevue Dominique Lebel

Si Dominique Lebel était…

UNE VILLE

New York, pour son énergie, sa verticalité et l’élégance de sa silhouette.

UN REMÈDE

Le Tylenol, pour soulager tous les petits maux qui nous gâchent la vie.

UNE GUERRE À FINIR

La guerre aux phrases creuses, qui, en passant, ne sont pas l’apanage des politiciens.

UN DESIGNER

L’architecte Frank Gehry. Parce qu’il a redessiné des villes en leur donnant des lignes pures, simples et minimalistes.

UN LIVRE MARQUANT

Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras. Pour la beauté de l’écriture et la force de la métaphore de ce combat de l’homme contre les éléments.

UN IDÉAL POLITIQUE

La liberté.

UNE MUSIQUE

Toute la musique du compositeur Philip Glass.

UN TABLEAU

N’importe quel tableau du peintre abstrait français Pierre Soulages.

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

Le général de Gaulle. Parce qu’il se tenait debout et droit.

UNE IDÉE DU BONHEUR

Un bon livre sur le bord de la mer.

Grande entrevue Dominique Lebel

La politique n’est pas une science exacte

Pendant près de deux ans, Dominique Lebel a vécu dans les souliers de Pauline Marois.

Du soir de sa victoire, assombrie par une tentative d’attentat le 4 septembre 2012, jusqu’à sa cuisante défaite, cuvée à l’hôtel Westin de la rue Saint-Antoine le 7 avril 2014, en passant par la tragédie de Lac-Mégantic, Dominique Lebel a marché dans le sillon de Pauline Marois. Officiellement, il était son directeur de cabinet, mais officieusement, il était aussi son bras droit, son conseiller, son confident, ses oreilles, ses yeux et, bien souvent, l’ombre de son ombre.

Après la défaite de Marois, Dominique Lebel aurait pu prendre ses cliques et ses claques et retourner à la vie normale en cherchant à oublier les deux années de stress, de tensions et de pure folie qu’il venait de vivre. Il a plutôt choisi de prolonger le moment en publiant un journal relatant le quotidien de son expérience politique.

Le résultat a pour titre Dans l’intimité du pouvoir. Lancé au début d’avril, ce journal politique est un compte rendu froid, factuel et fascinant des 500 et quelques jours où Dominique Lebel a connu et côtoyé le pouvoir de près, de très près. Aux États-Unis ou même en France, les livres écrits par d’anciens stratèges politiques abondent. Ce n’était pas le cas jusqu’à maintenant chez nous.

Depuis sa parution, le bouquin connaît un beau succès et récolte de bonnes critiques, mais pour bien des acteurs du monde politique, il semble aussi être devenu le guide sur tout ce qu’il ne faut pas faire en campagne électorale, voire la recette idéale pour perdre ses élections.

J’ai retrouvé Dominique Lebel à Montréal, dans un café du centre-ville, à deux portes de son bureau et de sa nouvelle vie chez Behaviour Interactive, entreprise de jeux vidéo fondée par le conservateur Rémi Racine.

J’avais plein de questions à poser à ce type calme et discret de 45 ans qui porte des complets cintrés et des lunettes de nerd chic. Mais la première question et la plus évidente, c’était : comment un homme qui a été militant péquiste dès son plus jeune âge et qui a de tout temps frayé dans les coulisses du PQ avant de devenir l’homme de confiance de Pauline Marois, comment ce passionné de politique et fervent adepte de la souveraineté pouvait-il aujourd’hui travailler, non seulement dans l’industrie des jeux vidéo, mais au sein de l’entreprise fondée par Rémi Racine, l’ex-secrétaire national du Parti conservateur sous Brian Mulroney, nommé président du conseil d’administration de CBC/Radio-Canada par le régime Harper ?

Passer de Pauline Marois à Rémi Racine, c’est quand même étrange comme grand écart, non ?

Dominique Lebel a souri de mon étonnement sans comprendre ce qui me préoccupait tant.

« Les gens ne se définissent pas uniquement à travers leurs allégeances politiques, a-t-il répondu. C’est mon cas, du moins. Sans doute parce que je suis aussi quelqu’un qui a plusieurs passions. Parmi celles-ci, il y a bien sûr la politique, mais j’ai aussi une fibre d’entrepreneur. Rémi Racine, je l’ai connu du temps que j’étais chez Cossette. Lors de la défaite de Mme Marois, il m’a proposé de lancer une nouvelle division au sein de Behaviour et j’ai accepté. »

La nouvelle division en question, c’est Behaviour Solutions d’affaires. Lebel en est le coactionnaire avec Rémi Racine. Pour le reste, Dominique Lebel demeure un souverainiste convaincu, un grand ami de Pauline Marois et le père de trois filles qui portent le prénom de trois grandes écrivaines : Simone pour Simone de Beauvoir, Marguerite pour Marguerite Duras et Françoise pour Françoise Sagan.

Né à Saint-Félix-de-Kingsey, Dominique Lebel est le sixième des enfants de Marcel Lebel, un entrepreneur et fabricant de balais. Son entreprise, La Compagnie de balais de Saint-Félix, fut la dernière à produire des balais au Canada avant le grand exode industriel du balai vers le Mexique.

Lebel a étudié les sciences humaines au cégep de Drummondville puis l’histoire à l’UQAM. Au référendum de 1980, il n’avait que 9 ans, mais il arborait déjà fièrement un macaron du Oui. Le reste, comme on dit, appartient à l’histoire.

Lorsque Lebel a entamé son projet de journal politique à partir de dizaines de carnets de notes consignés quotidiennement, il a appelé l’ex-première ministre Marois. Il voulait qu’elle donne son aval au projet sans pour autant lui promettre un droit de regard sur le manuscrit. Pauline lui a donné le feu vert sans rien lui demander. Elle l’a fait pour exactement la même raison qu’elle l’a recruté lors de son élection : la confiance.

Dominique Lebel croit que la confiance est la plus grande, et peut-être la seule, valeur cardinale qu’un politicien recherche chez ses adjoints. « Sans la confiance, un politicien ne peut tout simplement pas avancer ni agir », estime-t-il.

Va pour la confiance. Mais comment la bâtir et ne pas la trahir au fil des ans ? Dominique Lebel n’a pas de réponse toute faite à ce sujet. Tout ce qu’il sait, c’est qu’après avoir milité dans l’aile jeunesse du Parti québécois dans la foulée de Meech puis du référendum de 1995, il a obtenu un poste d’attaché de presse de l’ex-maire Jean Doré, qui était très proche des milieux péquistes. Or, à l’époque, le chef de cabinet de Doré n’était nul autre que Jean-Robert Choquet, marié à Nicole Stafford, l’amie, adjointe et âme damnée de Pauline Marois.

C’est dans ces circonstances que Lebel s’est retrouvé dans le sillage de Pauline Marois. En 1999, alors que Pauline Marois est ministre de la Santé, Lebel est nommé attaché de presse du ministre délégué à la Santé Gilles Baril. Les liens de leur amitié naissante se resserrent, d’autant que Marois, Stafford, Lebel et Baril partagent les mêmes bureaux. La décennie suivante, même si Lebel quittera la politique pour l’agence de pub Cossette, où il gravira les échelons – de simple soldat à grand patron –, il restera proche de Pauline Marois et aussi de Nicole Stafford.

Voilà pour la petite histoire de la confiance. Pour la grande histoire, et surtout pour sa suite actuelle, Dominique Lebel demeure d’une grande discrétion. Il affirme qu’il a appris la démission de Pierre Karl Péladeau en même temps que tout le monde et que comme tout le monde, il a eu peine à y croire : « En entrant en politique, Pierre Karl a opéré un changement de vie incroyable. Il a fait de la politique comme il a fait des affaires : à 100 milles à l’heure, et voir que ça se termine comme ça, aussi brutalement, c’est à la fois incroyable et tragique. »

Dans son journal politique, Dominique Lebel n’écorche pas plus Pierre Karl Péladeau qu’il n’écorche les autres protagonistes, mais il laisse toutefois entendre que Péladeau fait partie des causes qui ont mené à la défaite, les deux autres étant la Charte et la question du référendum. J’essaie de lui faire avouer que le poing levé pour le pays de PKP a fait dérailler la campagne d’entrée de jeu, mais il ne mord pas.

« Péladeau, pas Péladeau, peut-être que la défaite aurait été la même. On n’a qu’à regarder les élections de 2012. Le PQ était face à un Parti libéral usé à la corde, mené par Jean Charest, en plus, et pourtant, il n’a pas obtenu la majorité. Non seulement la politique n’est pas une science exacte, mais l’Histoire ne s’écrit jamais à l’avance et on ne peut jamais prévoir comment les choses vont évoluer. »

Dominique Lebel n’a jamais fait lire le manuscrit de son journal à Pauline Marois. Quelques jours avant le lancement, il lui a offert le livre pour qu’elle puisse le lire et décider si elle irait au lancement ou pas.

« Je savais que ça serait une lecture difficile pour elle, que ça lui ferait revivre plusieurs épisodes douloureux, mais j’espérais aussi qu’elle trouve juste le portrait que j’ai fait d’elle. Les médias ont souvent reproché à Pauline son indécision. Or, ce que j’ai constaté à ses côtés, c’est qu’au contraire, Pauline n’était pas indécise. C’était une première ministre aux commandes qui dirigeait son conseil des ministres et orientait les décisions. Elle savait exactement ce qu’elle voulait. »

Pauline Marois a apprécié le portrait puisqu’elle est venue au lancement et y a même pris la parole en affirmant que le livre était excellent, mais qu’il avait un seul défaut : il finissait très mal.

Aujourd’hui c’est une tout autre histoire qui se déploie dans les coulisses du PQ. Lebel affirme que la course va être passionnante. Il refuse évidemment de prendre parti, se contentant de dire : « La beauté de cette course, c’est que les candidats, on présume qu’ils seront quatre, recommencent tous à zéro. Personne n’a rien d’acquis. Avant, il y avait un chef dominant qui venait de s’installer, mais son départ a ouvert une porte. Des occasions vont être créées, mais il est impossible de prévoir qui va les saisir. »

La course est encore jeune et la prochaine campagne électorale, très loin. C’est dire que les candidats à la direction du PQ ont amplement le temps de lire le journal politique de Dominique Lebel. Et de voir le festival d’erreurs et les pièges qu’ils devront éviter s’ils veulent gagner.

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