Chronique uranium

Le cafouillage québécois

Un procès inusité s’est ouvert à Québec au début de cette semaine. Ressources Strateco, une entreprise minière qui était une vedette du Plan Nord avec son projet de mine d’uranium, réclame 200 millions du gouvernement du Québec.

Le moratoire imposé par Québec sur le développement de la filière uranifère a en effet tué le projet de l’entreprise dans les monts Otish après que celle-ci a englouti des sommes importantes dans des travaux d’exploration. Ressources Strateco estime que cette façon de dire non, après lui avoir donné tous les permis, est une forme d’expropriation pour laquelle elle doit être compensée.

On verra où mènera ce procès. Mais en attendant, le simple fait que ce dossier se retrouve devant les tribunaux nous montre ce qu’un gouvernement ne doit pas faire.

Ce dossier a été marqué par l’improvisation, l’émotion, il a été dominé par un concept flou et tentaculaire, celui de l’acceptabilité sociale.

Voici pourquoi il n’est pas inutile de retourner en arrière pour voir comment on en est arrivé là.

À partir de 2006, la société Strateco entreprend l’exploration du potentiel uranifère des monts Otish, au nord de Chibougamau, le projet Matoush, pour lequel elle obtient les permis nécessaires, notamment ceux du Conseil canadien de la sécurité nucléaire.

En 2009, un autre projet, tout près de Sept-Îles, suscite un vif mouvement d’opposition, déclenché par les médecins de la région, qui interviennent par conviction personnelle plutôt qu’en vertu de leurs connaissances scientifiques. Ils menacent de quitter la région si les travaux d’exploration ont lieu. Ce chantage, indéfendable, a provoqué une panique chez les élus et déclenché un mouvement même si la Santé publique de la Côte-Nord, sur la foi de l’expérience de la Saskatchewan, concluait à l’absence de risques sérieux. Sous la pression, l’organisme de santé entreprendra une autre étude.

En 2011, Jean Charest lance le Plan Nord. Le projet Matoush est l’un des investissements qui permet au premier ministre d’illustrer le potentiel minier de ce territoire.

Deux ans plus tard, en mars 2015, répondant à la pression provenant de Sept-Îles et aussi à celle des autochtones, le gouvernement Marois, sans outils analytiques additionnels, décrète un moratoire sur l’uranium et commande au BAPE une enquête générique sur la filière uranifère.

En septembre 2013, l’Institut national de santé publique (INSPQ) publie un rapport sur la question. Cette revue des connaissances, 374 pages fouillées, conclut entre autres : « En résumé, les résultats des analyses effectuées ne permettent pas d’affirmer que le fait de résider à proximité d’une mine d’uranium entraîne des problèmes de santé. » L’étude ajoute qu’on ne peut pas conclure pour autant à l’absence de risques et que d’autres études seraient nécessaires.

C’est évidemment ce potentiel de risque que retiendront les organismes environnementaux et les médias.

Le rapport, qui ne recommande absolument pas l’abandon de cette filière, parle plutôt du besoin d’études et d’encadrement et se penche sur les impacts psychosociaux, le stress et les tensions que provoquerait le développement de cette activité.

Presque un an plus tard, en août 2014, la Santé publique de la Côte-Nord publie sa propre étude, qui reprend les conclusions de celle de l’INSPQ, en y ajoutant une touche émotive.

En mai 2015, le BAPE remet son rapport qui ne recommande pas clairement de fermer la porte à cette filière, mais presque, en suggérant un processus d’encadrement très contraignant, notamment pour répondre à cet problème d’acceptabilité sociale. Un rapport qui fait, entre autres, bondir ceux qui sont une autorité en la matière, la Commission canadienne de sûreté nucléaire, dont le président écrit : « Il est évident que la recommandation du BAPE d’étouffer les projets d’exploitation est fondée sur la perception du manque d’acceptabilité sociale, et non sur des principes scientifiques éprouvés. »

En ce début d’année 2017, silence radio du gouvernement Couillard qui n’a toujours pas pris de décision. Et poursuite de Strateco.

Trois choses me frappent. D’abord, s’il y a un problème d’acceptabilité sociale, c’est en bonne partie parce qu’on a fait peur au monde.

On assiste à une dynamique parfaitement circulaire, où ceux qui ont nourri cette peur, les organismes militants et une partie du monde de la santé, évoquent cette même peur pour bloquer les projets.

Ensuite, le Canada, le deuxième producteur d’uranium au monde, grâce à la Saskatchewan, a une grande expérience de ce minerai et de la façon sécuritaire de l’exploiter. Le BAPE en a très peu tenu compte et a voulu, comme le Québec aime le faire, réinventer la roue.

Enfin, si les émotions ont leur place dans le débat public et la prise de décisions, les faits ont aussi la leur. Le Québec, avec les gouvernements Marois et Couillard, s’est écarté de la rigueur scientifique et factuelle dans ce dossier.

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