Voitures autonomes

Une ville de canards pour tester les véhicules

Les véhicules autonomes ont mauvaise presse depuis qu’une voiture d’Uber roulant en mode automatique a tué une piétonne en Arizona. Dans un laboratoire de l’Université de Montréal, des chercheurs et des étudiants testent ce type de véhicules dans un environnement où les conséquences sont beaucoup moins tragiques : une ville peuplée… de petits canards en plastique. La Presse a visité ce curieux banc d’essai.

Un environnement sécuritaire

Il y a un lac avec des voiliers, quelques maisons, des habitants qui se prélassent sur les pelouses. Bienvenue à Duckietown, une ville où les petits résidants jaunes se font transporter dans des voitures sans conducteur. La plateforme sert à éduquer et à faire des recherches sur les véhicules autonomes. Et après l’accident qui a coûté la vie à une piétonne en Arizona en mars dernier, on saisit toute la pertinence d’un tel banc d’essai. « Je n’aime pas quand il y a une collision entre un canard et un véhicule. Mais au moins, on n’a pas tous les médias qui débarquent ici », dit Liam Paull, professeur adjoint au département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal. À Duckietown, les canards ne se jettent pas d’eux-mêmes devant les véhicules. « On peut les y mettre nous-mêmes et tester les déviations des robots, précise le chercheur. Et je travaille sur un canard avec des pattes qui pourrait bouger lui-même. »

Des tests à bas coûts

C’est pendant qu’il était chercheur postdoctoral au MIT que le Montréalais Liam Paull a conçu Duckietown. L’idée : tester certaines propriétés des véhicules autonomes à très bas coût. Les robots de Duckietown coûtent à peine 150 $ et roulent sur des routes tracées sur de simples tapis de mousse. « Tout le code informatique est disponible gratuitement, dit aussi Liam Paull. On veut que les autres universités et même les gens indépendants puissent implanter eux-mêmes la plateforme. » Mais Duckietown n’est pas un jeu pour enfants. À l’Université de Montréal, des chercheurs en intelligence artificielle apprennent aux machines à réagir à toutes sortes de situations, puis testent leur comportement sur le terrain. Les scientifiques étudient notamment les interactions entre plusieurs véhicules autonomes et optimisent les déplacements des voitures lorsque celles-ci servent de taxis devant transporter le plus de clients possible le plus rapidement possible et que des imprévus surviennent. « Si un concept n’est pas possible à implanter dans un scénario aussi simple que celui-là, on sait tout de suite que ça ne fonctionnera pas dans le vrai monde », dit M. Paull. Et pourquoi des canards en plastique ? « Je ne sais pas s’il existe un symbole qui entraîne autant de réactions positives, dit-il. Ça permet d’enlever le côté épeurant de la robotique et ça la rend amusante. »

Un accident qui ébranle

Liam Paull l’admet : il est encore sous le choc de l’accident survenu en Arizona impliquant un taxi Uber en mode autonome. La vidéo dévoilée semble montrer que le véhicule autonome n’a même pas tenté de freiner lorsqu’une piétonne, vélo à la main, a traversé la route. « Dans le domaine des voitures autonomes, tout le monde est vraiment surpris par ce qui est arrivé », dit M. Paull. Selon le spécialiste, le système lidar du véhicule, qui envoie des rayons laser à la ronde et en capte les réflexions, aurait dû détecter la piétonne et réagir. « Cette situation est vraiment facile pour un véhicule autonome », dit-il. Impossible de savoir exactement ce qui est arrivé, mais Liam Paull souligne l’importance pour une voiture autonome de posséder plusieurs systèmes qui font la même chose (ce qu’on appelle la redondance) ou, au minimum, de connaître l’état de fonctionnement de tous ses systèmes et d’envoyer une alerte en cas de pépin.

Encore des défis

Même si les voitures autonomes roulent déjà à divers endroits, Liam Paull estime qu’il reste des défis à surmonter. L’un d’eux est qu’il faudra accumuler beaucoup de données afin de savoir à quel point elles sont sécuritaires. Et actuellement, ce sont les entreprises comme Google, Tesla et Uber qui accumulent ces données. « On laisse les entreprises nous convaincre que leurs voitures sont sécuritaires. C’est comme le renard qui garde le poulailler », lance le spécialiste. Selon lui, il faut aussi oublier l’idée que les voitures autonomes se comporteront comme celles conduites par des humains. « Il y a toute une question de perception publique à changer, croit M. Paull. Quand je vois un train qui s’approche, je sais qu’il ne sera pas capable de s’arrêter, alors je ne vais pas sur la voie ferrée. Je connais le comportement du train. Je pense qu’il va falloir commencer à traiter le véhicule autonome comme quelque chose de distinct. Il faudra s’attendre à ce qu’il réagisse de façon différente d’une voiture conduite par un humain. »

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