Discrimination

À bas la grossophobie

« Même si je m’injecte du gâteau, il faut quand même que tu me traites comme un humain », dit Gabrielle Lisa Collard. La jeune femme, qui ne s’injecte évidemment pas de gâteau, n’en peut plus que les gros (un terme qu’elle utilise) soient jugés. Stigmatisés. Considérés comme des citoyens de seconde zone.

« Les gens pensent que les gros sont moins intelligents, sales, lents », regrette la vive Montréalaise, auteure du blogue taille plus Dix octobre.

À Paris, Daria Marx se décrit aussi comme « une femme grosse » et « une militante féministe et anti-grossophobie ». Grosso quoi ? « La grossophobie regroupe l’ensemble des discriminations faites aux personnes grosses », explique-t-elle.

Étymologiquement, la grossophobie est la peur des gros. Et la crainte d’être contaminé par « l’épidémie d’obésité » dénoncée par l’Organisation mondiale de la santé. « Dans les sociétés occidentales postindustrielles, il existe une vision hyper individualiste qui valorise l’idée qu’une personne peut être en plein contrôle de son existence », avance Audrey Rousseau, candidate au doctorat en sociologie à l’Université d’Ottawa. Le gros, supposé sans volonté, est incompatible avec le culte de la performance. Donc, indésirable. On confond lutte contre l’obésité et lutte contre les obèses.

Hausse de la discrimination

En 1995-1996, 7 % des adultes américains rapportaient avoir été victimes de discrimination liée au poids. En 2004-2006, ce taux avait grimpé à 12 %, selon le Yale Rudd Center for Food Policy & Obesity. La discrimination en raison du poids « a maintenant une prévalence semblable à la discrimination raciale aux États-Unis », d’après une étude parue en 2010 dans l’American Journal of Public Health.

« Aujourd’hui, plus personne ne pense à faire une blague sur la couleur de la peau, l’orientation sexuelle ou la religion, mais on continue à faire des blagues sur les gros et les grosses », constate Julie Noreau, une ex-obèse. Elle-même a souvent entendu des gens imiter le « Bip ! Bip ! Bip ! » d’un camion qui recule quand elle faisait un pas en arrière. « Pourquoi c’est accepté ? », demande-t-elle.

« Vu que c’est de “notre faute” si on est gros, c’est encore fair game dans l’esprit des gens, croit Gabrielle Lisa Collard. Le commun des mortels pense qu’un gros est forcément responsable de son poids. Soit de l’avoir pris, soit de ne pas être capable de le perdre. Ce n’est pas si simple que ça. Mais les gens ne le savent pas. Ils ne savent pas que les régimes ne fonctionnent pas. Des gros, comme des gens pas gros, pensent comme ça. Ils se sentent super coupables s’ils perdent du poids et le regagnent. Pourtant, ça arrive dans 95 % des cas. »

À force de régimes, le métabolisme s’ajuste à la baisse et brûle de moins en moins de calories. C’est un cercle vicieux, méconnu des gens qui ont toujours été minces.

« Les préjugés envers les personnes en surpoids sont tellement internalisés qu’on ne se rend parfois pas compte qu’on en a, observe Andrée-Ann Dufour Bouchard, chef de projet chez ÉquiLibre, un organisme qui vient en aide aux personnes préoccupées par leur poids. Ça touche tout le monde : les jeunes, les adultes, les professionnels de la santé, les obèses eux-mêmes. C’est omniprésent. »

Et ça s’apprend tôt. À 11 mois, les bébés préfèrent regarder des photos de gens obèses plutôt que de poids normal. Mais dès 2 ans et 8 mois, c’est le contraire, selon une étude parue dans le Journal of Experimental Child Psychology en 2016. C’est corrélé aux préjugés anti-gros des mères : plus elles en ont, plus les enfants détournent le regard des obèses.

Effets négatifs

Et si les commentaires désagréables et les regards désobligeants aidaient les gros à enfin maigrir ? « Au contraire, c’est bien documenté que la stigmatisation est associée à plein d’impacts négatifs sur la santé physique et mentale », dit Andrée-Ann Dufour Bouchard. Dépression, honte, arrêt du sport, isolement, régimes draconiens et troubles du comportement alimentaire s’ensuivent.

« Si la stigmatisation poussait les gens à “se prendre en mains”, il y aurait moins de personnes en surpoids, fait valoir la nutritionniste d’ÉquiLibre. Ça n’a pas fonctionné du tout. » En effet : le taux d’obésité est passé de 14 % à 18,2 % chez les adultes entre 2003 et 2013-2014, selon l’Institut de la statistique du Québec.

La solution ? Mieux informer et éduquer. « Il faut aussi arrêter de penser qu’être gros et être en santé, c’est mutuellement exclusif, martèle Gabrielle Lisa Collard. Tu peux être les deux. » Elle-même dit bien manger et faire du sport régulièrement. « Non, j’suis pas faible, écrit-elle sur son blogue. T’essaieras pour le fun de faire 30 minutes de vinyasa yoga par jour avec l’équivalent en poids de Vin Diesel accroché à ton cul. »

Même constat chez Julie Noreau, qui a perdu du poids mais ne correspond pas « aux standards habituels » de minceur. « Est-ce que je m’entraîne ? Est-ce que je mange bien ? Est-ce que je fais attention à moi ? Oui, dit-elle. C’est ça, être en forme. Être en forme, ce n’est pas un chiffre sur une balance. »

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