Témoignage

Gabrielle n’est pas née grosse

On ne naît pas grosse

Gabrielle Deydier

Éditions Goutte d’Or

Septembre 2016. Dans une auberge de jeunesse de Paris, Gabrielle Deydier dort nue, une serviette autour du ventre. À deux heures du matin, une Américaine tire le rideau de son lit-cabine et pointe son téléphone sur elle, lampe de poche allumée. « Biggie sur YouTube ! hurle-t-elle. Biggie, biggie, biggie ! »

La direction de l’auberge a mis l’Américaine dehors et surclassé Gabrielle Deydier, qui pèse 150 kg, dans une chambre individuelle. L’anecdote, suintant la haine, est racontée dans l’introduction d’On ne naît pas grosse, le livre qu’elle fait paraître le 15 juin aux Éditions Goutte d’Or.

On ne naît pas femme, on le devient, selon la thèse de Simone de Beauvoir. Les inégalités entre les hommes et les femmes sont culturellement construites, pas naturelles. De même, les gros ne naissent pas inférieurs, écrit Gabrielle Deydier, qui s’est lancée dans une double investigation, à la fois sur le rapport de la société avec la femme grosse et sur l’origine de sa propre obésité. Une enquête fouillée et troublante.

Erreur médicale

À 17 ans, Gabrielle Deydier pesait 65 kg. Sa mère la jugeant grosse, elle s’est rendue chez un nutritionniste endocrinologue, qui lui a diagnostiqué une maladie des glandes surrénales. Il lui a prescrit des hormones, des médicaments, un régime hypocalorique, des coupe-faim et des boissons diurétiques. Des furoncles sont apparus sur son visage. Le régime strict l’a poussée à vider les placards la nuit. Peu après Noël, la jeune Française pesait 120 kg et s’isolait. Son poids avait doublé en moins d’un an.

Ce n’est qu’à presque 24 ans que Gabrielle Deydier apprendra qu’elle ne souffre pas d’une maladie des glandes surrénales, mais d’ovaires micropolykystiques. Il lui faudra attendre bien plus longtemps avant d’avouer qu’elle alterne des phases de jeûne prolongé avec de l’hyperphagie, alors qu’elle absorbe de grandes quantités de nourriture sans se faire vomir.

« À aucun moment, je ne veux qu’on croie que je glorifie l’obésité, dit Gabrielle Deydier, jointe par téléphone à Paris. Mais il faut accepter les gens. »

Ce n’est pas toujours le cas. Les jeunes obèses en Suède, au Royaume-Uni et aux États-Unis sont payés 18 % de moins que les personnes de poids normal, selon l’étude Fat Doesn’t Pay, citée par l’auteure.

« Plusieurs fois, en entretien d’embauche, on m’a dit que je ne correspondais pas à l’image de dynamisme de l’entreprise. Les gens n’ont pas de filtre quand ils s’adressent aux gros. Et comme les personnes grosses ne se plaignent pas… »

— Gabrielle Deydier

Femmes sous bistouri

Plutôt que de se plaindre, les obèses subissent des interventions chirurgicales bariatriques, sans suivi suffisant. Cela revient à coudre les lèvres d’une personne qui n’arrive pas à arrêter de fumer, selon Gabrielle Deydier. « Sur 10 personnes qui se font opérer, 8 sont des femmes, observe-t-elle. Alors que la proportion d’hommes et de femmes chez les obèses est quasiment équivalente. » L’obésité ne fait qu’amplifier « les complexes que ressentent, en fait, presque toutes les femmes », analyse l’auteure.

Elle souhaite qu’on éduque les gens. « Comme on fait des campagnes contre le racisme, il faut expliquer que ce n’est pas en s’en prenant au petit gros dans la classe, au travail ou dans le métro qu’on va régler quoi que ce soit », fait-elle valoir.

« L’obésité, c’est une maladie qui peut avoir des conséquences dramatiques, convient Gabrielle Deydier. Mais est-ce que lutter contre l’obésité, c’est lutter contre les obèses ? Il se trouve que moi, ma maladie se voit. Est-ce une raison pour que je ne sois pas socialisée ? »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.