Opinion

Vers un gouvernement unidimensionnel ?

Les dépenses en santé accaparent le budget de Québec au détriment des autres ministères 

L’assainissement des finances publiques québécoises semble aujourd’hui permettre de combler certains besoins en santé qui avaient été négligés durant la période de retour à l’équilibre budgétaire. C’est du moins la conclusion que le gouvernement en tire et voudrait voir partagée par la population. Les attentes considérables de celle-ci en services sanitaires devraient maintenant être mieux satisfaites.

En réalité, même lorsque la situation financière du gouvernement était plus précaire, la santé a toujours occupé une place privilégiée, obtenant relativement plus de ressources que les autres secteurs d’intervention de l’État. Le résultat durable de ce penchant favorable est un degré d’accaparement des ressources publiques qui va en s’accentuant et qui met en péril l’accomplissement des autres fonctions de l’État.

Les fonctions de l’État

L’État contemporain existe pour fournir des services et bénéfices à sa population. Avec les années, on a assisté à un élargissement de ses fonctions. Il ne s’agit plus seulement d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens par des services publics généraux (défense, sécurité publique, justice, relations intergouvernementales, administration générale), mais de permettre aux citoyens d’atteindre une plus grande qualité de vie par des interventions touchant l’ensemble de la vie courante et diminuant les risques qui y sont associés : services économiques (transports, énergie, agriculture et pêcheries, exploitation forestière et minière, fabrication), services sociaux (éducation, santé, sécurité sociale, culture, immigration, travail, environnement).

Les attentes des citoyens à l’égard de cette palette élargie de services publics évoluent avec le temps et ce qui pouvait, dans le passé, être une qualité de service acceptable dans un secteur ou un autre ne l’est plus aujourd’hui. 

On en veut plus et on veut que la qualité soit présente dans toutes les sphères d’intervention de l’État.

La priorité à la santé

C’est par la portion de son budget global que l’on appelle le budget de programmes que le gouvernement finance les interventions de ses différents ministères. Celui-ci représente grosso modo 70 % du budget global de l’État québécois. Dans ce budget de programmes, la part dévolue à la santé ne cesse de croître alors que la part des autres au mieux stagne, voire diminue, comme on peut le voir sur le graphique suivant.

De 42 % qu’elle était il y a quinze ans, la part de la santé dans les dépenses de programmes atteint 50 % en 2016-2017. L’autre priorité affichée du gouvernement, l’éducation, se maintient pendant toute la période à 25 %. Quant aux autres programmes, leur part relative régresse, passant de 30 % à 25 %.

L’accaparement des ressources

Chaque année, le budget de l’État augmente et le budget de programmes dispose de sommes additionnelles à répartir entre les ministères. Si la santé a vu sa part augmenter avec les années, c’est qu’elle a obtenu davantage de ces sommes additionnelles que les autres.

Depuis 2003-2004, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a pu compter sur une moyenne annuelle de 65 % des augmentations du budget de programmes et comme le montre le graphique ci-dessus, à au moins deux occasions, le Ministère a reçu plus que l’augmentation totale du budget de programmes. Qu’est-ce que cela signifie ? Simplement que les autres ministères ont dû comprimer leurs dépenses de manière importante pour permettre l’augmentation plus que proportionnelle des dépenses de santé. En somme, ce sont les autres fonctions de l’État qui ont supporté l’accaparement par la santé de l’essentiel des sommes additionnelles disponibles.

La recherche d’un nouvel équilibre

Si la tendance des dernières décennies se poursuit, le budget de la Santé représentera vraisemblablement d’ici une quinzaine d’années autour de 65 % du budget que le gouvernement affectera aux interventions de ses ministères et deviendra de façon de plus en plus manifeste un gouvernement de la santé, incapable de soutenir adéquatement ses autres fonctions. Cette situation ne doit pas se produire. 

Il ne s’agit pas de nier les besoins sanitaires légitimes de la population, mais de revoir leur financement. Il ne s’agit pas de couper dans les services essentiels, mais d’envisager de faire les choses différemment.

Premièrement, on doit s’assurer que les niveaux actuels de dépenses donnent un maximum de bénéfices en termes de services. Il n’est pas évident que les hausses récentes de rémunération consenties aux médecins concourent à l’atteinte d’un tel objectif. Donc, faire plus avec les budgets que l’on a et prendre des mesures structurantes permettant de maintenir une performance améliorée dans l’avenir.

Deuxièmement, et c’est malheureusement incontournable, il faut transférer une partie du fardeau du financement public sur les épaules des citoyens. On peut y arriver de plusieurs façons : en revoyant la couverture des services, en levant de nouvelles taxes dédiées ou en facturant des services qui ne le sont pas actuellement. Dans le premier cas, ce sont des services actuellement couverts par le Québec (par exemple les médicaments, les soins dentaires ou les soins optométriques) qui seraient touchés ; dans le second cas, on peut penser à la mise en place d’une assurance pour les services à domicile ou à des initiatives de ce genre ; dans le troisième cas, on pourrait envisager de mettre fin à la gratuité de l’assurance maladie et de l’assurance hospitalisation, si le gouvernement canadien accepte enfin de modifier la Loi fédérale sur la santé. N’oublions pas non plus que la part fédérale de financement de ces régimes d’assurance publics est passée de 50 % au début à 18 % aujourd’hui.

Deux de ces approches de solution ont évidemment pour conséquence de diminuer le revenu disponible des citoyens québécois, lesquels supportent déjà un fardeau fiscal élevé, et l’autre est synonyme d’efforts considérables. À l’évidence, aucun gouvernement ne se rendra populaire en adoptant de telles mesures. Cependant, si rien de majeur n’est fait, les dépenses de santé vont prendre de plus en plus de place dans le budget public et le gouvernement sera de moins en moins capable d’assumer l’ensemble de ses fonctions de manière adéquate et équilibrée.

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