Budget 2017 de la Ville de Montréal

Les attentes élevées de propriétaires exaspérés

Exténués par les hausses de taxes, des propriétaires de bâtiments commerciaux attendent beaucoup du budget que la Ville de Montréal présentera aujourd’hui. La Presse à parlé à deux d’entre eux, qui espèrent que la métropole révisera en profondeur sa façon de taxer leurs immeubles.

Budget 2017 de la Ville de Montréal

Contester, « ma seule façon de freiner la hausse »

C’est pratiquement devenu un rituel. Tous les trois ans, Susan Usher conteste l’évaluation que la Ville de Montréal fait de son triplex semi-commercial du boulevard Saint-Laurent. Pour elle, c’est la seule façon de freiner l’augmentation galopante de son compte de taxes.

« Ça me coûte 50 $ chaque fois, mais c’est ma seule façon de freiner la hausse de mes taxes », dit la propriétaire. Jusqu’à présent, le jeu en a valu la chandelle. Sa dernière contestation lui a permis de réduire de 35 000 $ la valeur de son édifice, ce qui a réduit sa facture de taxes d’environ 600 $ par an.

L’économie peut sembler importante, mais elle est bien faible comparativement aux 10 090 $ que Montréal a tout de même réclamés en 2016 à Susan Usher. Cette somme a pratiquement quadruplé depuis 2002, année où elle a acheté son immeuble. Pour le prouver, elle exhibe son tout premier avis d’imposition, qui s’élevait à 2800 $.

« Je ne pense pas que le budget de la Ville ait quadruplé pendant ce temps. »

— Susan Usher

Vérifications faites, le budget de Montréal était de 3,6 milliards en 2002 et de 5,1 milliards en 2016, une hausse de 42 %. Principale source de revenus de la Ville, le total des taxes récoltées est passé de 2,4 à 3,2 milliards durant cette période.

À eux seuls, les édifices commerciaux représentent près de 60 % des revenus de taxes de la Ville. Leur taux d’imposition est en effet quatre fois plus élevé que celui des bâtiments résidentiels.

Susan Usher estime d’ailleurs que la Ville ne l’incite pas à garder un local commercial. Convertir son rez-de-chaussée en logement lui permettrait de réduire de moitié sa facture de taxes.

La propriétaire trouve son augmentation de taxes d’autant plus difficile à avaler que le loyer de son local commercial n’a pas quadruplé depuis 15 ans. Pas même doublé, en vérité. Alors qu’elle le louait 1600 $ par mois en 2002, elle demande actuellement 2500 $, ce qui inclut autant l’électricité et le chauffage que les taxes municipales.

Peu de candidats

Susan Usher est devenue propriétaire d’un local commercial un peu malgré elle. Fatiguée d’aller d’appartement en appartement, elle a décidé en 2002 de devenir propriétaire. Mais déjà, à l’époque, une frénésie avait commencé à s’emparer du marché immobilier dans son quartier du Mile End, si bien qu’elle a dû se résoudre à acheter un immeuble semi-commercial. Elle occupe une partie de l’immeuble, loue un appartement à l’étage supérieur tandis que le rez-de-chaussée est occupé par un local commercial.

Ses moyens financiers étant limités, Susan Usher dit qu’elle ne pourrait pas se permettre que son local commercial soit vacant plusieurs mois. Et les difficultés du secteur du commerce de détail font en sorte que les candidats sont de moins en moins nombreux.

« Ça ne se bouscule pas pour louer le local. »

— Susan Usher

Selon elle, les taxes trop élevées contribuent au marasme des artères commerciales comme Saint-Laurent. Elle espère que la Ville de Montréal révisera sa taxation pour permettre aux propriétaires comme elle de souffler. « Les taxes commerciales devraient être établies en fonction de l’activité commerciale réelle et non de la valeur des résidences. »

Budget 2017 de la Ville de Montréal

« C’est de l’exploitation »

René Lamoureux est inquiet. Propriétaire d’un immeuble semi-commercial de la rue Saint-Denis depuis 1979, l’homme n’avait jamais vu autant de locaux commerciaux vides.

La faute aux parcomètres ? Aux changements de sens de rues du maire Ferrandez ? Aux chantiers qui se multiplient ? « Non. Pour avoir longtemps cherché des locataires pour nos deux locaux, chaque fois qu’on leur disait le montant des taxes, les gens reviraient de bord », dit René Lamoureux.

Habitué de recevoir des augmentations de taxes depuis qu’il a acheté son immeuble, en 1979, l’homme constate l’explosion de sa facture depuis les fusions. De 10 719 $ en 2002, son avis d’imposition était désormais de 47 205 $ en 2016. « C’est de l’exploitation. C’est exploiter les propriétaires », s’indigne René Lamoureux.

Si sa facture est aussi élevée, c’est que Montréal considère que 85 % de son immeuble est commercial. Et ce, même si ses deux locaux commerciaux occupent seulement le rez-de-chaussée. Les 2e et 3e niveaux sont occupés par deux logements.

René Lamoureux en a tout particulièrement contre la décision de la Ville de Montréal prise en 2003 de transférer le fardeau des taxes commerciales des commerçants aux propriétaires.

« Ils ont fait de nous des percepteurs de taxes. »

— René Lamoureux

Ce changement est d’autant plus lourd de conséquences que louer ses locaux commerciaux est de plus en plus difficile, en raison des difficultés du commerce de détail à Montréal. « Au fil des ans, on a vu la rue Saint-Denis évoluer, connaître des hauts et des bas. Mais il n’y a jamais eu des bas comme en ce moment. Il n’y a jamais eu autant de locaux vacants », confie René Lamoureux.

Locataires réticents

Un de ses locaux a été vacant pendant 14 mois. L’autre, pendant 18 mois. Et si les loyers ne rentraient plus, les factures, elles, continuaient à s’accumuler. Dont les taxes.

Pour trouver des locataires, René Lamoureux a dû se résoudre à considérablement baisser ses loyers. Au point où les prix sont revenus au niveau des années 90.

Et même à ce prix, les locataires se montrent réticents. Alors que le propriétaire signait par le passé des baux de cinq ans pour s’assurer une certaine stabilité, les commerçants ne veulent plus s’engager à aussi long terme.

« Quelqu’un m’a proposé un bail d’un an avec deux mois gratuits. Et il a voulu négocier le prix du loyer. »

— René Lamoureux

Le propriétaire dit rester sur son appétit avec le programme d’aide annoncé par Montréal pour aider les commerçants de la rue Saint-Denis. S’il convient que certains pourront en profiter pour retaper leur édifice, lui-même estime qu’il ne pourra en bénéficier, n’ayant plus d’argent à investir.

Âgé de 65 ans, René Lamoureux se sent à bout de souffle. La réception de la moindre lettre portant le logo de la Ville de Montréal devient une source de stress. « Quand on reçoit nos taxes, on a comme un sentiment d’impuissance qui nous envahit. Je peux concevoir que c’est important, les taxes, mais il y a de l’exagération. »

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