Mon clin d’œil

Le Canadien en a fumé du bon.

Opinion  Laïcité

Choisir les symboles ou l’être humain ?

Depuis l’annonce de l’intention du gouvernement Legault d’interdire les signes religieux pour les employés de l’État en position d’autorité, les rares voix qui se sont élevées pour critiquer la proposition ont fait la promotion du « compromis » Bouchard-Taylor. Et avec quel enthousiasme ! Comme si notre salut à tous et à toutes dépendait de ce rapport.

Comme si la « solution » qui y était proposée était l’incarnation même de la sagesse. Comme si le fait de l’adopter allait ramener l’harmonie sur la Terre comme au ciel (c’était trop tentant). Comme si le seul fait qu’elle soit « moins pire » la rendait de ce fait irrésistible. C’est la tentation du compromis. 

Eh bien non. On peut faire mieux que « moins pire ». On doit faire mieux. 

La proposition de Gérard Bouchard (qui, doit-on le rappeler, n’est plus celle de Charles Taylor) est d’interdire les signes religieux pour les personnes occupant un poste qui incarne le pouvoir coercitif de l’État (procureurs de la Couronne, juges, policiers, gardiens de prison). On ne parle donc pas ici des enseignants ou des éducateurs, car leur autorité ne s’accompagne pas d’un pouvoir de sanction. S’ajoutent à cela les président et vice-président de l’Assemblée nationale, car ces postes « incarnent au plus haut point la nécessaire neutralité de l’État » (p. 151 du rapport). 

Gérard Bouchard lui-même en conviendra, cette proposition est contraire au principe de laïcité ouverte qu’il prône ailleurs dans son rapport (de concert cette fois avec Charles Taylor).

En effet, ce modèle s’accommode du port de signes religieux par les employés de l’État, reconnaissant que c’est l’État qui doit être laïque, et non pas les individus. Mais, nous dit-on, les symboles importent. L’« apparence » de neutralité est parfois aussi importante que la neutralité des « actes ». Il faut donc faire ce compromis. 

De vraies personnes

Certes, les symboles sont importants. Mais à quel point ? J’aimerais rappeler aux personnes séduites par cette logique un fait tout simple : sous les « signes religieux ostentatoires », derrière les « postes qui incarnent le pouvoir coercitif de l’État », au-delà de l’objectif symbolique d’assurer l’« apparence de neutralité » de l’État, il y a des personnes. De vraies personnes à qui l’on refuse de vrais emplois au nom du message que le contraire enverrait. 

M. Legault semble lentement prendre conscience de cela, lui qui, maintenant appelé à appliquer les principes qu’il brandit, se heurte au constat des vies qu’il affecte.

Cela l’a amené à envisager (bien que temporairement) la possibilité de reconnaître des droits acquis aux personnes visées par ses propositions qui sont déjà employées par l’État. Mais le même réflexe – humain – devrait le pousser (et nous pousser tous) à considérer non seulement les personnes déjà en poste, mais celles qui aspirent à l’être. Ces personnes à qui l’on dit en substance : non, cette carrière n’est pas pour vous, car vous portez (vous êtes ?) un symbole, le poste que vous convoitez en est un également, et le Québec poursuit un objectif symbolique, mais légitime. 

Bref, dans le combat entre les symboles et l’humain, entre les symboles et vous, les premiers doivent l’emporter… désolé. 

Ces considérations valent quel que soit le type d’emploi en cause. 

Certaines personnes lèveront les yeux au ciel en me lisant. Que de sensiblerie, quel ton mélodramatique ! Elles m’inviteront à me hisser au-dessus des (bons) sentiments pour considérer les enjeux : plus grands que nous, plus importants que les gens. 

À ces personnes, j’aimerais répondre par une invitation : allez à la rencontre d’une personne affectée par les mesures annoncées, regardez-la dans les yeux, et redites-lui tout ça. Voyez d’abord si vous en êtes capables. Si c’est le cas, écoutez la réponse de cette personne. Écoutez-la vous dire quel impact auront vos principes sur sa vie. Et méditez cette réponse. 

Posez-vous ensuite la question suivante : entre les symboles et l’humain, quoi choisir ?

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