THÉÂTRE
CRITIQUE

Cette blessure…

Le terrier de David Lindsay-Abaire. Mise en scène par Jean-Simon Traversy. Avec Sandrine Bisson, Frédéric Blanchette, Pierrette Robitaille… Chez Duceppe, jusqu’au 23 mars. Durée : 1 h 30 min sans entracte (**** quatre étoiles)

À la création du Terrier (Rabbit Hole), en 2006, le critique du New York Times a suggéré au producteur de prendre « une assurance inondation », car les spectateurs pleuraient à chaudes larmes durant la représentation au Biltmore Theater ! Parce que Le terrier aborde, avec force et justesse, un terrible et universel drame humain : le deuil de parents après la mort (accidentelle) de leur enfant de 4 ans.

Par chance, David Lindsay-Abaire est aussi habile à nous faire rire. Et réfléchir. Pas un mot de trop dans son texte. L’auteur va toujours à l’essentiel et dépeint les situations avec un amour profond pour tous ses personnages. Sa pièce mérite amplement le prix Pulitzer obtenu en 2007.

Ayant fait l’objet d’une première mouture à la salle Fred-Barry, il y a trois ans, cette pièce est reprise pour notre plus grand bonheur chez Duceppe, dans une production remarquablement dirigée par Jean-Simon Traversy et une traduction exemplaire d’Yves Morin.

Avec le temps

Il en va du chagrin comme de la vie : il n’existe pas de mode d’emploi pour passer au travers.

Comment retrouve-t-on la paix de l’âme après la mort d’un enfant ? Comment reconstruit-on son couple et sa vie amoureuse au milieu du vide ?

Comment donner du sens au quotidien – cuisiner, travailler, socialiser – quand on nous a enlevé ce qu’on a de plus précieux ?

Huit mois se sont écoulés depuis que Becca et Louis ont perdu leur fils unique. Si elle est résolue à effacer souvenirs et objets lui rappelant son garçon, de son côté, son mari se tient très occupé pour éviter de laisser remonter la boule de chagrin coincée en lui. Le couple n’a plus d’intimité ni de tendresse. Jour après jour, il cherche à panser cette blessure qui ne guérit pas. Il survit.

Or, la vie continue. La sœur de Becca est enceinte ; sa mère les invite à souper pour les réconforter et leur raconte ses histoires qui ne font qu’accentuer le malaise ; jusqu’à l’adolescent responsable de l’accident du fils qui viendra demander pardon au couple brisé… (Ce personnage est plus faible. Et le jeune acteur qui le défend peine à nous faire ressentir sa culpabilité.)

Merveilleuse Sandrine Bisson !

Jean-Simon Traversy dirige cette pièce de 90 minutes qui passent comme l’éclair avec brio. Il a ajusté sa mise en scène, pour passer d’une salle de 100 places (Fred-Barry) au Théâtre Jean-Duceppe (plus de 800 sièges), doté du plus gros plateau en ville. Ce qui n’est pas une sinécure. Traversy collabore avec les mêmes concepteurs qu’en 2016, avec un grand souci du détail. Au premier plan de la scène dénudée, on trouve des jouets de l’enfant éparpillés ; au-dessus, un plafond incliné pèse sur les personnages comme une épée de Damoclès. Le décor de Cédric Lord, magnifiquement éclairé par la lumière de Renaud Petitgrew, est impeccable. 

Mais la force et la beauté du Terrier, c’est surtout sa distribution. Au premier plan, Sandrine Bisson, merveilleuse, dans le rôle de Becca, la jeune mère en deuil, l’épouse en déroute, la femme qui ne fuit pas. C’est un grand numéro d’actrice. Elle est dans la vérité à chaque réplique, chaque seconde. Dans le rôle de son mari, Frédéric Blanchette est aussi bouleversant, laissant filtrer une sourde colère derrière son armure intellectuelle. Une mention aussi à Pierrette Robitaille et à Rose-Anne Déry, dans des rôles secondaires mais importants.

Finalement, Le terrier parle beaucoup plus que du deuil de son enfant. On y aborde le deuil au sens large, de l’abandon d’un amoureux à la perte de toute chose qui nous est chère. L’auteur parle du chagrin et de la douleur comme une « grosse brique dans la poche » que l’on doit porter toute sa vie. On ressort du Théâtre Jean-Duceppe avec cette belle image en mémoire, le cœur lourd… et l’âme résolument plus légère.

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