Les lignes horizontales

Un livre inspirant

Words Without Music

Philip Glass

Liveright, 288 pages

Je m’étais souvent demandé pourquoi on associe la lecture légère à l’été. Ma théorie était qu’au contraire, l’été offrant davantage de temps libre, il devrait être plus facile de plonger dans une lecture lourde et exigeante alors qu’on dispose de longues périodes de tranquillité.

Mais j’ai compris, depuis l’acquisition d’un chalet, de l’apparition de beaux-frères et d’enfants dans ma vie, que, l’été, on invite famille et amis audit chalet et que ces gens-là… veulent jaser.

Voilà la théorie derrière la lecture d’été, légère et accessible. Rien à voir avec la chaleur ou la détente. C’est plutôt pour faciliter l’aller-retour avec les distractions et pouvoir replonger facilement dans le sujet.

J’ai opté pour l’autobiographie de Philip Glass, compositeur américain (opéras, symphonies, musique de film) doté d’un sens inné du faire à sa tête et dont la musique souvent minimaliste et répétitive est facilement reconnaissable.

Un petit matin cuisant où je me lève avant tout le monde, j’entreprends sur le quai les mémoires du compositeur né à Baltimore, dont le père possédait un magasin de disques, puis… un ami me surprend dans l’angle mort avec un très moyennement nécessaire : « Le problème, c’est pas la chaleur, c’est l’humidité. »

Et ça se veut une partance de discussion.

On dirait que la lecture n’a pas encore acquis le statut d’activité « non dérangeable ».

Si quelqu’un parle au téléphone, on ne va pas l’interrompre au milieu de sa conversation avec une remarque de pression barométrique. Si un proche est plongé dans son travail, on hésitera avant de lui décocher un « le fond de l’air est frais, hein ? ».

Mais la lecture ne nous protège pas des conversations d’importance modérée. Pourquoi ?

Glass devient adepte du yoga en 1957 avant, disons, l’ensemble de l’Amérique. Puis il décrit ses traversées des États-Unis en moto, et c’est si agréable à lire que j’ai envie de me mettre aux deux activités, mais le yoga tombe après six minutes.

Puis, ma sœur se lève et m’enligne avec un « l’eau est froide, mais j’imagine qu’une fois qu’on est dedans… ».

Le jeune compositeur fait trois ans d’études à Paris, pendant lesquelles il visite aussi l’Inde.

Mon autre sœur vient me demander des nouvelles d’un camarade de classe perdu de vue en 1994.

Glass récolte graduellement le fruit de ses efforts et jouit d’un bouche-à-oreille très favorable. Il remplira ainsi deux fois le Metropolitan Opera de New York, en 1976, avec l’opéra Einstein on the Beach, mais doit simultanément conduire un taxi pour joindre les deux bouts. Ce qu’il fera jusqu’en 1978, à l’âge de 41 ans.

Un ado dont j’oublie la provenance m’interrompt pour se plaindre que le Wi-Fi est un peu faible. Nous sommes dans le fond du bois. Je fulmine intérieurement.

Accueil très mitigé pour l’opéra Akhnaten aux Pays-Bas. Le compositeur nous parle de son gène « I-don’t-care-what-you-think ». Le gène d’être capable de se foutre de ce que les autres pensent. « I have it big time », dit-il. 

Inspirant pour tout artiste de lire sur la vie de Philip Glass. Son rapport au succès, à l’échec, à la création et à la vie fait de ce mémoire une espèce de bible de principes.

Je suis bien absorbé par ma lecture quand un ami m’assomme avec : « Y a des nuages, mais d’après moi, ça va passer en vent… »

Si vous avez croisé mes chroniques précédentes, vous savez que mon sport préféré est de mépriser la technologie, mais pour l’autobiographie d’un artiste, YouTube peut être très pratique.

La musique de Philip Glass m’était vaguement familière, mais je n’avais jamais entendu le son de sa voix. Après une cinquantaine de pages, je suis allé écouter quelques entrevues (mon Wi-Fi marche super bien, en passant) pour découvrir que la voix que je lui avais collée dans ma tête ne correspondait aucunement à la réalité. J’avais opté pour un Max Pacioretty en entrevue après une défaite, mais on a plutôt affaire à une France Castel qui vient juste de se lever.

Les 400 pages furent donc un combat perpétuel à travers les obstacles sociaux de la lecture, mais j’arrivai à finir le livre fin août.

Puis, la fête du Travail est arrivée, accompagnée de journées très chaudes. Ma famille me visitait pour le long week-end. Un convive en recherche de quiétude attaque le hamac et s’y allonge doucement… Je me faufile à gauche, et en plein centre de sa bulle, lui dégaine un : « Une canicule en septembre, wow, l’été qu’on n’a pas eu… »

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