Chronique

La plus grande enquête d’Alain Gravel

J’ai tout entendu au sujet d’Alain Gravel. L’animateur à la barre de la matinale d’ICI Première est ennuyant ! Il fait des jokes de mononcle ! Il parle trop souvent de lui ! Il manque de mordant ! Il n’est pas chaleureux ! Alouette !

Je serai franc avec vous, j’ai pensé tout cela moi aussi. Mais bon, le temps a fait son œuvre, et je fais maintenant partie de ceux qui gonflent ses cotes d’écoute depuis les deux derniers sondages Numéris.

J’ai appris à apprécier Alain Gravel et son émission, j’ai appris à faire fi de ses travers qui m’irritent encore certains matins. Quand ça arrive, je fais comme vous : je lui parle. Je lui dis ma façon de penser en faisant couler mon café. Cela dit, je fais la même chose avec Paul Arcand quand celui-ci adopte un ton pontifical pour commenter les nouvelles du jour.

Il faut être fait fort pour animer une émission du matin. De tous les rôles dans une radio, c’est le plus difficile à endosser. Tu n’es jamais à la hauteur, tu n’es jamais à la bonne place et tu n’as jamais le bon ton. Les animateurs du matin sont à la fois les confidents et les punching bags des auditeurs, selon leur humeur, la qualité de leur sommeil, la vitalité de leur vie sexuelle ou la turbulence des enfants.

Je ne sais pas si Alain Gravel savait tout cela quand il a pris la barre de cette émission alors qu’il détenait le titre de monsieur Enquête et qu’il bénéficiait d’une grande cote d’amour auprès des téléspectateurs. Chose certaine, il a tenu compte des commentaires des auditeurs (c’est tout à son honneur) et, avec ses patrons, il a apporté certains changements à son émission.

Le rythme est meilleur, le ton de Gravel est plus rond et l’escouade info est renforcée : la chroniqueuse judiciaire Geneviève Garon s’est jointe à Karima Brikh à la revue des médias et Maxime Coutié aux informations de dernière heure. Le trio est maintenant complet.

N’empêche, je trouve qu’on se contente trop souvent de s’abreuver auprès des journaux ou des nouvelles de la veille.

Je ne comprends pas qu’Alain Gravel, qui a carburé pendant des années au scoop, n’exige pas une plus grande participation des journalistes de la salle de rédaction de Radio-Canada pour venir offrir aux auditeurs des « exclusivités exclusives », une expression qui faisait rigoler Marie-France Bazzo à l’époque où celle-ci régnait sur ICI Première.

Cette chevronnée des médias aurait dû comprendre que de nos jours, il n’y a que les « exclusivités exclusives » qui peuvent assurer la survie et le succès des salles de rédaction. Non, elle préférait rire des journaux qui le mentionnaient à la une. Enfin, passons.

On a aussi ajouté la présence de Stéphan Bureau qui, contexte américain oblige, tient la chronique sur la politique américaine. Ses commentaires sont intéressants, mais on sent trop la lecture du texte qu’il a devant lui. D’ailleurs, cette bonne vieille méthode radio-canadienne qui consiste à s’en remettre à des questions et des réponses déjà écrites ne passe pas toujours bien. Lire sans donner l’impression de lire est un art difficile à maîtriser.

Bénéficiant de la plus grosse équipe de collaborateurs de toutes les matinales montréalaises (une dizaine au quotidien et tout autant hebdomadairement), Gravel peut compter sur la vigueur de la jeunesse et la longue expérience de certains chroniqueurs. Je pense à Chantal Hébert et à Michel David, toujours pertinents, toujours éclairants.

Le tandem Marie Grégoire et Vincent Graton relève fort bien le mandat de passer au crible l’actualité du moment.

Si la première souffre parfois de surexposition médiatique, le second est la grande surprise de cette équipe. J’apprécie la polyvalence de Vincent Graton, ses qualités de communicateur (il sait comment venir capter notre attention) et son cran. Je me plais à rêver qu’il animera un jour cette émission.

Quelques briques, maintenant ! Hugo Lavoie et sa chronique urbaine. Ce n’est pas que ce n’est pas bon, c’est que ses reportages, conçus pour nous faire découvrir des personnages, n’ont pas leur place dans une telle émission. Ils brisent le rythme. Le matin, où tout est en mouvement, n’est peut-être pas le meilleur moment pour s’adonner à l’écoute d’un topo de cinq minutes, aussi bon soit-il.

Parlons un instant des fameux « humeuristes » (Kim Lizotte, Eddy King, Daniel Lemire, Louis T, Catherine Éthier, Christian Vanasse, Manal Drissi et Guillaume Wagner). La formule du billet radiophonique est quelque chose qu’on ne connaissait pas beaucoup ici. Les Français ont recours à cette approche depuis fort longtemps. Nous nous en sommes inspirés et nous l’exploitons gaiement en oubliant que, sans profondeur et sans public, ce procédé peut devenir un véritable casse-gueule. Dans ce cas-ci, quatre fois sur cinq, c’est raté. Voilà un concept qui est à revoir. Ou à oublier.

Dans sa chronique du vendredi, Jean-René Dufort est celui qui se débrouille le mieux avec cette formule du billet d’opinion sarcastique. Trouvons donc d’autres « personnages » comme Dufort. Et tant qu’à vouloir nous faire rire, trouvons d’autres moyens purement radiophoniques pour le faire, comme ce que présentent chaque semaine Olivier Niquet et Alexandre Coupal avec leur version matinale du Sportnographe.

Animer une émission du matin est un énorme défi. Cela demande d’être doux et rassurant quand il le faut. Et de sortir les crocs quand c’est nécessaire. En fait, animer une émission du matin, c’est symboliser l’ensemble des émotions de ses auditeurs. Au terme d’une deuxième saison, Alain Gravel a prouvé qu’il avait envie de remplir ce mandat.

Celui qui gagne peu à peu le cœur des auditeurs de la radio publique découvre sans doute que de sonder tous les jours les sentiments des auditeurs n’est pas une mince tâche. Et dans ce sens, il réalise qu’il est en train de mener la plus grande enquête de sa vie.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.