Éditorial : Laïcité

Reculons d’un pas… pour mieux avancer

L’attentat de la grande mosquée de Québec a tout changé. Le ton des échanges. Les mots utilisés. L’attitude des partis, des ministres, des députés.

Normal que la tragédie change donc aussi la nature du débat. Normal que l’attaque la plus sanglante jamais perpétrée dans une mosquée en Occident nous oblige, aujourd’hui, à aborder différemment les questions de laïcité, de diversité et de neutralité religieuse.

Avant la tuerie, l’adoption du fameux « consensus Bouchard-Taylor » était une priorité collective, avec raison. Les libéraux ayant quasiment tabletté le rapport en 2008, les problèmes épisodiques liés aux accommodements religieux avaient rendu l’action gouvernementale urgente. À la fois pour apaiser le malaise de la majorité (bien réel) et tourner la page sur la charte des valeurs (bien malheureuse).

Mais la solution qui s’imposait le 29 janvier au matin a dégringolé de la liste des priorités le 29 au soir.

Pas parce que l’inquiétude identitaire des Québécois avait soudainement disparu, mais parce que l’inquiétude de la communauté ciblée devenait aussitôt plus manifeste, plus concrète et surtout, plus préoccupante.

Et la majorité oserait répondre quelques jours plus tard par une restriction des libertés de la minorité visée ? Elle s’attaquerait aux droits des citoyens… à qui elle promet ouverture, dialogue et main tendue depuis deux semaines ?

Il est vrai que le Québec a perdu 10 ans en refusant de donner suite à la commission Bouchard-Taylor, mais ce n’est pas une raison pour reculer de 10 ans en matière d’ouverture et de tolérance, simplement pour rattraper le temps perdu.

Les six Québécois de confession musulmane qui ont été tués à Sainte-Foy ont été, pour reprendre les très beaux mots de Jean-François Lisée, « victimes du contraire de l’espoir, de l’amour et de la générosité ; victimes du contraire de ce qu’ils voulaient incarner ».

Mais en restreignant les libertés des musulmans à ce moment-ci, le Québec ne serait-il pas justement, à son tour, « victime du contraire de ce qu’il veut incarner » ?

Attendons un peu, plutôt. « Laissons la place au temps de la réconciliation », comme l’a dit hier Charles Taylor.

Mettons de côté l’interdiction des signes religieux aux employés de l’État qui exercent des fonctions coercitives – certes importante, mais symbolique – , et attaquons-nous aux discriminations que subissent les arabo-musulmans.

Tentons d’améliorer l’intégration des immigrants, la francisation des nouveaux arrivants, la représentativité du secteur public, la place des minorités sur le marché du travail. Adoptons rapidement le projet de loi 98 qui vise à faciliter la reconnaissance des formations, puis ensuite seulement, renforçons le projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État.

Attendons, donc… mais sans faire l’autruche comme le fait Philippe Couillard. Bien qu’il ait eu les mots justes et l’attitude de circonstance ces dernières semaines, l’insistance avec laquelle il évoque « un problème inexistant » devient de plus en plus fâcheuse, voire provocante.

Le problème est en effet bien réel et ne se mesure pas au nombre de juges qui portent le hidjab. Le problème est ce malaise ressenti chaque fois que la laïcité de l’État est remise en question, que des demandes d’accommodements semblent non raisonnables, que l’égalité hommes-femmes est ébranlée.

Or ce malaise mérite aussi une réponse du législateur dans le respect des droits et libertés de la minorité… mais pas tout de suite. Pas au lendemain de l’attentat qui a confirmé la stigmatisation dont sont victimes les Québécois de confession musulmane.

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