Santé

« C’est le défibrillateur qui a sauvé stéphanie »

À la prochaine rentrée scolaire, toutes les écoles secondaires publiques de la province seront équipées d’un défibrillateur externe automatisé (DEA), a appris La Presse. En janvier, un de ces appareils installé dans une école secondaire de Montréal a une nouvelle fois prouvé son utilité. Stéphanie Goyette Rollin a été victime d’un arrêt cardiaque qui aurait pu être fatal, mais elle prépare ces jours-ci ses examens de fin d’année. Un dossier de Marie-Eve Morasse

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Des défibrillateurs dans toutes les écoles secondaires publiques

Le cardiologue Paul Poirier gagne son combat.

« C’est réglé, je passe à autre chose ! » Cardiologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Paul Poirier est visiblement satisfait. Après 10 ans de travail, le médecin a obtenu la confirmation officielle que les écoles secondaires publiques de la province seraient équipées d’un défibrillateur externe automatisé (DEA). Au total, 540 établissements publics seront touchés.

« J’ai commencé à travailler sur ce dossier-là quand Couillard était ministre de la Santé, je les ai tous connus », dit-il.

C’est une rencontre fortuite avec l’ancien ministre de l’Éducation Sébastien Proulx qui a fait bouger les choses. « J’ai été chanceux, je me suis approché agressivement et j’ai été agréablement reçu », se souvient le coloré DPoirier.

Agressivement ? « Je fais de la cardio, je ne traite pas les boutons : j’aime régler les problèmes. J’étais tanné d’essayer de rencontrer le ministre de l’Éducation, je n’y arrivais pas pour des raisons administratives. Ça, ça m’écœure. »

« Je n’ai rien à vendre, je ne suis pas un gars de santé publique, j’essaie juste de régler ça. »

— Le Dr Paul Poirier, cardiologue à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec

C’est fait. « Les fonds sont là », confirme Carole Nadeau, gestionnaire de projets pour la Fondation ACT au Québec, qui aide les écoles à implanter les appareils. « On ne peut pas leur envoyer un appareil avec lequel ils ne savent pas quoi faire. On fait ce suivi individuel », explique Carole Nadeau. Plus de 200 défibrillateurs ont été achetés grâce à une campagne de financement menée auprès des médecins québécois par le Dr Paul Poirier.

Cheval de bataille

Pourquoi avoir fait des défibrillateurs dans les écoles secondaires son cheval de bataille ? « Je suis cardiologue », répond-il en riant. Mais encore ? Au fil des années, le médecin dit les avoir « toutes entendues ».

« “Pourquoi tu veux mettre ça dans les écoles secondaires, Poirier ? Les jeunes n’écrasent pas dans les écoles secondaires !” J’ai dit : “Vous n’avez pas compris.” »

« On va avoir une génération qui va être formée en RCR au moins une fois dans sa vie. Et dans ces gymnases-là, c’est des morons comme toi et moi qui écrasent en jouant au hockey Cosom. » — Le Dr Paul Poirier

« Bien des écoles sont comme des centres communautaires, confirme Carole Nadeau, de la Fondation ACT. C’est aussi pour les gens qui fréquentent l’école en soirée. »

Dans les régions où les ambulances parcourent de longues distances, la pertinence d’avoir de tels appareils n’est plus à prouver, dit le Dr Paul Poirier. « Dans le fin fond du Saint-Loin-Loin, quand ça prend de 25 à 30 minutes à l’ambulance pour se rendre, et qu’il y a 10 % de décès par minute, le patient, il est mort, dit-il. Il faut que ce soit sur place, c’est simple comme ça. »

Et les écoles primaires ?

La Presse a demandé à toutes les commissions scolaires de la province combien de défibrillateurs elles ont dans leurs établissements.

Certaines commissions scolaires comme la Commission scolaire des Hautes-Rivières, en Montérégie, et la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, à Montréal, ne le savent tout simplement pas.

Les réponses des commissions scolaires montrent que les écoles primaires de la province qui en sont équipées ne sont pas légion et ne semblent répondre à aucune règle. Par exemple, à la Commission scolaire des Chic-Chocs, en Gaspésie, aucune école primaire n’en est dotée, tandis qu’à la Commission scolaire des Draveurs, en Outaouais, toutes les écoles primaires ont un DEA.

À la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île (CSPI), à Montréal, l’installation de défibrillateurs dans les écoles secondaires a eu un effet d’entraînement dans les écoles primaires.

« Les gens qui avaient été formés ont sensibilisé leur milieu, se sont dit : “Si ça pouvait sauver quelqu’un.” Depuis l’an dernier, toutes nos écoles sont équipées. »

— Valérie Biron, porte-parole de la CSPI

Directrice de l’école privée Académie Saint-Louis, à Québec, Hélène Verret sait trop bien qu’un élève du primaire peut lui aussi connaître des problèmes cardiaques. En mars 2018, un garçon de 8 ans de son école s’est effondré « tout en douceur, sans bruit », en mangeant sa collation dans sa classe.

Hélène Verret passait près de cette classe. Elle a entrepris des manœuvres de réanimation. « On était en communication avec le 911. Ils nous disaient ne pas lâcher, de ne pas arrêter. Quand on a dit qu’on avait un défibrillateur, ils n’en revenaient pas », raconte-t-elle. L’appareil avait été acheté moins d’un an auparavant.

L’élève a été sauvé, la directrice le voit chaque jour à l’école. « On est liés pour la vie », dit Hélène Verret.

Le Dr Paul Poirier va-t-il faire des écoles primaires un nouvel objectif à atteindre ? « Les gens vont dire : “T’es fou raide, embarques-tu dans les écoles primaires ?” », dit-il en riant. Le cardiologue retrouve son sérieux, ne dit pas non.

« Il y en a des jeunes qui sont décédés. C’est dramatique, être le père ou la mère d’un enfant qui meurt. Il y en a qu’on réanime et qui n’ont aucune séquelle. Ceux qui meurent, c’est tannant en maudit… »

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

sANTÉ

« Les astres étaient alignés »

« J’ai toujours ça en tête, je me dis : ce matin-là, elle allait bien… » À la fin de janvier, Suzanne Goyette a vu sa fille Stéphanie partir à l’école secondaire Saint-Henri, dans le quartier du même nom, sans se douter de ce qui allait se jouer quelques heures plus tard.

En tout début de journée, tandis qu’elle sautait à la corde dans son cours d’éducation physique, la jeune fille de 16 ans – aujourd’hui 17 – a été prise d’une grande fatigue. « Je me suis assise sur le bord du mur, mon amie me disait : “Envoye, viens !” Mais à un moment donné, elle a vu que je n’étais plus trop moi », relate Stéphanie Goyette Rollin.

Stéphane Bordeleau enseignait à Stéphanie cette journée-là. « Je n’avais jamais vu ces symptômes-là, je ne savais pas quoi penser. C’était comme des convulsions… j’avais l’impression que c’était neurologique. Je dis ça, mais sur le coup, c’était nébuleux », relate-t-il.

Stéphanie perd connaissance, revient à elle, puis perd connaissance à nouveau.

« J’ai senti qu’elle était complètement partie. Elle n’était plus vivante. Son teint était gris, elle avait fait un arrêt cardiaque. »

— Stéphane Bordeleau, enseignant

Alertés par des élèves, ses collègues Patrick Huot, technicien en éducation spécialisée, et Jean-François Gray, lui aussi enseignant d’éducation physique, lui prêtent déjà main-forte. Ils appellent le 911, font sortir les élèves, vont chercher le dossier de santé de Stéphanie, mais aussi le défibrillateur externe automatisé (DEA) placé près du gymnase.

« Quand ils l’ont mis dans mes mains, ça a tracé le chemin, dit Stéphane Bordeleau. Je me suis concentré seulement là-dessus. C’est le défibrillateur qui a sauvé Stéphanie. »

Quelques minutes avant, pourtant, il n’aurait pu dire avec certitude s’il y en avait un dans l’école.

« Morte sept minutes »

Stéphane Bordeleau affirme qu’il n’a jamais envisagé que Stéphanie meure dans le gymnase cette journée-là. « Quand je l’ai vue quitter le gymnase [avec les ambulanciers], elle respirait, mais je m’inquiétais pour les séquelles. Mais quand j’ai revu Stéphanie à l’hôpital, j’ai été impressionné par la couleur de sa peau. Elle était pleine de vie… », dit-il.

Stéphanie a eu de la chance. « Dans le rapport de neurologie que j’ai eu, j’ai vu qu’elle était morte sept minutes », dit sa mère, Suzanne Goyette. Le problème cardiaque de Stéphanie n’était pas connu avant cette fameuse journée de janvier. Elle a maintenant des suivis médicaux serrés, mais elle va bien.

Le technicien en éducation spécialisée Patrick Huot n’en revient toujours pas de la façon dont les choses se sont déroulées cette journée-là.

« Je ne crois pas en l’astrologie, mais les astres étaient alignés. Tout était à la bonne place, au bon moment. »

— Patrick Huot, technicien en éducation spécialisée

« C’est bouleversant, affirme pour sa part l’enseignant Stéphane Bordeleau. J’ai un lien particulier avec Stéphanie, chaque fois qu’elle me voit, elle vient me serrer dans ses bras. »

Quelques mois plus tard, les quatre sont réunis, à notre demande, dans le gymnase de l’école, là où tout s’est joué avant l’arrivée des ambulanciers, qui ont pris le relais. Stéphanie terminera sa quatrième secondaire dans quelques semaines.

« C’est devenu comme mes amis », dit-elle à propos des trois hommes qui ont contribué à lui sauver la vie.

« Ça soude, dit Patrick Huot. Avant, on ne la trouvait pas particulièrement attachante. » Stéphanie rit, elle connaît ses amis : ils aiment bien la taquiner un peu.

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