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Chronique

Un projet liberticide

Ça commence bien. Devant la commission parlementaire qui étudie le projet de loi contre les « discours haineux », l’imam Adil Charkaoui accuse la députée Nathalie Roy de tenir des propos « empreints de haine ». Cette dernière avait dit que M. Charkaoui n’était pas représentatif de la communauté musulmane (ce qui est parfaitement exact – et fort heureux).

On voit déjà à quel point certains ont une conception élastique du concept de « haine », et à quelles dérives peuvent aboutir les procès pour « discours haineux ». Mais cela n’est que la pointe de l’iceberg.

Le projet de loi 59 est un projet liberticide indigne d’un gouvernement libéral (dans les deux sens du mot), dont on ne comprend pas qu’il ait pu être conçu, approuvé, puis déposé en Chambre sans que personne n’y mette le holà. La ministre de la Justice est de toute évidence dépassée par la question, mais le premier ministre Couillard, lui, n’est-il pas capable de comprendre la portée des dispositions hallucinantes de ce projet ?

Ce texte n’est pas à amender, comme l’a promis la ministre. Il est à jeter aux orties. D’abord parce qu’il fait double emploi, pour ce qui est de la répression de la violence, avec le Code criminel canadien. Ensuite, parce qu’il constitue une attaque contre la liberté de parole sans équivalent en Amérique du Nord.

L’engrenage a commencé avec l’idée pernicieuse que le gouvernement devait contrebalancer les mesures envisagées contre la « radicalisation » des jeunes tentés par l’aventure mortifère du djihad. Autrement dit, qu’il fallait « apaiser » les musulmans en leur donnant une loi qui les protégerait de l’islamophobie.

Comme si l’islamophobie était un danger analogue au terrorisme ! Comme si l’ensemble des musulmans s’identifiait aux extrémistes islamistes !

Deuxième étape : tant qu’à légiférer contre l’islamophobie, pourquoi ne pas légiférer contre les propos qui vexeraient d’autres minorités ? Il y en a beaucoup, par les temps qui courent, et elles sont toutes promptes à voir dans la moindre critique du « dénigrement », du « mépris » ou de la « haine ». Donc, on élargit le champ des plaignants potentiels à tout le monde (sauf aux hommes blancs) : les transgenres, les vieux, les femmes, les gais, les autistes, les autochtones, les immigrants, les minorités visibles, les croyants, ainsi de suite.

Arrive ensuite dans le portrait la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, qui attendait depuis longtemps l’occasion d’étendre son champ de juridiction déjà pourtant très vaste. « Donnez-nous donc la responsabilité de séparer le bon grain de l’ivraie, de faire le tri entre les bien-pensants et les mauvais esprits ! », de suggérer métaphoriquement la Commission au gouvernement. Et ce dernier d’obtempérer.

Le projet de loi octroie à la CDPJQ des pouvoirs exorbitants : la Commission, déjà connue pour sa rectitude politique et sa culture congénitalement opposée à la liberté de penser, instituera une procédure de dénonciation et d’enquête qui échappera aux règles judiciaires normales grâce à des pouvoirs analogues à ceux d’une commission d’enquête. Tout en assurant l’anonymat des plaignants, elle pourra ordonner la cessation des discours jugés répréhensibles (par exemple, ordonner à un chroniqueur accusé d’islamophobie de cesser d’écrire sur le sujet).

Après quoi, son tribunal, déjà fameux pour ses excès de zèle, passera à l’action. Les mauvais esprits seront sujets à des amendes pouvant aller jusqu’à 20 000 $, et, au cas où leur réputation n’aurait pas été suffisamment démolie par les procédures, leur nom sera inscrit sur une liste diffusée sur internet – la liste de la honte – pour une durée déterminée par le même Tribunal.

C’est du totalitarisme pur. De quoi accabler la société d’une chape de plomb faite de censure et d’autocensure. De quoi éliminer le peu de débats et de confrontations d’idées qui subsistent au Québec.

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