Étude

La réalité des autochtones demeure incomprise au Canada

Si c’est un peu moins le cas au Québec, les droits et les difficultés des autochtones demeurent incompris par une majorité de Canadiens. Analyse d’une étude pancanadienne qui, s’appuyant sur un sondage, fait pour une rare fois le point sur nos relations.

« Malgré l’enchâssement des droits des autochtones dans la Constitution canadienne », près d’un Canadien sur deux (48 %) pense que les peuples autochtones ne sont qu’un groupe culturel ou ethnique parmi tous les autres qui se trouvent aussi au pays. Et pour 29 % des Canadiens, si les autochtones n’ont pas atteint l’égalité, c’est de leur faute.

Ce sont là quelques-uns des résultats de Vers la réconciliation, perspectives autochtones et non autochtones, une étude obtenue par La Presse et réalisée par six instituts de recherche canadiens *.

Andrew Parkin, coauteur et directeur de l’Institut Environics, relève « que les Québécois apparaissent dans l’étude comme étant les plus ouverts du pays aux autochtones ».

De fait, 49 % des Québécois croient en leurs droits particuliers, comparativement à 42 % pour l’ensemble du Canada. Par ailleurs, 83 % des Québécois non autochtones (comparativement à 75 % au pays) se disent conscients que leurs conditions de vie sont moindres.

À qui la faute ?

À ce sujet, à qui la faute, selon les Canadiens non autochtones ? Dans les provinces des Prairies, pas moins de 4 non-autochtones sur 10 disent que les autochtones en sont responsables.

Au Québec, moins d’une personne sur quatre est de cet avis. Chez les répondants du Nord – des autochtones, essentiellement –, 16 % pensent aussi que leurs peuples sont eux-mêmes en cause.

Martin Papillon, qui est professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal et qui se spécialise entre autres dans les questions autochtones, relève que l’ouverture aux autochtones est plus grande au Québec, où ils sont moins visibles. Dans les provinces où ils sont en plus grand nombre et où leur pauvreté est au contraire beaucoup plus visible au quotidien, on leur manifeste beaucoup moins de sympathie. « La Saskatchewan compte 15 % d’autochtones, qui habitent pour beaucoup dans des villes », fait-il observer.

Une réconciliation possible ?

L’étude signée par les six groupes de recherche vise en bonne partie à étudier si on se rapproche d’une réconciliation et pose une série de questions sur le sujet.

Au total, 58 % des Canadiens non autochtones sont favorables à ce que les autochtones s’autogouvernent (comme le souhaitent 69 % des autochtones). Paradoxalement, c’est beaucoup plus élevé que la proportion de Canadiens qui reconnaissent que les autochtones ont de réels droits particuliers.

Andrew Parkin, coauteur de l’étude, ne trouve pas la chose contradictoire. « Quand on pose la question en termes de droits, les gens se braquent davantage. Mais quand l’idée est soulevée en termes de décisions prises localement, cela semble faire moins peur. »

Encore ici, parmi les autochtones eux-mêmes, il n’y a pas unanimité : trois sur dix n’aspirent pas à plus d’autonomie gouvernementale.

Êtes-vous favorable à ce que des subventions suffisantes soient versées pour que les autochtones aient tous « de l’eau potable et un toit adéquat » ? Oui, disent 83 % des répondants non autochtones (11 % s’y opposant). Des subventions plus généreuses pour les écoles autochtones ? Affirmatif, disent aussi 80 % des répondants non autochtones. Pour la préservation des langues autochtones, on tombe à 65 %.

Mais là où ça se corse vraiment, « c’est quand on arrive aux questions territoriales et au partage des ressources », fait observer Andrew Parkin.

Les autochtones devraient-ils avoir « leur juste part des redevances liées au développement des ressources naturelles qui se trouvent sur leurs territoires traditionnels ? » Là, on tombe à 48 % des Canadiens non autochtones (54 % au Québec) qui sont de cet avis, alors que c’est le cas de 72 % des autochtones.

Quant à savoir s’il faut attendre le feu vert des autochtones à certains projets pétroliers ou gaziers avant de procéder, 56 % des autochtones le croient ; chez les non-autochtones, c’est très partagé, 23 % estimant qu’on peut développer sans consentement, 34 % croyant qu’il faut l’attendre et 37 % disant que cela dépend.

Tant qu’on reste au niveau du symbole, tant qu’il s’agit d’excuses officielles ou de mise en place de commissions sur les difficultés des autochtones, ça va, croit le politologue Martin Papillon.

L’enjeu délicat

Or, pour les autochtones, « ce qui est au cœur de la réconciliation, poursuit-il, c’est la restitution de terres perdues par le colonialisme. Et la vraie question, c’est celle-ci : jusqu’où les Canadiens sont-ils prêts à aller pour une vraie réconciliation ?

« Admettons que, dans un monde imaginaire, tous les autochtones étaient d’une seule voix opposés au projet Trans Mountain. Ottawa procéderait-il quand même ? »

C’est particulièrement vrai en Alberta et en Saskatchewan : dans ces deux provinces, seuls 35 % sont d’accord avec un partage juste des redevances, alors que 54 % des répondants québécois non autochtones sont de cet avis.

Andrew Parkin rappelle à ce propos que les gens de ces provinces ont été durement frappés économiquement. Il pose aussi l’hypothèse que le partage des ressources et des territoires fait peut-être un peu moins peur au Québec où des ententes – particulièrement avec les Cris – ont été conclues.

L’identité vue par les autochtones

La plupart des autochtones – trois sur quatre – se sentent à la fois autochtones et Canadiens. Peu (8 %) se disent exclusivement autochtones ou exclusivement Canadiens (14 %). Autrement, 24 % se sentent d’abord autochtones et 17 %, d’abord Canadiens.

Ce sont les Premières Nations qui, à 43 %, sont le plus susceptibles de se dire uniquement ou d’abord autochtones. À l’inverse, 48 % des Inuits et 46 % des Métis se sentent exclusivement ou surtout Canadiens.

À la question complémentaire de savoir l’importance qu’ils accordent à leur propre communauté, encore une fois, les Premières Nations y sont particulièrement attachées : 57 % disent qu’elle est pour eux très importante, alors que pour l’ensemble des autochtones, 51 % pensent de même.

Un bon bout de chemin fait

« Jusqu’à tout récemment, nous étions encore deux solitudes. Il reste bien sûr du travail à abattre, mais un bout de chemin a été fait. »

Ghislain Picard, président de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, estime que l’étude illustre bien que les relations entre autochtones et non-autochtones se sont améliorées.

Il manque certes des connaissances à de nombreux Canadiens sur les droits et réalités des autochtones, observe M. Picard. Les relations sont loin d’être parfaitement cordiales, un ressac pourrait toujours survenir, et le règlement des revendications territoriales traîne encore en longueur, souligne M. Picard.

N’empêche, de façon générale, les non-autochtones « ont une plus grande sensibilité et une meilleure connaissance de l’Histoire des autochtones ».

« Avant 1990, il était totalement tabou de parler des agressions sexuelles commises par des prêtres ou des écoles résidentielles. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus connu, des excuses ont été accordées pour certains torts, etc. »

— Ghislain Picard

Des liens s’établissent de plus en plus entre des autochtones et des municipalités, notamment en matière de développement économique et touristique, ajoute-t-il.

Mais surtout, la grande nouveauté, c’est cette « fierté retrouvée d’être huron, innu, atikamekw, cri, etc. »

Comme M. Picard, le politologue Martin Papillon croit qu’il y a amélioration. « Certains résultats de l’étude me dépriment, mais quand on se compare à l’Australie ou à la Nouvelle-Zélande, on se dit que c’est quand même moins pire ici. »

Méthodologie

Aux fins de cette recherche, un sondage d’opinion publique pancanadien a été effectué entre le 14 décembre 2018 et le 16 janvier 2019. Il a été mené en ligne (pour les provinces) et par téléphone (pour les territoires) auprès d’un échantillon de 5732 Canadiens. L’échantillon de l’enquête a été stratifié afin d’obtenir une représentation significative dans les 13 provinces et territoires, ainsi qu’avec les peuples autochtones du pays (Premières Nations, Métis et Inuits).

Note : 

* Les six instituts de recherche sont l’Environics Institute for Survey Research, le Mowat Centre, la Canada West Foundation, le Centre d’analyse politique – Constitution et fédéralisme, l’Institute for Research on Public Policy et le Brian Mulroney Institute of Government.

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