SUZANNE LAPOINTE 1934-2015

L’élégance du cœur

Suzanne Lapointe a succombé hier dans un centre de soins des Laurentides à un cancer des ganglions. Elle avait 80 ans. Elle était aussi atteinte de la maladie d’Alzheimer. Son état de santé l’a empêchée de participer en juillet au gala Juste pour rire en hommage à son vieux complice Gilles Latulippe, qui s’est éteint quelques mois avant elle, le 23 septembre dernier.

Le public se souvient surtout de la Suzanne Lapointe au rire sonore qui a animé l’émission Les démons du midi aux côtés du même Gilles Latulippe de 1987 à 1993, ou encore de celle qui a publié une douzaine de livres de cuisine pendant plus de 25 ans avant de faire équipe avec le chef Daniel Vézina à la barre d’Attention c’est chaud à Radio-Canada de 1996 à 1999.

« Suzanne était extrêmement généreuse et de bon conseil, de dire Vézina. Elle savait vraiment recevoir. Elle a été ma mentore en télé. On a voyagé ensemble à travers le Québec l’été, et c’était incroyable à quel point elle était aimée des gens. Elle avait le souci d’être unique pour tout le monde et sa cote d’amour, elle l’a construite personne par personne au fil des ans. »

Suzanne Lapointe était bon public, et plus elle riait, plus le jeune chef avait envie de faire le bouffon. Il l’a vue pour la dernière fois il y a deux ans. « Un ami qui l’a revue cet été m’a dit qu’il était préférable que je n’aille pas la voir. Vers la fin, elle ne reconnaissait pas vraiment les gens autour d’elle. Parfois, mieux vaut garder un bon souvenir d’une personne. Quand je pense à elle, je la vois encore avec son grand sourire fendu jusqu’aux oreilles. »

UNE TRÈS BONNE CHANTEUSE

C’est d’abord comme comédienne et interprète d’art lyrique que Suzanne Lapointe a entrepris sa carrière.

« C’était une très bonne chanteuse », rappelle la comédienne Janine Sutto qui la croisait sur le plateau des Démons du midi quand elle venait y parler de théâtre. « J’ai travaillé avec Suzanne, mais c’était quelqu’un qu’on a toujours connu dans la famille, poursuit Mme Sutto. C’était une femme qui aimait la vie, qui était gaie et agréable. Elle a été très bien soutenue et soignée par ses sœurs. Je m’occupe du Baluchon Alzheimer et on est allés baluchonner chez elle, il y a à peu près un an. Je rencontrais souvent deux de ses sœurs chez mon coiffeur et je leur demandais toujours des nouvelles de Suzanne. Je ne pense pas qu’elle ait été malheureuse vers la fin. »

La comédienne Béatrice Picard n’était pas une amie intime de Suzanne Lapointe, mais elle la connaissait par l’entremise d’amis communs : « Quand j’habitais dans les Laurentides, je la croisais et on se parlait comme si on était de grandes amies, même si on se connaissait peu. »

« Dans la vie de tous les jours, c’était une femme élégante, mais elle avait également l’élégance du cœur. Je ne l’ai jamais entendue parler contre quelqu’un. Au contraire, tout était toujours parfait. »

— Béatrice Picard, comédienne

DU THÉÂTRE À LA TÉLÉ

Suzanne Lapointe est née à Montréal le 16 mai 1934. Elle était la deuxième d’une famille de six enfants. Elle a entrepris ses études primaires au couvent Notre-Dame-des-Anges et ses études classiques au collège Basile-Moreau. Elle se plaisait à participer à nombre d’activités sociales organisées au collège et a même été la présidente des Jeunesses étudiantes catholiques de son établissement.

Sa tante Marthe Lapointe, qui chantait aux Variétés lyriques avec Lionel Daunais, a été son premier professeur de chant. Par la suite, elle s’est inscrite au Conservatoire de musique du Québec et elle a eu pour professeurs Jean Valcourt (mise en scène) et Sita Riddez (art dramatique).

Elle a fait ses débuts au théâtre avec la troupe de la Comédie-Française, alors en tournée en Amérique du Nord. Grâce à un contact au Conservatoire, elle a décroché un rôle dans Le bourgeois gentilhomme de Molière et a joué tant à Québec qu’à Ottawa, Toronto et même Broadway pendant deux semaines. De retour au Québec, elle a incarné Salomith dans Athalie de Racine.

Elle se fera connaître du grand public en devenant hôtesse de 1959 à 1963 du jeu-questionnaire La poule aux œufs d’or animé par Roger Baulu, le prince des annonceurs. Mais elle continuera de chanter sur scène ou dans des émissions comme L’heure du concert et Music-Hall.

En 1960, elle obtient une bourse du Conseil des arts du Canada pour aller se perfectionner en chant dans la métropole américaine. L’année suivante, elle campera pendant trois mois le rôle de madame Dubonnet dans The Boyfriend au Mountain Playhouse.

En 1963, elle passe de la télé d’État à Télé-Métropole pour coanimer avec Réal Giguère l’émission Dix sur dix. C’est également sur cette chaîne, de 1978 à 1983, qu’elle tient la barre du magazine féminin Votre amie Suzanne.

Dans les années 70, elle est présente à la télé et à la radio, en plus de donner des cours privés de chant et de monter sur les planches du Théâtre des variétés de la rue Papineau.

LES DÉMONS DU MIDI

Sa participation marquante aux Démons du midi tient un peu du hasard. Après le téléroman Poivre et sel, Gilles Latulippe devait enchaîner avec L’auberge Inn, qui ne put être réalisé en raison de la maladie de son auteur Gilles Richer. Comme Latulippe était sous contrat, on lui proposa une émission de variétés qui serait diffusée sur l’heure du midi.

Les démons du midi démarrait invariablement par un sketch où Latulippe prenait un malin plaisir à faire hurler de rire sa partenaire, à qui il jouait des tours pendables. Les démons du midi, qui ne devait durer qu’une saison, a tenu l’antenne le temps de plus de mille émissions.

Interrogée sur sa recette du bonheur, Suzanne Lapointe a déjà répondu : « Nous sommes une famille de rieurs, on ne dramatise pas. » Pourtant, les épreuves ne l’ont pas épargnée, du décès de son mari Pierre Larin au cancer du sein qu’elle a dû combattre. Le ministère québécois de la Santé a fait d’elle la porte-parole d’une campagne de prévention de ce type de cancer.

Ces dernières années, elle s’est accordé une douce retraite à la campagne, entourée par sa famille. En 2008, elle a reçu l’Ordre du Canada des mains de la gouverneure générale Michaëlle Jean.

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