PERSONNALITÉS DE L'ANNÉE

LE MIRACLE D’UNE MOLÉCULE

Assis devant l’immense écran de son ordinateur, Guy Sauvageau tentait de retrouver l’image de la célèbre et miraculeuse molécule découverte par son équipe cet automne : la UM 171, qui permet de multiplier le nombre de cellules souches contenues dans le sang des cordons ombilicaux.

Voyant que Guy Sauvageau fouillait en vain les entrailles de son ordinateur, et sachant que ce médecin chercheur, père de trois filles, qui pratique encore une greffe par semaine à Maisonneuve– Rosemont, était pourvu d’un bon sens de l’humour, je me suis gentiment payé sa tête.

« À quoi ça vous sert d’être un chercheur émérite bardé de doctorats si vous ne vous y retrouvez pas dans vos courriels ? », ai-je blagué. Guy Sauvageau m’a alors indiqué le chiffre 10 886 au sommet de sa page web. « Ça, m’a-t-il lancé, c’est le nombre de courriels non lus que j’ai dans mon ordi. J’en reçois entre 300 et 400 par jour et croyez-moi, ce ne sont pas des publicités ! Demandez-vous pas pourquoi j’ai les cheveux tout gris ! »

L’espace d’un instant, au milieu de son bureau meublé sommairement de trois écrans d’ordinateurs, d’un frigo et de plusieurs agrandissements de photos de baleines, ses mammifères préférés, j’ai saisi toute l’importance de Guy Sauvageau et de l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie (IRIC) qu’il a cofondé il y a 13 ans et dirigé pendant autant d’années.

J’ai surtout compris que malgré son sens de l’humour et ses dehors cool et écolo, ce scientifique de 52 ans qui a grandi a Fabreville et dont le père était fabricant de la litière pour chats Solar, est avant tout une sommité mondiale de la recherche scientifique, pour ne pas dire, un trésor national.

On peut sans doute se moquer gentiment du cycliste intégriste qui se déplace uniquement en vélo même en pleine tempête, du gars qui tout petit démontait tout ce qui lui tombait sous la main chez ses parents ou du crâneur qui affirme qu’il y a deux types de scientifiques, ceux qui vont à la télé et ceux qui travaillent.

On peut se moquer de bien des choses, mais pas de ses méthodes de travail ni de son sens de l’organisation. Que non !

Pour accélérer les choses, il a fini par appeler une collègue qui lui a immédiatement envoyé l’image de la molécule. Guy Sauvageau m’avait prévenue, mais c’était plus fort que nous. En voyant apparaître à l’écran, la molécule dans toute sa splendeur virtuelle, nous avons explosé de rire. Et pour cause !

La molécule ressemble à s’y méprendre à un immense pénis en latex ou à une palourde royale. C’est fou, mais c’est la pure vérité et Guy Sauvageau en est le premier à en rire. Ce qui n’empêche pas que d’ici peu cette molécule unique va révolutionner le traitement des maladies du sang et notamment la leucémie. Des tests sur les humains seront entrepris en avril et devraient mener à des résultats positifs. Ce sera un grand pas pour l’immunologie, mais aussi pour l’Institut de recherche dont Guy Sauvageau est particulièrement fier.

Bien que je n’y connaisse rien, une chose en science m’a toujours intriguée : à qui appartiennent les découvertes? Autrement dit, si Guy Sauvageau est le visage officiel qu’on récompense et qu’on couvre de prix, est-il pour autant l’auteur ou même le réalisateur de la UM171 ? Cette analogie avec le cinéma l’a fait sourire.

« Oui on peut dire que je suis le réalisateur de la molécule. C’est moi aussi qui ai écrit le scénario et qui ai donné les directives pour réaliser la recherche. Les chimistes sont alors entrés en scène. Ce sont eux qui ont développé artificiellement les 5000 molécules en labo. »

— Guy Sauvageau

« Mais avant ça, il y a ceux qui ont conçu des instruments d’analyse d’une précision incroyable nous permettant d’identifier les molécules », dit Guy Sauvageau.

« Plein d’autres experts et expertises ont joué un rôle primordial dans la recherche et finalement, les molécules se sont retrouvées sous le microscope de mes chercheurs qui les ont testées à ma demande. C’est à ce moment-là qu’ils ont découvert qu’il y avait une molécule parmi les 5000, conçue pour tout autre chose, mais qui réussissait à multiplier les cellules souches des cordons. C’était énorme comme découverte dans la mesure où un cordon ombilical de nouveau-né ne fournit que 6 % du sang nécessaire pour soigner un adulte atteint de leucémie. Or il en en faut, des cordons, pour un traitement et il n’y en a pas assez. La molécule vient pallier ce manque. »

Ce dont Guy Sauvageau est particulièrement fier c’est que l’IRIC est le seul au monde à détenir cette molécule. C’est dire que son vieux rêve de bâtir un institut de recherche multidisciplinaire qui ne se consacrerait qu’à une seule maladie, a porté ses fruits. Et plus tôt que prévu.

Guy Sauvageau a déjà promis de manière totalement imprudente que le jour où il ferait une grande découverte scientifique, il abandonnerait la science pour se pousser avec son vélo. Il reconnaît que ce jour-là est arrivé plus vite que prévu et qu’en fin de compte, il lui reste encore beaucoup de ficelles à attacher et de recherches à réaliser avant d’abandonner la science. Autant dire que la science s’en réjouit. Et nous aussi.

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