Aide médicale à mourir

Vers la création d’une commission « Mourir dans la dignité » 2.0

Québec — Une commission « Mourir dans la dignité » 2.0 prend forme. Avec l’appui de l’opposition, le gouvernement Legault a annoncé la tenue d’une consultation publique transpartisane au cours de la prochaine année sur un élargissement éventuel de l’accès à l’aide médicale à mourir.

« Nous entendons le cri du cœur de nombreux Québécois qui souffrent et qui réclament un élargissement. La société québécoise évolue sur cette question [épineuse], et nous avons le devoir moral d’y répondre tous ensemble », a affirmé la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, en compagnie de députés des trois partis de l’opposition – André Fortin, du Parti libéral, Sol Zanetti, de Québec solidaire, et Véronique Hivon, du Parti québécois.

Danielle McCann a rendu public vendredi le rapport d’un groupe d’experts qui recommande de permettre d’abréger les souffrances des personnes devenues inaptes, comme celles ayant l’alzheimer, lorsqu’elles ont préalablement exprimé leur volonté en ce sens. La Presse avait révélé les conclusions du rapport en juin.

« Ce rapport ouvre la voie à un élargissement intelligent de la loi, qui ferait du Québec le chef de file mondial en matière de soins de fin de vie. C’est extrêmement innovateur », souligne le Dr Pierre Viens, qui a administré lui-même l’aide médicale à mourir à 94 patients et qui réclamait de tels changements.

« Vivre avec l’alzheimer, c’est une vie d’enfer », insiste-t-il.

En 2020

Ce « rapport très attendu » est « la première étape d’un processus de réflexion important », a indiqué Mme McCann. Avec les partis de l’opposition, « nous discutons déjà tous ensemble de la manière de faire cette consultation et du moment pour la faire ». Il est acquis que ce sera au cours de la prochaine année. 

La ministre n’a pas pris l’engagement d’adopter une loi pour élargir l’accès aux personnes inaptes d’ici la fin du mandat, plaidant que la consultation devait avoir lieu avant de parler de la suite des choses. Selon elle, « sur le principe, il y a une ouverture de la population, importante », à un élargissement, mais « il faut regarder vraiment toutes les conditions qui l’entourent ».

Marraine de la Loi concernant les soins de fin de vie, Véronique Hivon signale d’ailleurs que, « quand on regarde ça de l’extérieur, ça a l’air de quelque chose d’évident », mais qu’il y a une « complexité dans l’application d’une telle ouverture ». Néanmoins, « la population nous demande ce débat-là, et c’est notre responsabilité d’engager ce débat avec la plus grande ouverture et sensibilité possible ».

Pas d’aide à mourir sans diagnostic

Le groupe d’experts propose « de reconnaître et de rendre possible la formulation d’une demande anticipée d’aide médicale à mourir en prévision de l’inaptitude à consentir à ce soin », sous condition. Il faudrait avoir obtenu le diagnostic d’une maladie grave et incurable avant de pouvoir faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir. On ne pourrait pas la faire alors que l’on est en parfaite santé.

Une personne victime d’un accident vasculaire cérébral de façon tout à fait inattendue causant des séquelles irréversibles et l’inaptitude ne pourrait recevoir l’aide médicale à mourir. Car, sans diagnostic particulier, elle n’aurait jamais pu faire une demande au préalable, alors qu’elle avait toute sa tête.

Le groupe d’experts est présidé par Me Nicole Filion, directrice générale des affaires juridiques du Curateur public du Québec, et Jocelyn Maclure, de la Commission de l’éthique en science et en technologie du Québec.

Il compte une dizaine de membres, notamment des représentants du monde juridique et du milieu de la santé ainsi que des patients.

Rappelons qu’en vertu d’une loi adoptée en 2014 à la suite des travaux de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, seule une personne apte à donner son consentement, qui a une maladie incurable et est en fin de vie peut obtenir l’aide médicale à mourir. Une personne souffrant d’alzheimer ou de démence qui se retrouve dans la même situation ne peut l’obtenir parce qu’elle est inapte à exprimer son consentement.

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec s’est engagée à tenir des consultations publiques pour qu’une personne puisse faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir au cas où, un jour, elle deviendrait inconsciente de façon irréversible.

La fin du critère de « fin de vie »

Les tribunaux ont bousculé son plan d’action depuis. Au début d’octobre, le gouvernement Legault a annoncé qu’il n’interjettera pas appel d’un jugement récent invalidant une disposition de la loi québécoise qui restreint l’accès à l’aide médicale à mourir. 

Selon une décision de la Cour supérieure du Québec, les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, qui ont de grandes souffrances physiques ou psychologiques et dont le déclin des capacités est avancé, doivent avoir accès à l’aide médicale à mourir même si elles ne sont pas « en fin de vie », l’une des conditions prévues à la loi québécoise qui faisait l’objet de la contestation.

La juge Christine Baudouin a invalidé cette restriction, comme le critère de la loi fédérale exigeant que la mort du patient soit « raisonnablement prévisible ». Elle a déclaré les deux lois inconstitutionnelles sans « aucune hésitation ».

Me Jean-Pierre Ménard, qui a représenté Nicole Gladu et Jean Truchon dans leur combat judiciaire pour avoir accès à l’aide médicale à mourir même s’ils n’étaient pas en fin de vie, se réjouit de la réflexion entamée. 

Par contre, le consentement donné à l’avance est problématique, selon lui. « C’est peut-être le principal défaut que je trouve à tout ça », dit l’avocat en droit médical. « La loi prévoit qu’il faut être apte jusqu’à la fin. C’est une décision très personnelle, et les gens peuvent changer d’idée. » Il estime qu’« un certain nombre » de personnes qui demandent l’aide à mourir changent d’avis quand vient le temps d’exécuter l’acte. Or, une personne aux prises avec la démence, par exemple, perdrait ce choix.

Il y voit aussi un problème pour les médecins. « Est-ce qu’ils vont être aussi à l’aise avec quelqu’un s’ils ne sont pas sûrs de son accord ? », se demande-t-il, ajoutant que le médecin ne pourra pas discuter avec le patient inapte à donner son consentement.

Il souhaite maintenant « une bonne consultation », où le sujet pourra être débattu « comme il faut ».

Législation fédérale

Vendredi, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a indiqué qu’il allait adapter la législation fédérale à la suite du jugement, répétant ce qu’il avait affirmé en campagne électorale. « Nous continuerons de travailler avec tous les partenaires pour trouver le bon équilibre qui respecte les droits des Canadiens, tout en veillant à ce que les plus vulnérables soient protégés. Nous allons prendre le temps d’examiner attentivement le rapport du groupe d’experts du Québec et ses conclusions », a-t-il fait savoir, dans une déclaration transmise par son attachée de presse.

Le groupe d’experts recommande dans son rapport, comme l’a relevé La Presse en juin, « que le critère de fin de vie soit remplacé par la notion de trajectoire de fin de vie pour laquelle la mort est raisonnablement prévisible, sans nécessité d’établir un délai précis quant à l’espérance de vie ». 

Son rapport a toutefois été écrit avant le jugement. Les deux coprésidents ignorent ainsi si leur recommandation passerait le test des tribunaux. Ils n’avaient pas non plus le mandat de trancher s’il faudrait que le fédéral modifie le Code criminel au préalable pour que le Québec puisse mettre en œuvre leur recommandation portant sur les personnes inaptes.

Québec doit remplacer ou abolir purement et simplement le critère de « fin de vie » d’ici le 11 mars 2020, comme le demande le jugement. Il pourrait toutefois demander un délai.

Selon le Dr Pierre Viens, les élus doivent absolument agir pour retirer le critère de « fin de vie » avant la date butoir. « Si le gouvernement demandait un délai pour colmater ce trou dans la loi, ça aurait une incidence sur des centaines de patients qui souffrent et attendent de pouvoir recevoir l’aide médicale à mourir », souligne-t-il.

— Avec Isabelle Ducas, Janie Gosselin et Fanny Lévesque, La Presse

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