Boxe

Un café avec Régis

Un vendredi gris, à 10 h. Appeler Régis Lévesque à la maison pour lui proposer d’aller prendre un café. Laisser sonner jusqu’à ce que le répondeur se déclenche. La voix au bout est éraillée. On est à la bonne place.

Ne pas laisser de message. Appeler au Beaubien Déli, son repaire. Une serveuse répond.

« Bonjour, madame. Est-ce que Régis est là, par hasard ?

— Ha, ha ! Régis n’est probablement pas levé à cette heure-ci ! Rappelez plus tard. »

Plus tard, vers 11 h 30, Régis répond. Un café au Déli cet après-midi ? D’accord, pourquoi pas, qu’il répond. On lui dit qu’on veut parler de la vie, de la boxe. « On parle pas de boxe. Y a pus de boxe à Montréal, tabar... »

On est à la bonne place.

Au Beaubien Déli, Régis est assis au comptoir. Il porte une veste de cuir ingénieuse : il peut insérer son briquet dans une petite poche directement sur sa manche. Ce qui est bien pratique pour ce fumeur invétéré.

Il commande un café. La serveuse le lui apporte sans même lui demander ce qu’il met dedans. La crème est déjà là. « Ça fait 35 ans que je viens ici », qu’il dit.

Le célèbre promoteur de boxe, qui a fait la pluie et le beau temps pendant 30 ans à Montréal, a fêté ses 80 ans en juillet. Comment va la santé ? « Médium », dit-il.

Il a subi une opération au cœur en 2012. Il a perdu 40 lb. « Asteure, je pèse 138 lb, le même poids qu’une femme », lance-t-il en ponctuant sa réponse d’un sacre, comme presque toutes ses phrases.

Régis Lévesque a organisé son dernier combat en 2007, entre Dave Hilton et Adam Green. Un fiasco. Il est encore amer. « C’est parce que les journalistes avaient boycotté. »

Depuis, il vit de sa pension de vieillesse, non loin d’ici, dans un appartement près de la rue Beaubien et du boulevard Pie-IX. « De nos jours, avec la pension, on arrive pas. C’est dur. »

Régis Lévesque en a pourtant fait, de l’argent. Mais il l’a dilapidé dans les courses de chevaux et au casino. Il a aussi perdu sa maison et son restaurant – le Régis Steakhouse – dans l’organisation d’un combat entre Robert Cléroux et Joe Frazier. L’évènement devait avoir lieu à bord d’un avion parce que le gouvernement était résolu à empêcher Cléroux, alors âgé de 46 ans, de monter sur un ring. Mais il n’a jamais eu lieu. Lévesque a tout perdu.

Il ne voulait pas parler de boxe, mais finalement, il ne parle que de ça. « De quoi tu veux que je te parle d’autre ? Je sors plus nulle part. Je viens ici, je reste chez nous ! »

« Et vous faites quoi chez vous ? Vous regardez la télé ? Vous lisez ?

— Ouais. »

De ce temps-ci, l’idée de Lévesque, c’est un dernier combat. Un « gros » combat, histoire de se refaire.

« La semaine dernière, j’ai offert 40 000 $ à Dave Hilton pour un combat contre Joe Gatti. Mais Dave n’a pas voulu. Les autres boxeurs en ville se battent pour 10 000 $. Mais lui, il veut pas. Il a peur de pas gagner, de manquer de gaz dans les derniers rounds. Il a peur de faire honte à la famille. »

Régis est pessimiste pour la boxe au Québec, n’a pas de mots tendres pour Yvon Michel et Jean Bédard. 

« Depuis que je suis arrivé à Montréal, en 1959, la boxe n’a jamais été mal de même. Nos boxeurs vont se battre dans d’autres pays, asteure. La boxe est à terre. »

— Régis Lévesque

Remarquez que ce discours n’est pas nouveau. Lévesque répète depuis des années à qui veut l’entendre qu’il est le seul à pouvoir ramener la boxe à ses beaux jours.

« Ça fait assez longtemps que la boxe est menée par des RinTinTin qui n’y connaissent rien et qui prennent les amateurs pour des caves, on va mettre un peu d’action là-dedans, disait-il dans La Presse… en 1995. Finies, les soirées à 50 $ pour un combat entre Marie-Antoinette et la Belle au bois dormant. Il va y avoir de l’action, les gens vont recommencer à parler de boxe. »

Mais aujourd’hui plus encore qu’en 1995, personne ne l’écoute vraiment. Ça ne le décourage pas. Il se dit que si Dave Hilton pouvait retrouver le feu, ou que si un jeune « prospect » pouvait signer avec lui, mais pas n’importe lequel, un comme Eddie Melo, un capable de vendre 12 000 billets, un qui a du chien, et surtout, surtout pas une Marie-Antoinette...

Il se dit que si ça arrivait, ce serait quelque chose de spectaculaire. « Un dernier. Me semble que ce serait une belle façon de finir tout ça, un dernier combat. »

L’entrevue se termine. Régis reste au Beaubien Déli encore un peu. Il connaît tout le monde ici. En plus, il a l’œil sur le sandwich au smoked meat. Refaire le monde, ça creuse l’appétit.

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