Chronique

Quatre mythes sur les impôts de Carey Price

À voir vos réactions au sujet du contrat de Carey Price, chers lecteurs, je constate à quel point plusieurs croient qu’il est facile pour les riches d’éviter les impôts. Que le phénomène est simple et généralisé.

La réalité est beaucoup plus complexe. Voici donc quatre mythes qui circulent sur les impôts du célèbre gardien de but du Canadien, qui vient de signer un contrat de 10,5 millions US par année.

Il paie ses impôts en Colombie-Britannique.

Les contribuables paient leurs impôts selon leur lieu de résidence. Or, bien des gens croient que Price n’a qu’à déclarer que sa résidence principale au 31 décembre est en Colombie-Britannique, où il passe ses étés, pour éviter l’impôt au Québec. Le taux d’imposition maximal en Colombie-Britannique est de 47,7 %, contre 53,3 % au Québec.

Rien n’est plus improbable. En fiscalité, le lieu de résidence est une question de faits, pas de déclaration. Il ne suffit pas à un contribuable de déclarer que sa résidence est en Colombie-Britannique pour payer moins d’impôts, il doit le prouver.

Le fisc s’en remet à divers éléments clés. Par exemple, où le contribuable a-t-il son principal compte de banque, son permis de conduire, sa carte d’assurance maladie ? Où sa femme et ses enfants vivent-ils ? 

« Le fisc suit l’actualité. Carey Price étant une personnalité publique, il lui est difficile de cacher où il réside réellement. »

— Le fiscaliste Jean-François Thuot, de PwC

Les fans du gardien savent qu’il vit à Candiac, sur la Rive-Sud, avec sa femme et sa fille.

En tant qu’autochtone, il ne paie pas d’impôts.

Carey Price a grandi dans une réserve près d’Anahim Lake, en Colombie-Britannique, où sa mère a même été chef du conseil de bande des Ulkatchos. Ce faisant, certains croient que son statut d’autochtone lui permet de ne pas payer d’impôts.

Ce n’est aucunement le cas. L’exemption fiscale possible découle de la Loi sur les Indiens de 1985. Or, en vertu de cette loi et compte tenu de la jurisprudence, un Indien doit payer ses impôts comme tout autre contribuable s’il ne réside pas dans une réserve ou s’il ne travaille pas pour un employeur d’une réserve, essentiellement (note A).

Comme la résidence de Carey Price est à Candiac, le gardien du Tricolore doit payer ses impôts comme les autres.

Il peut reporter les impôts sur son salaire.

Autre mythe : les gens croient qu’un joueur de hockey canadien peut reporter les impôts sur son salaire en le faisant verser dans une entreprise incorporée. C’est faux.

Les 10,5 millions annuels que touchera Price lui seront versés personnellement par le Canadien et imposés comme un revenu d’emploi, essentiellement au taux marginal maximum de 53,3 % au Québec.

Oui mais, disent les sceptiques, 70 des 84 millions de son contrat de huit ans lui seront versés en bonis, et l’impôt sur cette grosse part peut être versé dans une entreprise et reporté. Encore faux, me certifie Jeffrey Steinberg, comptable pour des athlètes professionnels de la firme Crowe Soberman, de Toronto. Nul doute que ces bonis annuels seront imposés comme un salaire, dit-il.

À ce sujet, le fiscaliste Jean-François Thuot précise que si jamais cela se produisait, le fisc imposerait les revenus au taux combiné de… 66,8 %, ce qui a un fort effet dissuasif.

Selon certains médias, le contrat de Carey Price est plutôt structuré pour lui permettre de toucher les 70 millions même advenant un lock-out, une disposition qui n’a rien à voir avec le fisc.

Cela dit, les joueurs de hockey peuvent faire verser dans une entreprise leurs revenus tirés de publicités et de commandites. Et oui, dans ce cas, l’impôt peut être reporté dans le temps ou fractionné avec des membres de la famille moyennant l’utilisation d’une fiducie, par exemple, comme c’est le cas pour tout entrepreneur.

Attention, toutefois, si Price était éventuellement échangé à une équipe américaine et devenait résidant des États-Unis, il y aurait vente présumée d’une telle entreprise aux fins fiscales et s’ensuivrait une lourde facture d’impôts, qui lui ferait perdre ses avantages.

Il peut bénéficier d’un genre de gros REER pour riches.

Dernier mythe : Carey Price serait gagnant s’il se constituait une « convention de retraite » et y faisait verser une part de son salaire pour le toucher plutôt à la retraite, économisant ainsi de l’impôt.

Le hic, c’est que le fisc retient alors immédiatement 50 % des fonds versés, ce qui est semblable au taux d’imposition de 53,3 % du Québec. L’écart de 3 points n’est pas suffisant pour être rentable, compte tenu des coûts, me dit M. Steinberg, qui ne le recommande pas à ses clients canadiens.

Ce stratagème complexe peut parfois être intéressant pour des joueurs européens qui, au terme de leur carrière, prévoient retourner dans leur pays. En devenant non-résidant canadien, la convention fiscale entre leur pays et le Canada pourrait possiblement leur permettre d’économiser une dizaine de points d’impôts, par exemple.

Je n’ai pas accès à la déclaration de revenus de Carey Price. Je ne sais pas, par exemple, s’il a réclamé des déductions pour des dons ou pour d’autres fins qui viendraient réduire ses impôts.

Néanmoins, les rumeurs simplistes au sujet de sa facture fiscale sont très peu probables. Le fisc n’est pas nono et il a les dents très longues.

Au bout du compte, sans déductions particulières, Price paiera environ 2,7 millions d’impôts sur son salaire au Québec, d’une part, et environ 2,8 millions partagés entre le gouvernement fédéral canadien et les États américains où Price jouera des matchs, d’autre part.

Note A : À ce sujet, il faut lire le texte de Pierre Brosseau, fiscaliste de Raymond Chabot Grant Thornton, paru dans la revue Stratège de mars 2016.

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