Opinion Jean-Pierre Aubry 

Oui à l’audace, mais non à la témérité 

Dans son discours inaugural à l’Assemblée nationale, François Legault nous informait que lui et son gouvernement planifient de changer « la façon de faire au ministère de l’Économie et chez Investissement Québec ». Selon lui, « il va falloir faire preuve de beaucoup plus d’audace ». C’est le même message qu’il a véhiculé durant la campagne électorale.

En plus de vouloir alléger la bureaucratie et la fiscalité des entreprises, il veut que son gouvernement aide directement beaucoup plus les entrepreneurs qui ont des projets d’investissement : « Sortez les projets de vos tiroirs et venez nous voir. On va vous aider à les réaliser. C’est le temps d’investir ! »

M. Legault désire donc que le gouvernement du Québec soit, dans ce domaine, encore plus proactif et plus entreprenant qu’il ne l’a été. Cela suggère que le gouvernement serait prêt à prendre plus de risques dans les activités gouvernementales reliées au financement de projets lancés par des entreprises du secteur privé.

Ces intentions sont annoncées à un moment où plusieurs s’interrogent sur le rendement financier et social de l’appui de nos gouvernements à Bombardier et aux grandes entreprises nord-américaines dans le secteur de l’assemblage d’automobiles. Ces grandes entreprises demandent une aide sous forme de subventions, de prêts et de protection de leur part de marché, non seulement de façon occasionnelle (par exemple, pour faire face à une récession majeure), mais de plus en plus sur une base régulière.

Voici un extrait d’une réponse donnée par le président de Fiat Chrysler à des journalistes de Toledo, en Ohio, en 2014 et relayée par Radio-Canada : « Si vous voulez vous aussi qu’on modernise votre usine, il faudra que les gouvernements nous aident comme ailleurs dans le monde afin d’alléger nos coûts de production. »

Ces derniers jours, on a beaucoup parlé des difficultés de Bombardier à décrocher de nouveaux contrats, même ici, au Québec et en Ontario, sur sa « propre glace » où cette entreprise devrait avoir un avantage comparatif sur ses concurrents. Cette situation entraîne des difficultés financières, la mise en place de mesures pour accroître sa productivité et une performance de l’emploi bien inférieure aux attentes. Pour les gouvernements qui ont procuré à Bombardier un appui important et continuel depuis des années, cela signifie non seulement un rendement financier et social moindre, mais aussi une crainte de plus en plus grande que cette dépendance aux fonds publics ne se poursuive.

Un des dangers d’avoir un gouvernement qui est très prompt à aider mille et une entreprises est que les dirigeants de ces dernières ont tout intérêt à faire la queue à la porte des ministres pour quémander de l’aide.

Pire, certaine d’entre elles, notamment les plus grosses, vont se lancer dans des projets plus risqués, sachant que le gouvernement sera là pour les couvrir en cas de problèmes. Le gouvernement hésitera davantage à fermer le robinet de subventions explicites et implicites plus le projet est gros et plus les dépenses déjà faites sont importantes. C’est le problème de l’aléa moral et du « too big too fail ».

Le fait d’offrir un important appui financier aux entreprises est davantage approprié lorsqu’il y a beaucoup de chômage à la suite d’une croissance relativement élevée du bassin de travailleurs ou lorsque les conditions économiques sont incertaines faisant en sorte que les institutions financières hésitent à financer de nouveaux projets privés d’investissement. La situation présente et celle qui est prévue à moyen terme sont très différentes. Le taux de chômage est à un niveau historiquement bas. De plus, le taux de postes vacants est très élevé. Dans un tel environnement, il est fort possible qu’une bonne partie des gains d’emplois générés par un projet appuyé par le gouvernement implique une perte d’emplois pour d’autres entreprises. Par le passé, on a même vu des cas où des subventions ont permis à la fois la création d’emplois dans une région et la perte d’emplois non subventionnés dans une autre région.

Ce que je viens de décrire devrait inciter le gouvernement à une certaine prudence. Il lui faudra en fait analyser plus attentivement les demandes d’aide de la part des entrepreneurs. Il devra même être plus sélectif que par le passé.

En fait, tout cela milite en faveur de mettre la priorité sur des mesures pour créer pour l’ensemble des entreprises de meilleures conditions d’investissement et d’opération plutôt que sur l’aide financière, offerte sur la base du cas par cas.

Les politiques qui visent à bien former la main-d’œuvre et à accroître le bassin de travailleurs sont également les bienvenues. Oui, on peut se permettre plus d’audace dans ces trois domaines.

À l’exception de plans d’investissement bien pensés et bien ciblés dans certains secteurs clés, ce n’est pas le temps de prendre plus de risques avec l’argent des contribuables. Non à la témérité tous azimuts dans le domaine de l’aide au financement d’entreprises privées.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.