Grande enquête Recherche médicale

Des psychiatres QUI NE DISENT PAS TOUT

Deux psychiatres affiliés à l’Université McGill ont convaincu des jeunes fragiles de tester l’efficacité d’un nouvel antipsychotique, sans leur révéler qu’ils travaillaient en parallèle pour ses fabricants. Ils leur ont aussi indiqué – à tort – qu’ils ne risquaient guère de prendre du poids. L’Institut universitaire en santé mentale Douglas promet que cela ne se reproduira plus.

UNE ENQUÊTE DE MARIE-CLAUDE MALBOEUF

« Un conflit d’intérêts financier flagrant »

Pendant sept ans, rien n’a filtré. Les 73 jeunes montréalais recrutés pour tester un nouvel antipsychotique n’ont rien su. Ni l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, où s’est déroulée l’étude de 2010 à 2014. Ni même la revue scientifique l’ayant publiée.

Deux professeurs de psychiatrie renommés, Ashok Malla et Ridha Joober, n’ont pas divulgué le fait qu’ils travaillaient en parallèle pour les fabricants du médicament qu’ils évaluaient, en leur servant de conférenciers et de consultants.

Les deux chercheurs, affiliés à l’Université McGill, ont refusé d’accorder une entrevue à ce sujet ou de préciser combien ils ont touché pour ces services, souvent très lucratifs.

Aux États-Unis, certaines collaborations du genre sont interdites ou officiellement réprouvées dans plus de la moitié des facultés de médecine. Au Québec, le Code de déontologie des médecins et les fonds de recherche exigent à tout le moins qu’elles soient dévoilées au comité d’éthique de l’établissement, afin que la situation puisse être « gérée », pour le bien des participants aux études.

Après s’être rétabli, un patient a découvert que les Drs Malla et Joober n’avaient rien dit et a porté plainte. Le jeune homme (que nous avons retracé, mais dont nous taisons l’identité pour protéger la confidentialité de son dossier médical) ajoute dans sa plainte que les deux psychiatres ont « induit les patients en erreur » au sujet du gain de poids associé à l’antipsychotique aripiprazole, commercialisé sous le nom Abilify par Bristol-Myers Squibb (BMS) et Otsuka.

Le formulaire de consentement – dont La Presse a obtenu une copie – indiquait que ce médicament était « associé à un gain de poids minime voire nul ». Cette affirmation contredisait les résultats d’au moins deux études antérieures. Elle s’est aussi avérée fausse pour près de la moitié des participants enrôlés à Montréal, qui ont pris beaucoup de poids (voir onglet 3).

« Dissimulation », « violation majeure du consentement éclairé », « faux prétexte », accuse le plaignant dans de nombreuses lettres envoyées depuis juillet au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, qui chapeaute l’Institut Douglas.

« Cela ne se reproduira plus. […] Suite à la plainte, on a mis des filets de sécurité de plus pour protéger les patients », a affirmé en entrevue la Dre Willine Rozefort, adjointe à la direction des services professionnels au CIUSSS. Depuis janvier, le formulaire de soumission et d’autres documents liés aux projets de recherche enjoignent explicitement les chercheurs à déclarer toute rémunération et subvention « de quelque nature que ce soit », même si elle ne concerne pas spécifiquement la molécule étudiée, dit-elle.

Le médecin examinateur du CIUSSS a recommandé ces ajustements dès octobre, pour que les chercheurs * « soient en entière conformité avec [leurs] obligations déontologiques ». Il estime toutefois qu’ils ne se sont pas montrés biaisés. Et qu’ils n’ont pas violé les directives de leur comité d’éthique, puisque le libellé de l’ancien formulaire de soumission prêtait à confusion.

Pour l’ensemble des experts consultés par La Presse, l’excuse n’est pas valable (voir le texte « Inacceptable, selon les experts »). « C’est un conflit d’intérêts financier flagrant. Ce genre de cas s’est tellement retrouvé sous la loupe que les chercheurs ne pouvaient ignorer que les risques étaient majeurs. On devrait être très inquiet du fait que les participants n’aient pas été mis au courant », lance le professeur Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique à l’Université de Montréal.

« Ne pas intervenir dans un cas aussi problématique, c’est inadmissible. Ça met en péril la confiance à l’égard de la médecine. »

— Bryn Williams-Jones

Aux États-Unis et en Ontario, d’autres chercheurs en psychiatrie ont fait les manchettes pour des omissions semblables. Malgré tout, celles-ci demeurent peut-être courantes au Québec – du moins, d’après l’expérience du coordonnateur au comité d’éthique de la recherche de l’Institut Douglas, Jean Poupart. « Je n’ai jamais vu un chercheur déclarer qu’il recevait des sommes pour donner des conférences. Ni ici ni ailleurs », dit-il.

Des chercheurs en vue Les Drs Malla et Joober sont parmi les chercheurs les plus en vue à l’Institut Douglas. Le premier détient une chaire de recherche, a été primé et a décroché une subvention de 25 millions de dollars pour un programme de recherche pancanadien sur la santé mentale des adolescents. Le second siège au conseil d’administration du centre de recherche et est éditeur en chef d’une revue psychiatrique.

Au moment de l’étude, de 2010 à 2014, les deux hommes dirigeaient ensemble le Programme d’évaluation, d’intervention et de prévention des psychoses (PEPP-Montréal), fondé par le Dr Malla pour mieux soigner les 14-35 ans confrontés à leur premier épisode psychotique. C’est là qu’ont été admis, puis recrutés 73 jeunes atteints de schizophrénie, de troubles bipolaires ou – comme le plaignant – de dépression accompagnée de symptômes psychotiques.

Tous se sont vus offrir Abilify « comme traitement de premier choix » (ou en remplacement d’un autre) dès leur entrée au programme, et ont été enrôlés « peu après », indique l’article qui rapporte les résultats de l’étude.

Le plaignant, lui-même chercheur, a mis quatre ans à découvrir les nombreux liens unissant les dirigeants du programme aux fabricants d’Abilify. Des déclarations éparpillées dans une demi-douzaine d’articles scientifiques – publiés avant, pendant et après la fin de l’étude – révèlent qu’ils ont joué de nombreux rôles pour le bénéfice de BSM et Otsuka, en devenant membres de leurs bureaux de conférenciers et de leurs conseils consultatifs. D’autres psychiatres du PEPP faisaient de même, y compris celle qui a traité le plaignant.

Grâce à une loi américaine – qui force l’industrie à divulguer les sommes versées à chaque médecin–, on sait que ce genre de collaborations permet à certains habitués d’empocher des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars par année.

Le bien des patients

Le Code de déontologie des médecins exige la divulgation de « tout conflit d’intérêts réel, apparent ou éventuel ». Cela inclut les liens financiers avec l’industrie, précise le président du Collège des médecins, le Dr Charles Bernard, qui ne peut toutefois se prononcer sur ce cas particulier (dont n’a par ailleurs pas été saisi le syndic).

« Il faut être certain que la décision d’amener et de garder les patients dans l’étude est prise pour leur bien », explique le professeur Williams-Jones.

« S’il est proche de l’industrie, même un médecin intègre peut inconsciemment être plus attentif aux effets positifs d’un médicament qu’à ses effets indésirables. Au pire, il pourrait vouloir garder un patient dans l’étude alors que le médicament le rend malade. »

— Bryn Williams-Jones

Le silence des Drs Malla et Joober ne prouve en rien que les patients n’ont pas été bien soignés, mais le comité d’éthique n’a pas pu en avoir la garantie, n’ayant pas pu analyser la situation, précise le bioéthicien. En psychiatrie, cette analyse est complexe, puisque les diagnostics sont plus incertains, que les médicaments ont des effets secondaires majeurs, que les patients sont très vulnérables et réagissent très différemment aux mêmes remèdes. « C’est un domaine hyperproblématique avec énormément d’argent en jeu », dit-il.

De mauvaises surprises

Comme la plupart de leurs confrères s’adonnant à cette pratique, les Drs Malla et Joober ont collaboré avec plusieurs sociétés pharmaceutiques différentes – près d’une dizaine dans le cas du Dr Malla.

En 2008, deux ans avant le début de sa recherche sur Abilify, ce dernier vantait plutôt les vertus d’un autre antipsychotique, appelé Zeldox, fabriqué par une autre entreprise lui ayant versé des honoraires. Dans un communiqué de presse publié par Pfizer, il disait pareillement que ce médicament « semblait causer moins de prise de poids ». Et aussi qu’il s’agissait du « seul antipsychotique [de sa catégorie] associé à une amélioration à long terme des paramètres métaboliques, incluant le poids, le cholestérol et les triglycérides ».

Sur son site web, l’Institut Douglas écrit que les recherches du PEPP permettent aux patients de profiter d’un diagnostic et de traitements à la fine pointe. Mais prescrire le médicament le plus récent ne comporte pas que des avantages.

Les nouveaux médicaments sont souvent plus coûteux et ne sont pas toujours aussi sûrs qu’on le croit. Le quart des médicaments approuvés par Santé Canada ont ensuite dû être retirés du marché ou assortis d’une mise en garde, révèle une étude de l’urgentologue et professeur ontarien Joël Lexchin, qui vient de publier un livre intitulé  Doctors in Denial : Why Big Pharma and the Canadian Medical Profession are too Close for Comfort.

Depuis 2007, presque tous les fabricants d’antipsychotiques de 2e ou 3e générations ont été poursuivis pour avoir minimisé leurs effets indésirables, et plusieurs ont dû ajouter des mises en garde encadrées de noir sur leurs emballages (voir prochain texte).

Une autre patiente mécontente

« On m’a dit qu’Abilify était vraiment mieux que les autres et ne faisait pas engraisser, sans jamais me présenter les avantages et les inconvénients des autres médicaments. Si j’avais su, j’aurais voulu un médicament bien connu », déplore une autre participante retracée par La Presse.

La jeune professionnelle a beaucoup apprécié le « climat familial », moins hospitalier, établi au PEPP. Mais comme le plaignant, elle a très mal toléré l’Abilify, au point d’abandonner le traitement et de vivre un nouvel épisode de manie. Ses médecins lui ont finalement prescrit des stabilisateurs de l’humeur, moins chers et éprouvés depuis des décennies. « Certains patients psychiatriques sont déjà un peu paranoïaques, on ne les aide pas à avoir confiance si leurs médecins ne sont pas indépendants des compagnies pharmaceutiques », dit-elle.

« Ce n’est pas parce qu’un chercheur est en conflit d’intérêts que la molécule n’est pas bonne. Les chercheurs n’ont pas en tête de causer du tort, affirme la Dre Rozefort, du CIUSSS. Comme organisation, on prône la recherche, parce que c’est grâce à elle qu’on a connu toutes ces percées depuis 1950. Mais on est toujours là pour protéger nos patients. »

La Presse a envoyé plusieurs demandes d’entrevues aux Drs Malla et Joober. Après avoir affirmé que ceux-ci rencontreraient La Presse le 12 février, une porte-parole du CIUSSS a écrit : « Ils déclinent votre demande d’entrevue pour de multiples raisons de confidentialité. »

*Le médecin examinateur a écrit au patient qu’il n’avait pas compétence pour se prononcer au sujet de la plainte contre le Dr Malla, celui-ci n’étant plus membre du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de l’établissement, bien qu’il y dirige un immense projet de recherche.

PRÉCISION: Dans ce texte paru dans notre numéro du 26 février dernier, nous avons indiqué que le formulaire de consentement remis aux patients qui participaient à l’étude des Drs Ashok Malla et Ridha Joober indiquait à la quatrième page que Bristol-Myers Squibb supportait l’étude. Il aurait plutôt fallu lire que cette information apparaissait à la quatrième page et également dans le bloc titre de la première page du formulaire de consentement.

Non divulgué dans la revue

La revue scientifique qui a publié l’étude sur l’Abilify n’a jamais été informée des liens financiers unissant les chercheurs aux fabricants de ce médicament. Pourtant, sa politique l’« exige spécifiquement », a écrit à La Presse l’éditeur en chef de la publication, Matcheri S. Keshavan, professeur à Harvard.

L’article publié dans Schizophrenia Research ne mentionne même pas que l’étude a été entièrement financée par le fabricant Bristol Myers Squibb (BMS) – une donnée tout à fait fondamentale. Le Dr Keshavan affirme que cette omission résulte d’un « oubli » de la revue, mais n’a pas pu en expliquer les circonstances.

Le formulaire de consentement remis aux patients notait pour sa part, à la quatrième page, que Bristol-Myers Squibb « supporte l’étude ».

Les problèmes avec l’Abilify

Les risques ne doivent pas être cachés aux patients enrôlés dans des études. Quels étaient ceux associés à l’Abilify ? Voici ce que les patients n’ont pas su. Et voici les autres dangers auxquels ils ont été exposés, et dont l’existence a été officiellement reconnue seulement après l’étude faite à l’Institut Douglas.

Gain de poids rapide

Les participants à la recherche du Douglas ont vu augmenter leur taux de cholestérol, et presque la moitié d’entre eux ont pris plus de 7 % de leur poids corporel, ce qui « a débuté tôt dans le traitement ». Une recherche publiée dans le prestigieux Journal of the American Medical Association avait déjà révélé que les enfants et adolescents traités à l’Abilify prenaient environ 1 lb par semaine. Et une autre, que 13 % des sujets traités engraissaient (contre aucun de ceux ayant reçu un placebo). Malgré tout, le formulaire remis aux sujets du Douglas disait que les patients sous Abilify étaient également ou encore moins susceptibles de rapporter un gain de poids que ceux sous placebo.

Jeu compulsif

Les fabricants d’antipsychotiques ont versé des millions à des dizaines de milliers de patients disant avoir été rendus malades par leurs produits : problèmes cardiaques liés au Zeldox, diabète lié au Zyprexa et au Seroquel, ou prolifération du tissu mammaire liée au Risperdal.

De son côté, l’Abilify empêche certains patients de maîtriser leurs impulsions. Avant même sa mise en marché au Canada (en 2009, sept ans plus tard qu’aux États-Unis), des utilisateurs se plaignaient de jouer, de dépenser, de manger ou d’avoir des relations sexuelles de façon compulsive. En 2012 (au beau milieu de l’étude du Douglas, faite de 2010 à 2014), les autorités européennes ont exigé que ce risque, rare, mais dévastateur, soit mis en évidence sur l’emballage. Au Canada, c’est le cas depuis 2015.

Marketing illégal

Les fabricants d’antipsychotiques ont aussi écopé d’amendes records pour avoir illégalement encouragé l’usage de leurs médicaments chez les enfants et les personnes âgées atteintes de démence. Abilify a versé plus d’un demi-milliard de dollars en 2007 et en 2016, en réglant à l’amiable.

Ces poursuites gouvernementales ont permis à des milliers de documents internes de faire surface. L’une affirmait que Pfizer « payait des sommes substantielles à de nombreux pédopsychiatres pour donner des conférences prétendument “éducatives” au sujet du [Zeldox] ». D’autres concernaient l’utilisation de chercheurs pour promouvoir illégalement Zeldox, Seroquel ou Zyprexa, lors de conférences ou de formations continues. Les médecins concernés n’ont toutefois pas été poursuivis.

Supériorité contestée

Pour de nombreux psychiatres, l’Abilify fait partie des options les plus sûres – à l’image des autres antipsychotiques de sa catégorie (appelés « atypiques »). Ces derniers sont réputés causer moins de problèmes neurologiques que les antipsychotiques de première génération, qui peuvent provoquer des tremblements ou des mouvements involontaires.

Les antipsychotiques atypiques ne sont toutefois pas indiqués pour les patients obèses ou diabétiques, chez qui un gain de poids peut précipiter la mort. Depuis 2000, des études indépendantes ont par ailleurs conclu que leurs bienfaits avaient été exagérés et leurs effets nocifs, minimisés. Ce qui résulte du marketing agressif des fabricants, d’après l’auteur de l’une de ces études, publiée en 2005 dans le New England Journal of Medicine.

Des millions non déclarés

Aux États-Unis, une enquête sénatoriale retentissante a placé des psychiatres au centre de scandales en 2008. Ils avaient tous vanté l’utilité de médicaments dans leurs recherches, sans dévoiler que les fabricants concernés les inondaient d’argent. L’onde de choc a poussé des dizaines de facultés de médecine à revoir leurs règles. Voici quatre cas frappants, révélés lors de cette enquête ou de poursuites.

Antipsychotiques pour les enfants atteints de trouble bipolaire

Le chercheur dénoncé : 

Joseph Biederman, professeur à Harvard et chef d’un programme pédiatrique. Ses recherches et ses conférences sur le trouble bipolaire chez les enfants ont fait exploser la prescription d’antipsychotiques au tournant des années 2000.

Ses liens cachés : 

Il a empoché 1,6 million en travaillant comme conférencier et consultant pour de nombreux fabricants d’antipsychotiques, et n’en a déclaré qu’une petite fraction à Harvard.

Selon des documents internes déposés en cour, il a demandé à Johnson et Jonhson de financer une recherche sur le Risperdal, en promettant que les résultats appuieraient son efficacité et son innocuité chez les enfants.

Conséquence : 

Harvard l’a contraint à cesser de travailler pour les pharmaceutiques pour une période d’un an.

Antidépresseur Prozac pour les jeunes

Le chercheur dénoncé : 

Charles Nemeroff, chef du département de psychiatrie à l’Emory University, en Géorgie. Il soutenait que le Prozac ne donnait pas d’idées suicidaires aux jeunes, en dépit des preuves à l’effet contraire qui ont justifié l’ajout d’une mise en garde sur l’emballage.

Ses liens cachés : 

Il a empoché 2,8 millions en travaillant comme consultant pour 21 fabricants d’antidépresseurs – dont celui du Prozac, Eli Lilly – et a déclaré moins de la moitié de cette somme à son université. Il avait faussement promis à l’administration de plafonner ses gains.

Conséquence :

Il a démissionné de son université en 2008.

Antidépresseur Paxil pour traiter les enfants et les adolescents

Chercheur dénoncé :

Martin Keller, chef du département de psychiatrie à l’Université Brown. Il a publié une étude décriée sur l’antidépresseur Paxil.

Ses liens cachés :

Selon des documents internes déposés en cour par le gouvernement américain, il a donné des conférences pour encourager ses confrères à prescrire du Paxil aux jeunes, après avoir accepté d’être l’auteur d’une recherche du fabricant GlaxoSmithKline (GSK). Et d’autres chercheurs affirment que l’article qu’il a signé cachait l’inefficacité et la dangerosité de ce médicament chez les jeunes.

Au total, il avait reçu près de 1 million de GSK et de trois autres sociétés pharmaceutiques, sans révéler toute l’ampleur de ses gains aux revues médicales ayant publié ses travaux.

Conséquence :

Il a quitté la direction du département de psychiatrie en 2009.

Antidépresseurs Celexa et Cipralex pour traiter les enfants

Chercheur dénoncé :

Jeffrey Bostic, directeur de l’École de psychiatrie au Massachusetts General Hospital, affilié à l’Université Harvard

Ses liens cachés :

D’après des documents judiciaires déposés aux États-Unis, il a reçu 750 000 $ du fabricant Forest Laboratories pour donner des conférences promotionnelles encourageant ses confrères médecins à prescrire du Celexa et du Cipralex aux enfants, un usage non approuvé.

Conséquence :

Aucune pour le médecin, qui n’a pas été poursuivi personnellement (et qui a reçu l’appui de son institution), tandis que Forest Laboratories a dû verser plusieurs millions pour régler à l’amiable de nombreuses poursuites.

Inacceptable, selon les experts

Les cinq experts interrogés par La Presse dans le cadre de ce dossier déplorent les événements qui se sont produits à l’Institut Douglas et les remettent en contexte. Leurs propos ont été adaptés par souci de clarté.

Joel Lexchin

Urgentologue, professeur émérite à l’Université York et auteur du nouveau livre Doctors in Denial : Why Big Pharma and the Canadian Medical Profession are too Close for Confort

« Avoir des liens avec l’industrie ne veut pas dire que les chercheurs ne sont pas intègres, mais moralement, ils devaient clairement dire aux participants qu’ils travaillaient pour les fabricants. »

« De nos jours, les hôpitaux et les universités devraient avoir des politiques claires sur le sujet. Si un établissement affilié à McGill n’en avait pas encore en 2017, c’est vraiment inacceptable à mes yeux. »

Pierre Biron

Professeur retraité de pharmacologie médicale à l’Université de Montréal et ex-membre de plusieurs comités d’éthique de la recherche. Il se présente comme « un observateur indigné de la scène médico-pharmaceutique ».

« Vu la relation très asymétrique entre un soignant et un soigné, l’éthique exige une transparence totale. Après tout, c’est le malade qui prend les risques, et il n’est pas payé pour le faire. »

« Les chercheurs ont manqué de transparence. Mais il faut savoir que, souvent, ce sont aussi les instances universitaires et hospitalières qui refusent au comité d’éthique le droit d’exiger la transparence totale. J’ai siégé à plusieurs de ces comités. On n’aimait pas que je soulève trop de questions au sujet des essais cliniques sponsorisés par le fabricant du médicament étudié. »

« Les institutions publiques doivent faire passer l’intérêt des patients avant l’intérêt des carrières de leurs médecins et avant leur performance financière. »

Me Delphine Roigt

Chargée d’enseignement à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, cofondatrice de l’Association québécoise en éthique clinique et de l’Association canadienne des éthiciens en soins de santé

« Les sanctions rendent les choses encore plus cachées, alors il ne faut pas diaboliser. Mais d’après moi, c’est le genre de cas où il faudrait au moins envoyer une lettre disant que ça ne passe pas éthiquement et qu’il faut des excuses aux participants. »

« Notre comité demande d’emblée aux chercheurs quelles conférences ils ont données et dans quel contexte. La capacité en amont est incroyable. On peut leur donner des conseils pour gérer le conflit, sans tout ruiner. Ce n’est pas pour les importuner, c’est pour protéger les sujets de recherche et protéger la recherche elle-même. »

« Mais sur le terrain, je me rends compte que les gens n’ont pas été formés. C’est une approche de “oui” ou “non” au lieu de gestion du conflit. »

Marc-André Gagnon

Spécialiste de l’économie politique du secteur pharmaceutique et professeur de politique publique à l’Université Carleton

« Les universités étant sous-financées, elles sont en quête de financement externe et c’est auprès des compagnies pharmaceutiques qu’elles en trouvent le plus facilement. On se retrouve avec des institutions qui tendent à fermer rapidement les yeux sur les conflits d’intérêts et à protéger leurs chercheurs-vedettes. »

« Certaines études sont faites d’abord et avant tout dans un but de marketing, pour produire un argumentaire favorable au produit après sa mise en marché et faire germer des habitudes de prescription chez les médecins. Leur but est davantage de mousser les bénéfices du produit que de divulguer ses effets secondaires. »

« [Les chercheurs de l’Institut Douglas n’ont pas omis de révéler que la moitié de leurs participants avaient pris beaucoup de poids.] Mais ils n’ont pas de groupe contrôle, ne précisent pas pourquoi certains patients ont abandonné l’étude et l’augmentation du taux de cholestérol ne figure pas au résumé. À mon avis, ce sont des drapeaux rouges. »

Bryn Williams-Jones

Professeur de bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et éditeur en chef de la Revue canadienne de bioéthique

« Nos universités ont fait des progrès depuis le début des années 2000, elles ont toutes mis en place des politiques sur les conflits d’intérêts. Mais c’est une tout autre affaire de s’assurer que ces politiques sont lues et appliquées, y compris par certains comités d’éthique de la recherche, qui sont souvent sous-financés. »

« 99 % des chercheurs veulent faire la bonne chose, mais puisque le terme “conflit d’intérêts” est péjoratif, ils ne se reconnaissent pas. Ils doivent comprendre que ce n’est pas un manquement, mais plutôt une situation problématique qu’il faut gérer. La transparence ne suffit pas, ce n’est que le point de départ, sinon, on déplace le fardeau de gérer la situation sur les participants aux études. »

Les règles existantes

Code de déontologie des médecins (art. 78)

« Le médecin qui entreprend ou participe à une recherche doit déclarer, au comité d’éthique de la recherche, ses intérêts et dévoiler tout conflit d’intérêts réel, apparent ou éventuel. »

Énoncé de politique des trois conseils (art. 7.4)

« Les chercheurs doivent divulguer, dans le dossier de recherche qu’ils présentent au Comité d’éthique de la recherche (CER), tout conflit d’intérêts personnel, qu’il soit réel, potentiel ou apparent. »

Application

« Le CER exigera que le chercheur divulgue aux participants le conflit d’intérêts réel, potentiel ou apparent. »

Lignes directrices de l’Association médicale canadienne (AMC) sur les interactions avec les médecins

« Les médecins qui ont des liens avec l’industrie doivent les divulguer dans toute situation où l’on pourrait raisonnablement croire que ces liens risquent d’influencer leur jugement. » (Art. 6)

« Lorsqu’ils présentent des articles à des revues médicales, les médecins doivent signaler tout lien qu’ils ont avec les entreprises qui assurent le financement des études ou qui fabriquent les produits faisant l’objet des études, que la revue exige ou non une telle divulgation. Il faudrait divulguer aussi les sources de financement de l’étude. » (Art. 15)

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