Sport au féminin et préjugés

Casser
le moule

Pourquoi si peu de femmes entraînent-elles à de hauts niveaux ? Pourquoi, à l’adolescence, les filles sont-elles nombreuses à délaisser le sport ? Quel traitement médiatique réserve-t-on aux athlètes féminines ? Pour Séverine Tamborero, il ne fait aucun doute : les préjugés à l’égard des femmes dans le sport sont encore bien présents. Avec son livre Casser le moule, l’entraîneure de haute performance (chez Tennis Canada) veut forcer la réflexion afin de favoriser l’égalité des chances. Entrevue.

Votre livre Casser le moule porte sur les préjugés envers les femmes dans le sport. En 2017, quel est le portrait ?

Ça s’améliore, mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Encore très peu de femmes entraînent à de hauts niveaux ou accèdent à des postes de direction dans les organisations sportives. Ça commence à changer. Je pense qu’il y a une volonté, on veut laisser aux femmes leur juste place. Mais est-ce que cette volonté est réelle ou est-ce une façon de bien paraître ? Plus on monte dans les échelons, plus cette volonté s’atténue.

Aux Jeux de Rio 2016, jusqu’à 59 % des athlètes de l’équipe canadienne étaient des femmes. L’équité n’est-elle pas atteinte ?

On peut parler de parité chez les athlètes olympiques, parce qu’il y a eu des modèles, et c’est positif. Mais tout n’est pas réglé, au contraire. Le parcours pour s’y rendre est parfois laborieux. « Coach me like a guy, but treat me like a girl », a déjà dit à son entraîneur Mia Hamm, une des meilleures joueuses de soccer de tous les temps.

Doit-on adopter des approches différentes selon qu’on entraîne des garçons ou des filles ?

Absolument ! Depuis longtemps, on tente de croire que les femmes et les hommes sont pareils, mais nous sommes différents. Un garçon fait du sport pour le résultat, la finalité. La fille est davantage dans le processus ; l’environnement social, les amis comptent pour beaucoup pour elles. Au bout du compte, l’objectif est le même : la victoire !

À l’entraînement, les filles sont souvent plus ouvertes aux nouvelles méthodes, respectent davantage l’entraîneur, accueillent la critique avec plus d’émotion, sont moins confiantes.

À l’adolescence, c’est l’hécatombe. En grand nombre, les filles délaissent le sport. Pourquoi ?

On dit à tort que les filles délaissent le sport parce qu’elles ne sont pas sportives, pas compétitives. J’ai coaché des filles beaucoup plus compétitives que des garçons ! La principale raison d’abandon est l’intervenant, qui ne crée pas un environnement propice à l’épanouissement des filles. Une autre raison de retrait, c’est l’absence de possibilités et de débouchés à long terme ; en hockey, certaines athlètes doivent jouer dans des équipes de gars. Certaines partent en raison de blessures, spécifiques aux femmes, mal comprises, mal gérées. Dans les sports dits masculins, elles doivent se frotter à des préjugés sur leur orientation sexuelle, leur manque de féminité.

Très peu de femmes entraînent à de hauts niveaux. Pourquoi, selon vous ?

Les préjugés sont tenaces. Si on voit un homme hurler sur ses athlètes, on le perçoit comme rigoureux, compétent. Une femme parle fort ? Elle est dans son « SPM ». Considérée comme maternelle et douce, une femme entraînera les petits. En haute performance ? On dira qu’elle est incapable de sérieux, trop émotive, qu’elle n’a pas le niveau de jeu et, bien entendu, qu’elle est lesbienne. Il faut arrêter ça, ce n’est pas vrai ! On avance que les entraîneurs masculins ont plus de résultats, mais c’est la roue qui tourne : comme ils sont plus nombreux, ils ont plus d’occasions de réussir. Cela dit, je suis contre les quotas. J’ai espoir que bientôt, on choisira un entraîneur pour ses compétences, tout simplement.

La visibilité de modèles positifs est importante pour promouvoir le sport au féminin. À peine de 6 à 8 % de la couverture médiatique sportive concerne les femmes. Un constat dérangeant ?

Oui. On dit que le sport masculin est plus spectaculaire – c’est parfois vrai – et génère davantage de cotes d’écoute. N’est-ce pas en raison des habitudes qu’on a créées ? Dans un tournoi de tennis combiné, on fait de la finale masculine le clou du spectacle. Et si on avait décidé l’inverse il y a des décennies, est-ce que l’appréciation du tennis féminin serait différente ? On parle peu des performances sportives des femmes, et la façon d’en parler est dérangeante. On commente leur corps, leur tenue, leur vie de couple. Lors des JO, j’ai entendu des commentaires comme : pour une fille, elle court vite. Il y a un double standard qui doit cesser.

Que souhaitez-vous avec ce livre ?

Je souhaite démarrer un dialogue, faire tomber les préjugés, pour que les parents soient ouverts et permettent plus de flexibilité aux jeunes, selon ce qu’ils ont envie de faire pour qu’ils s’épanouissent. Un garçon veut danser ? Une fille, jouer au hockey ? Pourquoi pas ? Je veux aussi qu’on sache que faire du sport n’est pas « une affaire de gars ».

EN VRAC

Récentes entrées olympiques au féminin ?

2012 : La boxe

2014 : Le saut à ski

2016 : Le rugby

« Le tennisman Andy Murray, qui avait choisi Amélie Mauresmo comme entraîneure, a dû justifier maintes fois son choix. »

— Séverine Tamborero

La NFL s’ouvre aux femmes

Jen Welter devient en 2015 la première entraîneure adjointe dans la NFL, pour les Cardinals de l’Arizona. Sarah Thomas devient la première femme arbitre à temps plein.

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