Chronique

Congédier la messagère

Le 25 octobre dernier, l’enseignante Kathya Dufault m’a raconté les maux de l’école moderne, comme elle les a vécus dans ses classes. Elle m’a raconté ces maux à visage découvert et j’ai publié son histoire parce que les constats de Kathya Dufault rejoignent ceux que j’entends depuis trois ans, depuis que j’écris sur l’école.

Pour cela, Kathya Dufault fait face à une procédure de congédiement de la part de la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles (CSSMI).

L’enseignante a reçu l’avis de procédure de congédiement du nom d’« intention de résiliation d’engagement selon l’article 5-7.00 de l’Entente locale » jeudi dernier, avec copie conforme à son syndicat.

La lettre, signée par François Grégoire, directeur adjoint aux ressources humaines de la CSSMI, fait la nomenclature des déclarations et constats de l’enseignante Dufault dans ma chronique, dans sa lettre à La Presse publiée le même jour et dans des entrevues subséquentes avec Paul Arcand au 98,5 FM et Denis Lévesque, de LCN.

On ne reproche pas à Kathya Dufault d’avoir dit des choses fausses. On lui reproche d’avoir parlé, point.

Là où elle parlait d’élèves en difficulté qui ne devraient pas être dans des classes ordinaires – un constat si répandu que le nouveau ministre de l’Éducation promet d’agir là-dessus rapidement –, la commission scolaire lui reproche de les avoir décrits… « de façon péjorative ».

Là où elle constate que les directions d’école n’ont pas été en mesure de l’aider quand elle a demandé de l’aide, la commission scolaire lui reproche d’avoir « critiqué publiquement [son] employeur ».

Là où Kathya Dufault m’a décrit ce que j’ai qualifié dans la chronique du 25 octobre de niveau « épouvantablement faible » de ses élèves en français – preuves à l’appui –, la commission scolaire y a vu une tromperie à l’égard du public, une preuve de déloyauté et un manquement à un devoir de confidentialité envers la CSSMI.

(J’ai parlé à Mme Dufault, hier, elle a préféré ne pas m’accorder d’entrevue.)

La lettre de menace de congédiement reproche à l’enseignante Dufault d’avoir, je cite : « miné le lien de confiance des parents envers l’école publique »…

Celle-là, c’est vraiment un summum d’hypocrisie : si des milliers de Québécois sont inquiets de la situation de l’école publique, si des milliers de parents envoient leurs enfants dans des écoles privées, ce n’est pas la faute de profs comme Kathya Dufault qui nomment les maux de l’école.

Ce n’est pas « l’école publique » que la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles tente de protéger, ici. C’est son propre popotin. Là où Kathya Dufault décrivait des problèmes qu’il est d’intérêt public d’expliquer, des problèmes qui touchent toutes les commissions scolaires du Québec, la CSSMI a stupidement choisi d’y voir une attaque sur sa gestion d’« employeur », de tout ramener à des relations boss-employée.

Ce qu’a expliqué Kathya Dufault le 25 octobre était utile socialement, c’était le rare point de vue d’une enseignante qui parle à visage découvert pour expliquer comment l’éducation publique est gérée à la va-comme-je-te-pousse dans cette province et comment cela se traduit bien souvent en classes difficiles à gérer.

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Sur papier, si on adopte une approche purement légaliste et « RH », bien sûr que Kathya Dufault a tenté le diable, bien sûr que la CSSMI est légitimée de tenter de la sanctionner.

Mais ce que Mme Dufault a fait en parlant publiquement relève des agissements des lanceurs d’alerte, dans le sens où ce que les lanceurs d’alerte choisissent de dire dépasse les simples relations de travail : cela relève de l’intérêt public.

Quand Kathya Dufault m’a parlé, l’épuisement dont elle me parlait dans sa profession me faisait penser à tous ces profs qui m’ont raconté le même épuisement, ces dernières années. Quand elle m’a raconté la surcharge de travail occasionnée par des élèves qui devraient être en classe spéciale et par des élèves qu’on a fait « passer » sans qu’ils n’aient vraiment réussi la matière les années précédentes, des milliers de profs auraient pu me raconter la même chose.

Quand Kathya Dufault m’a parlé, sa situation m’a fait penser à une autre professionnelle qui a fait une sortie très publique : l’infirmière Émilie Ricard, qui a parlé de ses conditions de travail en CHSLD, début 2018. Bien sûr que son employeur aurait pu la sanctionner et invoquer ce concept bien vaseux de « manque de loyauté » pour la punir d’avoir parlé publiquement. Ça n’a pas été le cas et c’était sage.

Je me disais que Mme Dufault était dans la même situation : puisque ce qu’elle racontait était d’intérêt public, sa commission scolaire agirait avec lucidité…

Mais la CSSMI – dont le directeur général est Jean-François Lachance et la présidente, Paule Fortier – a choisi d’agir comme une vulgaire brute qui gère une shop de pièces de lave-vaisselle.

C’est une approche minable, menée par des gestionnaires dont les priorités sont minables. Pensez juste à ceci : ce sont les mêmes gens qui gèrent 59 écoles primaires et 12 écoles secondaires dans les Basses-Laurentides.

En tentant de faire congédier Kathya Dufault, la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles démontre que ce qui lui tient à cœur, ce n’est pas la réussite des élèves – si c’était le cas, la CSSMI aurait agi depuis longtemps pour régler les problèmes décrits par l’enseignante –, c’est l’image de la CSSMI, c’est la réputation de l’institution.

(Réponse de la CSSMI à une demande d’entrevue, hier : « Dans le respect de la Loi sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels, nous ne pourrons malheureusement pas émettre de commentaires sur ce cas précis. […] La rupture d’un lien d’emploi est le résultat d’un processus conventionné bien documenté. »)

Je pose la question sérieusement : si les profs ne peuvent pas dire ce qui cloche dans leurs classes, qui le pourra ?

Dans un contexte où les commissions scolaires comme la CSSMI ne veulent pas qu’on sache ce qui se passe en classe, dans le contexte où elles mettent leur statut d’employeur au-dessus du bien-être de l’école publique, je veux dire…

Restera les relationnistes de commissions scolaires qui javellisent forcément le réel et les syndicats, qui parlent en langage syndical officiel, ce qui ne sera jamais aussi puissant que des témoignages de vrais profs qui racontent le réel.

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C’est pour ça, pour ce genre de comportement délétère, que bien des gens se demandent si on ne devrait pas flusher les commissions scolaires. Et le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge fait partie de ces sceptiques.

Je sais que le ministre a lu attentivement la chronique du 25 octobre où Mme Dufault livrait son cri du cœur. Je le sais parce qu’il m’en a parlé quand je l’ai interviewé, deux jours après mon entrevue avec Mme Dufault. Je me demande de quel bord il est, ce matin : du bord des Québécois qui ont bénéficié de ce cri du cœur de l’enseignante Dufault pour mieux comprendre les défis qui pèsent sur les profs ou du bord de l’institution qu’est la CSSMI qui essaie de préserver son image en punissant une employée pour délit de vérité ?

Le pire, dans tout ça, c’est que Kathya Dufault était en congé sans solde. Le syndicat l’avait convaincue de ne pas démissionner, après qu’elle a frappé le mur. Mais, comme elle le disait dans ma chronique, elle ne se voyait pas revenir au boulot en 2019-2020. Ça rend le comportement de la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles encore plus mesquin.

Petit message aux profs de la CSSMI, en terminant. De toute évidence, parler à visage découvert est un risque pour vous. Il faudra revenir à la bonne vieille méthode : témoigner anonymement. Si vous voulez informer les lecteurs de La Presse de ce qui ne marche pas dans les écoles de la CSSMI, dans vos classes, si vous voulez élaborer sur ce que Mme Dufault racontait dans La Presse+, écrivez-moi de votre adresse personnelle à plagace@lapresse.ca.

Anonymat garanti, paraît que c’est nécessaire. La Presse protège ses sources.

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